Avis du CEP « Publicité, identité et diversité d’origines »

Reconnaître les autres n’est pas une capacité propre à l’espèce humaine. Un animal reconnaît d’abord ses congénères et, dans les espèces les plus évoluées, ses proches. Chez l’humain, la notion d’identité s’affirme comme d’ailleurs l’ensemble des caractères d’individuation. Des « cartes cognitives » d’identité sont présentes dans les réseaux neuronaux de notre cerveau et sont susceptibles d’évoluer selon les circonstances de la vie. Elles représentent nos proches, nos familiers, voire des connaissances lointaines, des personnalités connues et jusqu’à des individus mémorables rencontrés une seule fois forment un immense fichier dans notre cerveau. Sur la carte ou le passeport d’un particulier figure une photo dite d’identité : reconnaître l’autre, c’est d’abord reconnaître son visage. Une silhouette, une démarche, une taille peuvent tromper ; un visage rarement.

Dans ces « sommiers anthropométriques » des autres dont chacun dispose dans son cerveau, sa propre fiche signalétique occupe une place de choix. Elle est cependant bien approximative : renseignements de seconde main, images du visage empruntées au miroir et mise à jour très incomplète ; au point que certains d’entre nous, l’âge venant, vivent avec une représentation de leur identité qui date de leur jeunesse et ont du mal à se reconnaître sur une photo récente.

Ces quelques données nous permettent de dire que l’identité est le bien le plus précieux de chaque individu. Il n’est pas exagéré de dire que tout ce qui tend à réduire l’individu à une catégorie sociale, ethnique, physique, etc., en omettant tous les autres aspects, notamment culturels, est une atteinte à la personne humaine. La publicité se doit de respecter cette règle impérative en ne s’adressant ou en ne représentant que des individus et non des êtres réduits à quelques stéréotypes censés les désigner.

Ces risques de dérive sont présents dans le domaine politique : les pays anglo-saxons n’ont aucun mal à admettre un classement des individus selon leur origine ethnique car ils acceptent volontiers l’existence de communautés vivant plus ou moins harmonieusement côte à côte au sein d’un même pays auquel elles sont fidèles. Et face à la situation sociale inférieure de plusieurs groupes ethniques en comparaison de la condition des « WASP » (White Anglo-Saxon Protestants) les Etats-Unis ont mis en place dans les années 1960 la « discrimination positive »… pour s’apercevoir, plus de 40 ans plus tard, que le problème est bien plus social que racial et qu’il doit être traité comme tel.

La conception française est différente : elle ne connaît que des citoyens, quelle que soit leur origine ou leur appartenance ethnique ou religieuse. C’est la raison pour laquelle, jusqu’à présent, la France a refusé de classer les individus en fonction de ce type de critères, même si cela l’empêchait de mesurer les discriminations « raciales » [1] ou religieuses.

Une évolution est peut-être en train de se produire puisque M. Yazid SABEG, Commissaire à l’égalité des chances, souhaite que, dans certaines enquêtes sociologiques, soit pris en compte le sentiment d’appartenance des personnes à tel ou tel groupe. Cette proposition soulève de vifs débats, les organisations antiracistes et le Président de la HALDE s’étant, parmi d’autres, opposés à cette proposition. Les récentes déclarations du Président de la République montrent cependant qu’après avoir songé à favoriser la discrimination positive, qui suppose nécessairement de prendre en compte l’origine des personnes, il semble avoir abandonné cette idée.

Ce débat est en toile de fond de questions concernant la diversité d’origines [2] dans la publicité : comment mesurer, en effet, les pourcentages de « Noirs », de Maghrébins ou d’Asiatiques, dans les annonces presse, les affiches ou les spots télévisés, sans prendre en compte une apparence ethnique ? Et si on ne le fait pas, comment constater que la publicité reflète peu ou prou la diversité actuelle de la société française dans laquelle les immigrés de fraîche date, Français ou non, représentent sans doute environ près de 15 % de la population ?

L’ARPP a choisi clairement la première méthode avec les risques que cela comporte, mais comment peut-elle faire autrement ? On a pu mesurer ainsi une progression sensible de la diversité dans les publicités (de 3 % en 2005 à 7 % en 2008 des personnages sur une période annuelle) mais avec les constats suivants :

  • Une présence importante de personnages noirs dans tout ce qui concerne la musique ce qui relève à la fois d’une réalité socio-économique et d’un stéréotype. Il en va de même pour les publicités en faveur de l’humanitaire et des voyages, ce qui n’a guère de signification.
  • Un accroissement de la diversité dans les publicités de cosmétiques, ce qui correspond à une réalité physique et donc économique puisqu’on ne peut traiter toutes les peaux de la même manière. Cet accroissement existe aussi dans les publicités en faveur de produits technologiques ou financiers, ce qui est plus signifiant.
  • Une minoration des populations issues de la diversité dans les représentations de cadres ou de milieux dirigeants. On est là aussi à la fois dans la réalité sociale et le stéréotype.

Quelles sont les règles que le CEP et l’ARPP peuvent se fixer en ce domaine ?

1) Il y a d’abord un écueil à éviter : ce sont les publicités communautaristes. Aux Etats-Unis, il existe des spots ou des annonces dédiés à des groupes ethniques (Noirs ou « Latinos ») et même des agences spécialisées dans la communication à leur égard. Cela n’est pas conforme à notre culture intégratrice, mais n’interdit pas, bien entendu, des publicités en faveur de tel ou tel groupe religieux (annonces pour des produits « hallal » ou cacher, par exemple) ni même des annonces pour quelques produits cosmétiques particuliers.

2) La meilleure règle est… de ne pas en avoir : la diversité peut sans doute être mesurée avec prudence dans la publicité, avec des difficultés prévisibles, inhérentes à un genre qui peut conduire à des dérapages liés à la catégorisation des personnes (va-t-on compter les métis, les quarterons, les octavons ?… Les enfants de mariages mixtes entre Maghrébins et européens doivent-ils être rendus visibles –comment– et comptabilisés ?) Les publicitaires savent de toute manière que toute segmentation, fut-elle fine, est toujours insuffisante ou dépassée, et qu’il ne faut jamais omettre l’universel. Il n’est pas non plus possible d’envisager des quotas, pour faire correspondre le nombre de représentants de chaque catégorie de la diversité avec sa place et son poids réels dans la société française, au demeurant non connus précisément.

3) Faut-il ne pas agir pour autant, sauf faire le point sur la situation périodiquement ? Si on peut constater des progrès sensibles ces dernières années, c’est grâce à une sensibilisation sur le sujet liée à des demandes du CSA pour les programmes de télévision, à des alertes d’organisations diverses, à la presse, etc. C’est dans cette voie d’incitation qu’il faut continuer, sans obligations, directives et encore moins sanctions. La publicité est le reflet, avec souvent un effet retard, de la société française. Continuons à aider les annonceurs, pas toujours suffisamment sensibles au sujet, et les agences à prendre conscience de ce retard par rapport à la réalité, et le problème pourrait être réglé dans quelques années.

Avis du conseil de l’Ethique Publicitaire, publié le 28 décembre 2009

[1] On sait que les scientifiques ont renoncé depuis longtemps à la notion de « race » qui n’a aucun sens biologique. Le mot figure cependant dans le Préambule des Constitutions de 1946 et 1958. Mais si la « race » n’existe pas, le racisme, lui, est une notion bien réelle, qui consiste à valoriser (ou dévaloriser) des différences le plus souvent supposées.
[2] On n’aborde pas ici les diversités liées au genre, aux orientations sexuelles, au statut social, etc