Avis du CEP « Humour en publicité »

Ici et là, quelques voix s’élèvent pour s’interroger sur l’opportunité de l’usage de l’humour en publicité ; en particulier sur des sujets particulièrement sensibles et d’actualité (obésité, environnement,…).

Ces questions ont conduit le Comité d’Ethique à s’interroger sur les fondements, les vertus et les limites de l’un des ingrédients les plus prisés de la publicité : l’humour.

1. La publicité « Père Noël »

Roland Barthes avait déjà tout dit lorsqu’il parlait de « publicité Père Noël ». Il décrivait ainsi la recette d’une publicité à la fois attrayante et efficace.
Elle s’appuie sur une transaction : si la publicité proposée au public est humoristique alors, celui-ci, en retour, « donne » lui aussi quelque chose à la marque : de la reconnaissance, sa confiance voire son argent.
Ce « gagnant-gagnant » signifie que la publicité est un échange de cadeaux entre la marque et le public. Aujourd’hui comme hier, les consommateurs réclament à la publicité de la distraction, de l’humour en contrepartie de ses achats.
L’étude européenne menée récemment par l’UDA témoigne à cet égard que les français ne trouvent pas toujours leur compte dans cette transaction. Là où deux tiers du public des pays développés trouve la publicité distrayante, ils ne sont que 42 % en France, plaçant notre pays à la dernière place sur ce critère.
Si cette demande d’humour et de distraction est si forte et si ancrée, c’est qu’elle prend racine très loin chez l’individu. C’est d’abord un raccourci qui permet une économie d’effort psychique et mémoriel.
D’après Freud : « le gain de plaisir humoristique émane de l’économie d’une dépense affective ». Autrement dit, là où une situation pourrait conduire à se mettre en colère, à se plaindre, à souffrir, l’humour vient remplacer l’extériorisation de l’affect. L’humour permet ainsi la décharge d’une certaine quantité d’énergie.
L’humour n’est pas seulement un substitut d’affect, il est aussi le signe du triomphe du principe de plaisir. Le père de la psychanalyse le rangeait donc (comme d’autres névroses) dans les méthodes permettant au psychisme d’échapper à la souffrance. Il dit encore « le rire qu’engendre l’esprit est comparable à une fête, une fête est un excès permis, ordonné », ce que l’adage populaire (qui n’avait pas lu Freud) résume par « un bon rire vaut un steak ».
Pourquoi alors la question de l’intérêt de l’humour dans la publicité se pose-t’elle aujourd’hui ?

2. En publicité on peut rire de tout. Mais, comme c’est avec n’importe qui, on ne peut pas rire n’importe comment.

L’humour en publicité a ceci de particulier qu’il s’adresse à tous les publics à peu près en même temps. Or, nous savons que l’humour est souvent segmentant. Il est reçu, perçu, compris, interprété différemment selon l’époque, la culture, l’âge, le sexe de chacun. Mais la publicité ne s’adresse pas à chacun mais à tous.
Qui plus est, elle se pose comme un « discours public » qui ne vient pas chuchoter à l’oreille de l’individu mais discourir avec autorité sur la place publique en se servant de l’effet loupe des média (en particulier la télévision et l’affichage). Une bonne affiche est un « scandale » dit-on parfois et nul ne peut feindre de l’ignorer.
Nous savons bien que ce qui nous fait rire à deux ne nous fait pas forcément rire dans un cercle élargi car l’humour nous dévoile et porte, en ce sens, quelque chose d’indécent (« j’ai honte d’en rire »).
C’est pourquoi, au fil des années, l’ARPP a fixé les règles pour prévenir les excès, les débordements possibles de l’humour dans la publicité. Plutôt que de faire porter sa doctrine sur une différence (inopérante) entre les différentes formes d’humour (ironie, dérision, sarcasme, esprit, satire, …) et leur validité en publicité, l’ARPP tente de faire cohabiter humour et respect des principes déontologiques. Ces grands principes sont : la véracité, la loyauté, la décence, la dignité, l’image de la personne humaine, la sécurité, la protection des enfants et la santé.
Dès lors, le recours à l’humour est possible à condition de ne pas contrevenir aux règles déontologiques. Le respect de ces règles nous met ainsi à l’abri d’une doctrine spécifique à l’humour.
Aujourd’hui et c’est heureux, aucune disposition, aucune règle, ne vise spécifiquement l’humour (tant il est vrai que, si l’on osait, l’humour est enfant de bohême, il n’a jamais jamais connu de loi….).

3. L’humour, un outil formidable à la fois au service des marques et des consommateurs

On a évoqué les bienfaits de l’humour sur la santé physique et psychique de l’individu mais, c’est peut-être au plan de l’information et de la communication que l’humour révèle le mieux ses vertus. L’humour est un médiateur exceptionnel entre le message et le public. Il augmente l’impact et accélère la compréhension.

La connivence, le plaisir, la jubilation que l’humour publicitaire suscite, rejaillit positivement sur les produits et les marques mais cette prime à l’humour est à double sens. Gare à celui qui « ne fait pas rire », « qui tombe à plat », qui « n’est pas drôle ». Si une marque peut sortir indemne d’une communication médiocrement ordinaire, en revanche, elle paie cher et durablement une publicité à l’humour raté.

L’humour créé « une distance » entre les consommateurs et le monde marchand car il met en scène la réalité plus qu’il ne la montre. Le décalage, l’outrance, l’hyperbole que l’humour installe, permet au consommateur de « gérer » le message, son contenu et sa crédibilité. De ce point de vue, il se place délibérément du côté du consommateur.

Nous sommes, avec l’humour, dans une « pseudo-réalité » et le public, plus qu’avec d’autres registres d’expression, sait que l’on joue avec lui. Toute forme d’humour est par conséquent une autodérision du discours marchand puisqu’il témoigne que « ce n’est pas pour de vrai » mais « pour de rire ».

L’humour a toujours été un outil de résistance aux systèmes, à l’absurde, à la répression et jamais un compagnon des dictatures. Bienfaisant pour le spectateur, comme pour les marques, à l’abri des excès grâce aux règles et aux principes issus de l’autorégulation, on serait tenté de penser que l’utilisation de l’humour fonctionne aujourd’hui harmonieusement. Ce n’est hélas pas toujours le cas.

L’humour, plus que tout autre registre d’expression, est incompatible avec l’unanimisme.

Tous les publics n’apprécient pas le même type d’humour, nous le savons. Il est donc illusoire (et heureux) qu’on puisse un jour réconcilier tous les français autour des mêmes codes humoristiques. Il faut donc s’attendre à des réactions à toute utilisation d’un des quelconques registres de l’humour.
Doit-on pour autant le réglementer, voire l’interdire ? Outre le ridicule auquel s’exposeraient les « Talibans » de l’humour, il est impossible de réglementer quelque chose qui prend des formes aussi disparates et variées (ou alors, il faut aussi songer à réglementer l’amour et le bonheur…).
Quant à l’interdire, cela signifierait un changement radical de société qui n’est pas d’actualité, fort heureusement. Les instances de contrôle de la publicité disposent avec les règles existantes et réactualisées régulièrement (cf. paragraphe 2) de nombreux moyens d’éviter que le recours à l’humour contrevienne aux valeurs sur lesquelles repose la publicité. Au-delà, chacun possède en soi son propre décodeur de l’humour.
Au même titre que nous n’avons pas besoin d’aimer un roman ou un long métrage pour savoir que c’est de la fiction, nous n’avons pas besoin d’apprécier le même humour que notre voisin pour en reconnaître la nature, la démesure et donc la distance qu’il convient de mettre entre le public et le message.
L’humour est un objet de débat et il le sera toujours. S’il est le propre de l’homme, s’il est pratiqué universellement, ses modes opératoires sont en revanche extrêmement variés. Il ne faut donc pas s’étonner qu’il pose souvent question et cela est sain.

Avis du conseil de l’Ethique Publicitaire, publié le 26 mai 2010