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Avis du CEP « publicité du luxe »

La crise crée-t-elle une rupture dans le rapport de la société à la publicité, particulièrement à la publicité en faveur du luxe (culpabilité pour ceux qui peuvent y accéder, dégoût et frustration pour les autres) ?

Face aux nouvelles attentes de la société française, fait-elle émerger de nouvelles valeurs (durabilité, transmission, ancrage dans la culture) ou ne fait-elle qu’amplifier des tendances existantes ?

Périmètre /définition :

Comment peut-on définir la publicité du luxe ? Il serait tentant de la circonscrire (objectivement ?) par le prix des biens ou services dont elle fait la promotion, mais sur quel(s) standard(s) ?

On retiendra donc la perception relative que l’on peut avoir du caractère luxueux de ces biens et services, en observant, d’un point de vue méthodologique, que la relative homogénéité sociale du CEP introduit inévitablement un biais, puisque le présent Avis peut difficilement échapper aux représentations sociales d’un groupe donné.

La dimension statutaire et élitiste du luxe est essentielle : la consommation réelle ou fantasmée (via la publicité) du produit donne à son bénéficiaire le sentiment d’être propulsé dans un groupe social supérieur au sien :  plus raffiné, plus favorisé, plus envié, plus « parisien », etc…

Pour Hélène Delpont, d’Ipsos Connect : les « bénéfices exprimés (dans la publicité de luxe) doivent être de nature émotionnelle ou sensorielle et jamais rationnelle, mais toujours renforcés par des dimensions statuaires et élitistes. ». 

La publicité du luxe est également marquée par une différenciation dans l’exécution. « Un soin, une attention toute particulière donne cette dimension artistique unique. Les photos sont des œuvres d’art. »

Le contexte sociétal :

1. Des éléments permanents :

Ainsi, l’acceptation (et la fierté à l’égard) des voitures de luxe que l’on constate dans d’autres pays n’est pas de mise en France, expliquant entre autres que le segment du luxe ait été totalement abandonné par nos constructeurs automobiles. La polémique ouverte par l’utilisation, par Dominique Strauss-Kahn, de la Porsche d’une connaissance en fournit un autre exemple, de même que le projet de taxation des biens de consommation ostentatoires en 2018, ou encore la fréquence (et le succès de vente) des couvertures de la presse hebdomadaire d’actualité sur le « train de vie des riches. »

2. Des éléments en cours d’installation ou émergents

3. Comment la publicité évolue-t-elle, dans ce contexte ?

Le luxe élargit le cercle de ses ambassadeurs (blogueurs et influenceurs), épouse les médias de la génération Y (réseaux sociaux – Youtube, Instagram) et les formes narratives qui sont les siennes : webdoc, websérie, gamification, réalité augmentée. L’image ne se construit plus sur papier glacé.

Entamé en 2009 (le live du défilé Louis Vuitton sur Facebook) le mouvement s’est poursuivi avec Dior en 2011, sous la forme d’une vidéo virale avec l’actrice Marion Cotillard, et atteint désormais toutes les marques du luxe.

Olivier Billon, fondateur de l’agence de communication Ykone qui se revendique leader français de « l’influencer marketing » pour les marques mode, beauté et luxe, expose que, bien que nombre de ses clients fassent part de doutes quant à leur efficacité (en moyenne 1,7 % de followers interagissent avec la marque), de plus de plus de marques de cet univers (comme la gamme Waso de Shiseido) n’ont plus recours, dans leur stratégie marketing de «captation du temps d’attention », qu’aux influenceurs.

La base de données d’Ykone recense 15 000 influenceurs, dont la « durée de vie » moyenne, hors exception, est de 3 à 4 ans, et dont l’adaptation à la cible et au projet du client est calculée par algorithme. Ces influenceurs, à l’image d’une « Enjoy Phoenix » (3,7 millions de followers sur Instagram) ou d’une « Studio Danièle » (une blogueuse de 63 ans aux 4 millions de followers) doivent être « organic », « authentiques », et « spontanés », leur succès reposant sur un contrat de confiance et de sincérité.

La fonction thérapeutique, voire existentielle, de la publicité ne semble pas remise en cause. Elle se trouve même amplifiée par la crise (nécessité du rêve et du lâcher prise). Le désir demeure intact, même si l’imaginaire qui nourrit ce désir évolue.

La publicité doit continuer à construire la désirabilité du luxe. Le pouvoir d’évocation doit être entretenu pour l’avenir, tout en intégrant les nouvelles aspirations en termes éthiques et sociaux. De toute évidence, le luxe s’est déjà adapté.

D’une part, les marques du luxe ont entamé, en dehors de l’espace de communication que constituent les campagnes pour leurs produits, une démarche de justification qu’on retrouve dans leur discours « corporate » :

Encore faut-il que cette quête de cohérence ne soit pas mise à mal par les impératifs de la rentabilité ou les réalités de l’économie de marché. Ainsi, quand deux géants de la mode, représentant à eux deux 15 % de la vente de produits de luxe dans le monde, annoncent (septembre 2017) à grand renfort de communication, vouloir «  frapper vite et fort » pour changer les pratiques de la profession, nuisibles au « bien-être » des mannequins en renonçant à faire défiler sur les podiums des jeunes filles de taille … 32 , sont-ils sensibles au décalage qui existe entre « l’ engagement » dont ils se prévalent et le chemin qui reste à faire pour répondre aux enjeux éthiques de cette industrie ?

D’autre part, les marques de luxe ont fait évoluer significativement le contenu de leurs créations publicitaires :

4. Quelles recommandations de nature éthique peut-on faire à la publicité ?

Pour le psychanalyste Samuel Lepastier, non seulement la présence dans l’espace public de publicités pour les produits ou services de luxe, y compris dans un contexte d’inégalités sociales et de difficultés économiques ne fait pas vraiment problème, mais elle aurait même une fonction positive : en descendant dans la rue, la publicité du luxe serait ainsi consommée par chacun, et de ce fait, rendrait possible une appropriation au moins symbolique du luxe.

Le constat partagé par les membres du CEP est que les réflexions échangées et les auditions menées pour aboutir au présent Avis n’ont pas fait émerger de problèmes éthiques qui seraient spécifiques à la publicité en faveur du luxe.

Au-delà, le CEP constate que les critiques qui accompagnent parfois la publicité du luxe cachent le plus souvent une désapprobation, voire un rejet du luxe lui-même : le registre devient alors celui de la morale individuelle, non celui de l’éthique publicitaire professionnelle.

Indépendamment des considérations d’ordre philosophique ou moral qui ont pu être échangées sur le risque que le recours massif aux influenceurs n’amène à la perte, par toute une génération, de la perception des priorités économiques (l’office de tourisme de Dubaï , par exemple, invite en business class 200 jeunes blogueurs par trimestre), les travaux du groupe ne débouchent donc pas sur des recommandations d’ordre éthique.

L’évolution même du marketing d’influence – du simple « placement de produit » d’il y a 5 ans vers une démarche créative qui rejoint, dans sa sophistication, la création publicitaire classique – pose en des termes différents l’obligation professionnelle d’identifier clairement le caractère publicitaire du message.  En tout état de cause, cette problématique de la visibilité n’est pas propre à la publicité du luxe.

En conclusion, il semble au CEP que la publicité du luxe pourrait toutefois poser un problème déontologique dans deux types de situations :

Cet avis piloté par Pascale Marie, Rapporteur, réunit et synthétise les réflexions du groupe de travail  du CEP composé de Myriam Boucharenc, Zysla Belliat, Dominique Blanchecotte, Alain Grangé-Cabane, Samuel Lepastier, Pierre-Marie Lledo, Rémy Sautter.

Paris, le 8 octobre 2018

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