Avis du CEP « Publicité et les nouveaux médias numériques »

1- Constat : un enjeu majeur pour la société comme pour la publicité

1-1 Les nouveaux médias électroniques sont au cœur de la nouvelle société de communication.

Un engouement extraordinaire. Aujourd’hui, le digital sous toutes ses formes (Internet, téléphonie, MP3, etc.) occupe une place centrale dans la vie quotidienne des personnes (citoyens, consommateurs) et des organisations. Il bénéficie d’une appétence forte et cristallise beaucoup d’aspirations, surtout chez les jeunes. Sur les marchés publicitaires, s’il est encore minoritaire en termes d’investissements réalisés, il représente le segment le plus dynamique, avec à son actif récent plusieurs années de croissance à deux chiffres.

Un nouvel horizon de créativité. La communication digitale est vécue, à tort ou à raison, comme étant la “nouvelle frontière” du XXIe, tant les nouvelles technologies offrent de possibilités de renouvellement de la relation avec le public-consommateur : ciblage fin (comportemental, contextuel ou réellement personnalisé) interactivité, co-production, utilisation des réseaux d’affinités, émergence avec les blogs de formes inédites de supports publicitaires, passage immédiat à l’acte d’achat, etc. Il ouvre aussi à l’usager non seulement une forte interactivité, mais aussi une activité propre de création et de production qui modifient les relations classiques entre émetteurs et récepteurs.

1-2 La communication digitale pose, sous des formes inédites, à la publicité des questions éthiques majeures.

Le passage de la communication à l’âge digital soulève des enjeux éthiques importants qui, selon qu’ils seront bien gérés ou non, conditionneront la confiance du public, encore plus vitale pour ce type de médias. Aux inquiétudes traditionnelles à l’encontre de la publicité, s’ajoutent celles générées par les nouveaux médias. Ces questions renvoient à des problématiques connues, mais se posent sous des formes inédites :

Le respect de la vie privée. La publicité sur les nouveaux médias numériques offre des possibilités accrues en matière de ciblage (affinitaire, personnel, comportemental, contextuel…), dont certaines utilisations peuvent mettre à mal le respect de la vie privée. Ceci impose une réflexion sur le recueil, la gestion puis la conservation des données personnelles des internautes, ainsi que sur le respect dû aux correspondances privées. Le critère du consentement des personnes concernées est important. Pour autant des réflexions complémentaires doivent être menées compte tenu, notamment, du dévoilement volontaire de données personnelles se pratique de plus en plus, d’autant que le grand public semble avoir une certaine méconnaissance des enjeux. S’ajoute à cela le caractère intrusif de certains messages lié à une persistance indésirable sur l’écran, sans compter la gêne créée par l’envahissement des spams.

La protection des jeunes publics. Les médias numériques, en ce qu’ils mêlent ouverture à tous, liberté d’expression et anonymat possible, alimentent beaucoup de craintes sur des sujets comme la pédo-pornographie, la délinquance et, plus généralement, la traçabilité. La communication digitale, dans ce contexte, doit apporter des réponses rassurantes aux familles et aux pouvoirs publics, de façon générale mais aussi sur des sujets précis comme la publicité dans les jeux vidéos, la pratique des jeux d’argent ou l’accès à des produits/services non adaptés aux enfants et adolescents.

La bonne information des consommateurs. Les médias électroniques semblent avoir surmonté la méfiance initiale des consommateurs, notamment en matière de sécurité des paiements. Se pose maintenant, pour les internautes consommateurs, la question de la crédibilité de l’information et, singulièrement, la nécessité de lever les risques de confusion entre information et publicité résultant de ces nouveaux formats. Les frontières entre l’éditorial, le distractif et la communication commerciale n’apparaissent plus autant garanties. Un effort de clarification, de transparence et, donc, d’identification de la publicité reste à faire.

2- Recommandation : adapter et renouveler la régulation professionnelle de la publicité

2-1 Les modes de régulation mis en oeuvre pour les médias classiques ne permettent pas de répondre complètement à ces nouveaux enjeux.

Les limites de la régulation publique. L’intérêt général étant en cause, le premier réflexe pourrait être de se tourner vers les régulateurs publics (CSA, Arcep). Néanmoins, ces derniers n’ont pas les moyens suffisants pour gérer ces enjeux. Face à des acteurs internationaux, obéissant à des normes de droit non françaises, qui lorsqu’ils sont situés aux Etats-Unis, invoquent la protection du 1er amendement constitutionnel dans leur pays, alors même qu’ils sont soumis au droit français lorsqu’ils opèrent en France, quel peut être le poids d’un acteur public national ?

Enfin la régulation publique, qui obéit à la temporalité nécessairement lente du droit normatif, peine à suivre l’évolution rapide des techniques, des normes, des comportements et, donc, des problèmes. Enfin, les régulateurs publics, spécialisés par secteurs, ne peuvent pas encadrer tous les opérateurs concernés.

Les limites de l’autorégulation traditionnelle. A première vue, l’autorégulation, plus flexible et plus pragmatique, paraît plus adaptée. Existant depuis l’origine du Web sur le plan international (avec la fixation des normes et des outils techniques par des autorégulateurs comme l’ICANN, où se mêlent acteurs privés et publics), cette autorégulation internationale et technique souffre cependant d’une opacité et d’une complexité qui la rendent de plus en plus critiquable. En France le dispositif professionnel d’autodiscipline doit s’adapter : d’une part, le contrôle avant diffusion de la publicité tel qu’il fonctionne à l’ARPP pour les médias classiques est difficilement praticable pour les campagnes diffusées sur les nouveaux médias électroniques (problèmes d’identification de la publicité et des émetteurs, de rapidité, de fragmentation de la chaîne des acteurs, etc.). D’autre part, la régulation professionnelle des formats dont le caractère publicitaire est évident (le “display”), ne permet de couvrir qu’une partie des messages publicitaires (quid du “buzz marketing” par ex. ?). Dans ces conditions, où commence et où s’arrête la compétence d’un organisme comme l’ARPP et de son instance associée, le Jury de Déontologie Publicitaire (JDP) ?<br/

2-2 La régulation de l’univers des communications numériques passe par des modes de régulation nouveaux, multi-acteurs.

Le Conseil de l’Ethique Publicitaire considère qu’une régulation de la publicité digitale, pour être efficace, doit satisfaire les conditions suivantes :

2.2.1. Tenir compte d’abord de son champ international. Le Conseil, à ce titre, prend note du travail effectué en 2008 par l’Alliance européenne pour l’Ethique en Publicité (EASA), qui regroupe les organisations professionnelles européennes, et tous les organismes d’autodiscipline publicitaire. Ce travail fait suite à la mise sur pied d’un nouveau Code sur le Marketing et la Publicité par la Chambre de Commerce internationale, laquelle a, en 2007, profondément modifié le code international publicitaire publié pour la première fois en 1937, pour l’actualiser aux nouveaux médias numériques. Il a abouti en Europe à une Recommandation de “Bonne pratique sur les nouvelles formes de marketing et de publicité numériques”, que le Conseil de l’Ethique Publicitaire estime pertinent. Il a permis d’obtenir un accord de la part des principaux annonceurs internationaux et acteurs professionnels concernés pour asseoir la compétence de l’autorégulation publicitaire sur les messages publicitaires diffusés sur ces nouveaux formats, notamment en permettant de clarifier la nature publicitaire de ce qui s’y trouve diffusé. A partir de ces engagements internationaux, qui constituaient un préalable indispensable, les professionnels de la publicité en France peuvent désormais adapter leur autodiscipline à la nouvelle donne numérique.

2.2.2. Disposer des moyens d’identifier clairement le champ de la publicité. Une régulation crédible ne peut se contenter de travailler sur les formats classiques ou sur ceux dont le caractère publicitaire est affiché sans ambiguïté. Les acteurs de la régulation doivent se donner les moyens opérationnels d’identifier la publicité, même dans les cas où elle ne se présente pas d’emblée comme telle. Une coopération approfondie de tous les acteurs économiques concernés, au premier rang desquels les annonceurs et leurs agences, mais aussi les nouveaux opérateurs numériques, est indispensable pour éliminer la publicité qui serait dissimulée dans les nouveaux médias numériques, comme cela est déjà le cas pour les médias classiques, tout en prenant en compte les nouveaux formats (ex. placement de produit). Néanmoins, cette préoccupation doit se concilier avec le nécessaire respect de la liberté d’expression, en particulier pour des communications qui ne constituent pas de la publicité commerciale.

2.2.3. Mobiliser et responsabiliser les nouveaux acteurs concernés. La difficulté pour ces médias à contrôler et sanctionner les auteurs de manquements aux règles du droit ou de la déontologie professionnelle, rend particulièrement pertinente la méthode de la responsabilisation des acteurs, en incluant tous les nouveaux opérateurs susceptibles d’être concernés (par ex. plate-formes d’échanges de type Daily Motion ou You Tube). Un opérateur comme Google, qui draine la moitié des ressources publicitaires sur le Web, ne peut être absent de l’autodiscipline, sans exonérer les annonceurs et les agences de leur responsabilité. Ces nouveaux acteurs doivent être convaincus qu’il est de leur intérêt, ne serait-ce que pour leur crédibilité future, de se conformer à ces règles. Il importe que tous soient associés à l’élaboration des règles susceptibles de s’appliquer.

2.2.4. Concours et coopération des internautes. Les messages diffusés sur les médias électroniques sont si nombreux, si éphémères et si ciblés, qu’il est impossible à un seul acteur de tous les suivre. De plus, le ciblage peut faire qu’un message qui ne serait pas choquant pour le public auquel il est destiné se trouver heurter un public plus large ou différent. De ce fait, une régulation efficace ne peut se faire sans le concours des internautes, qui doivent pouvoir signaler les messages publicitaires qui les heurtent. La coopération du public, et des usagers des nouveaux médias numériques, est indispensable pour suivre l’évolution rapide et sans cesse renouvelée de ce type de diffusion. En ce sens, un Jury indépendant (comme l’ARPP vient de s’en doter et comme il en existe dans la plupart des pays d’Europe), ayant pour mission de recevoir ces plaintes et de statuer sur leur bien-fondé, paraît une solution particulièrement bien adaptée à ces nouveaux médias.

2.2.5. Etendre à ces nouveaux médias le champ de compétence de la régulation professionnelle. Les règles déontologiques de la publicité doivent y être appliquées comme c’est le cas pour les autres médias. Après examen du Code de l’ARPP intitulé Internet support publicitaire, le Conseil de l’Ethique Publicitaire recommande que ce dernier soit ajusté pour lui permettre de couvrir l’ensemble des nouveaux médias digitaux, et pas simplement Internet, comme par exemple la publicité sur téléphone mobile. Ce réexamen devra se faire à partir des règles internationales, notamment européennes, qui sont désormais disponibles, et avec les opérateurs nouveaux, comme les moteurs de recherche, qui ne peuvent être laissés en dehors de l’autodiscipline. La concertation avec la société civile, notamment avec les associations – dans le cadre du Conseil paritaire de la Publicité (CPP) ou dans celui du Forum des Droits de l’Internet -, est particulièrement opportune pour associer les parties prenantes à l’élaboration de ces règles, et partant à leur meilleure acceptation.

2.2.6. Renforcer l’efficacité de la régulation professionnelle. Il faut adapter le contrôle et les sanctions du dispositif français d’autodiscipline à la communication numérique, notamment sur Internet, où elle est plus internationale, plus difficilement identifiable, et où elle bénéficie de l’atmosphère libertaire ou communautaire qui s’y déploie. Le contrôle par l’ARPP, et par son jury, doit être facilité par une meilleure définition des formats de publicité relevant de leur compétence. L’appel aux plaintes des internautes permettrait, comme cela été dit, de suivre leurs évolutions.

Chacun connaît, dans la vie des affaires, la valeur économique majeure qu’apporte aux marques leur capital d’image. De ce fait, l’atteinte à la réputation des entreprises et des marques des différents acteurs concernés (annonceurs, agences, nouveaux médias numériques etc.) constitue la seule sanction véritablement dissuasive pour lutter contre les manquements. Les pénalités classiques ont peu de poids face à des acteurs souvent localisés hors de France ou pour lesquels des amendes financières sont insuffisamment dissuasives. Citer le nom de ceux qui enfreignent les règles déontologiques constitue dans ces conditions la seule réponse efficace en affectant la valeur de leur marque et de leur “capital confiance”. A ce titre, les décisions publiques du Jury de Déontologie publicitaire installé par l’ARPP depuis 2008 doivent être largement communiquées.

Le Conseil, face aux défis qu’apportent les nouveaux médias numériques à l’éthique publicitaire, recommande aux professionnels et à leur organisme d’autodiscipline un engagement rapide, clair et fort pour adapter leurs règles déontologiques et leur dispositif aux particularités de la communication publicitaire qui y est diffusée. Cet engagement est d’autant plus indispensable qu’il permettra de conforter la confiance du public et des consommateurs en faveur d’une communication responsable, dans un univers digital qui leur apparaît encore, et sans doute excessivement, porteur de risques.

Avis du conseil de l’Ethique Publicitaire, publié le 29 juin en 2009