Le Conseil de l’Éthique Publicitaire a émis un nouvel avis relatif à la communication des produits de santé.
Conformément à sa mission, le CEP a analysé le contexte historique et social de la thématique pour, ensuite, évaluer la réglementation et la déontologie applicables.
Le Petit Robert définit la santé stricto sensu comme « le bon état physiologique d’un être vivant« .
De manière plus large, il n’est pas interdit d’y voir « un état de complet bien-être physique, mental et social. Cet état ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » selon le préambule à la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé, inchangé depuis 1946.
Observons d’abord que cette notion est profondément relative. Elle varie selon les individus, par exemple selon que depuis ma naissance j’ai toujours été malade ou au contraire « solide comme un roc ». Elle diffère dans le temps : être « en bonne santé » aujourd’hui n’a plus rien à voir avec ce qu’il en était avant l’apparition des sulfamides ou des antibiotiques. Elle varie selon les lieux : la perception de la santé d’un Suédois n’a rien à voir avec celle d’un Haïtien.
1) Dans nos sociétés développées, le paradoxe est que la consommation de biens ou de produits de santé s’apparente à celle de la plupart des autres biens ou services, mais qu’en même temps, la santé est d’une nature différence de celle de la plupart des autres besoins.
Avec le progrès économique et social, l’achat de médicaments ou une consultation médicale deviennent des actes plus simples de la vie quotidienne.
Et pourtant, nul ne conteste que la santé n’est pas un « bien comme les autres ».
D’abord elle fait partie des deux ou trois besoins de base de l’être humain, avec la nutrition et la sécurité, sans lesquels les individus ne peuvent survivre, ni les sociétés se développer.
D’autre part, le « consommateur » de santé est toujours plus ou moins dans un état d’infériorité vis-à-vis du « professionnel de santé » à qui il s’adresse ; qu’il soit réellement malade – ou qu’il ait la simple crainte d’être malade -, d’une part, il exprime un besoin de soins souvent urgent (ou ressenti comme tel), d’autre part, il est immédiatement dans une situation où son libre arbitre est parfois altéré, où il est volontiers prêt à accepter recommandations ou prescriptions.
Par voie de conséquence, il n’est pas, le plus souvent, en mesure d’apprécier la valeur et le coût-avantage du service rendu.
Par ailleurs, et paradoxalement, face à la demande de soins souvent impérieuse, les prestations de santé ne procurent pas, dans la plupart des cas, une satisfaction comparable à celle que l’on retirerait de l’accès à un bien ou service existant dans la vie normale ; classiquement, l’individu est ici dans une situation particulière.
2) Enfin, nos sociétés développées ont construit une conception du « droit à la santé », qui, non seulement est garantie de manière solennelle (ainsi, en France, est-ce un droit garanti par la Constitution de la République), mais qui en outre est devenu pratiquement sans limites.
Ce droit est d’abord garanti à l’individu. Depuis les premiers systèmes de « sécurité sociale » (Bismarck en Allemagne, Lord Beveridge au Royaume-Uni, à la Libération en France), on n’a cessé d’étendre à un nombre croissant de populations le bénéfice d’un droit général à la santé. Cette universalité (ou presque) s’explique par des raisons philosophiques (quelle que soit sa situation sociale ou professionnelle, tout homme a droit, au nom de la dignité, à accéder aux moyens de recouvrer sa santé) ; elle tient aussi à des raisons hygiénistes : en soignant un individu malade, notre société réduit les risques de contamination ou d’épidémies ; le droit « individuel » à la santé devient ainsi un droit collectif.
Par voie de conséquence, il doit tendre à la gratuité, afin qu’il cesse d’être une liberté formelle pour devenir un droit social. C’est de la même manière que se justifie le développement de toutes les formes de dépistage et de prévention.
Cette généralisation entraine que la demande de soins n’est pas directement déterminée par l’état pathologique mais résulte davantage de sa perception par le patient ou son entourage. L’accès croissant du public à une information sur les progrès thérapeutiques entretient le risque de croire à un droit permanent à la santé. Cet écart croissant entre l’optimum de ce qui peut être espéré et l’accès aux soins réels entraine souvent insatisfaction et frustrations, en dépit de l’amélioration objective du service rendu au patient.
3) L’importance croissante de la santé dans les préoccupations de l’homme entraine son poids croissant dans nos sociétés.
Cela tient tout d’abord à des réalités démographiques : non seulement nous sommes de plus en plus nombreux, mais encore nous vivons de plus en plus longtemps ; or c’est dans les dernières années de vie des individus que leurs dépenses de santé s’accroissent le plus, voire « explosent ».
D’autre part, le coût des prestations de santé ne cesse d’augmenter, avec l’apparition de nouveaux traitements, toujours plus diversifiés et toujours plus sophistiqués.
La généralisation de la prise en charge des dépenses de santé par la collectivité, sans aucun rapport avec le coût réel ou les cotisations versées (avec comme point ultime le « tiers payant ») fait que le consommateur de prestations de santé a désormais perdu toute notion du coût réel des dépenses dont il bénéficie ; il a donc toutes les bonnes raisons d’en demander « toujours plus ».
Le phénomène est encore aggravé par une dérive de l’hygiénisme qui conduit à la « médicalisation » croissante d’un certain nombre de problèmes sociaux, voire à l’hyper-médicalisation de nos sociétés. Lorsqu’une question, individuelle ou sociale, peut être apparentée à une maladie, cela accroit son importance et son « sérieux » et cela permet de poser qu’elle est susceptible de justifier d’un traitement approprié et efficace. Les industriels eux-mêmes ont été entrainés dans ce mouvement – voire l’ont suscité – en tentant de « médicaliser » la présentation de certains produits pour leur donner une légitimité accrue ; d’où la vogue des « alicaments » (produits alimentaires présentés comme ayant des vertus médicales) ou des « cosméceutiques » (produits cosmétiques s’appropriant des qualités thérapeutiques).
4) Compte tenu du poids à la fois énorme et croissant de la santé dans nos sociétés, il n’est pas étonnant que la publicité s’en soit emparée.
Cette publicité présente plusieurs traits particuliers.
D’abord, la communication des médicaments et des produits thérapeutiques est très strictement réglementée : interdite depuis 1941 dans les médias grand public lorsqu’elle concerne les produits de santé soumis à prescription et à remboursement par l’assurance maladie, elle est, dans les autres cas, soumise à l’autorisation préalable de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Les dispositifs médicaux connaissent également une réglementation contraignante. S’y ajoute la législation européenne qui n’autorise depuis 2012 qu’une liste limitative et validée des allégations santé, utilisables pour la publicité des produits et compléments alimentaires. Il s’agit de faire disparaître des communications publicitaires toute promesse de santé qui ne reposerait pas sur des faits avérés.
Ensuite cette publicité est « impliquante » : de fait, elle parle à ce qu’il y a de plus profond en nous : notre corps, notre bien-être, notre survie, notre bonheur, notre mort (en creux)…
Nul doute qu’elle véhicule des torrents d’implicite et de sensations. Certes aucune publicité ne se borne à présenter factuellement un produit (ou un service) ; elle entend toujours suggérer des valeurs, des attraits, des bienfaits associés audit produit, tous « bénéfices » que je vais m’approprier en acquérant ce bien.
Dans le cas des publicités relatives à la santé, la « promesse » peut devenir tonitruante pour le consommateur qui se trouve « dans la cible ».
Très désirée et appréciée, la publicité « santé » est, tout aussi paradoxalement, fortement critiquée sur un terrain moral : est-il admissible de « faire de l’argent » sur le malheur ou la douleur de nos concitoyens ?
Elle peut être aussi critiquée sur le terrain civique en ce qu’elle favorise les dépenses publiques.
En conclusion, ce nouveau paradoxe explique le statut particulier des publicités relatives à la santé.
Puisque la revendication de santé est – comme on l’a vu au début de cet avis– devenue générale, sa publicité doit être soumise à l’ensemble des règles (notamment auto-disciplinaires) applicables à tout produit. Néanmoins, le caractère exorbitant de la santé entraine que sa publicité obéisse aussi à des règles spécifiques et globalement plus strictes, édictées par le législateur, national ou communautaire. Il faut bien garder à l’esprit ces deux niveaux de réglementation.
N.B. : Cet avis s’articule sur certains points avec celui publié par le CEP en janvier 2009 relatif aux campagnes d’opinion et de publicité non commerciale (https://www.cep-pub.org/Avis-sur-les-campagnes-d-opinion.html)
Télécharger l’avis du CEP :
Avis publicité et produits de santé
Paris, le 8 août 2013