Avis du CEP « Emploi de la langue française dans la publicité »

Le constat

Les membres du Conseil ont d’abord observé que la langue française constitue chaque année le premier motif d’intervention du BVP (ancien nom de l’ARPP) en avis TV préalable à la diffusion. Ainsi, en 2006 sur les 1 528 demandes de modifications exprimées, 20% concernaient l’emploi incorrect de la langue française, avec une augmentation de plus de 6 % par rapport à 2005.

Le Conseil a cependant noté que les problèmes soulevés par le manque de respect de la langue française par la publicité différaient beaucoup entre eux par leur nature : les interventions du BVP concernent soit l’emploi de termes étrangers, notamment l’anglais en lieu et place du français, soit des fautes de grammaire et d’orthographe, soit enfin des termes grossiers ou incivils. Ces questions de natures différentes, constatées sur l’ensemble des supports publicitaires, appellent des analyses et des actions séparées. On ne peut les amalgamer.

Le Conseil a ensuite établi que cet état de choses ne suscitait pas de réaction uniforme, dans la société civile comme dans les milieux professionnels. Pour les uns, la préférence accordée à l’anglais, par exemple, est vue comme une facilité dommageable pour l’identité française, pour la cohésion sociale ou l’égalité des chances. Ceux là vont jusqu’à dire que la publicité manifesterait ainsi une forme de conformisme, reflétant un manque de créativité, voire une facilité pseudo-créative à laquelle succomberaient certains publicitaires. Ceci, alors même que la langue française, recèle des trésors de créativité, comme le montrent bien des campagnes.

Pour d’autres, en revanche, ce phénomène est compréhensible, compte tenu de la culture anglo-saxonne dans laquelle les créatifs – jeunes – puisent naturellement leur inspiration. Compréhensible également au regard de l’internationalisation croissante de certaines campagnes de publicité. De même, une rigueur grammaticale ou langagière excessive va à l’encontre de l’évolution de notre langue, comme de la liberté de création. Dans notre langue aussi on peut accepter des innovations, voire des transgressions parfois enrichissantes pour la créativité. La publicité, il faut le rappeler, ne fait le plus souvent, dans ce domaine comme dans d’autres, que refléter les évolutions de notre société.

De même, un emploi incorrect de la langue française, en termes d’orthographe ou de grammaire, peut relever, dans certains cas, d’une négligence ou d’une méconnaissance, non volontaires certes, et sans doute imputables à une formation insuffisante. Dans d’autres cas, cela peut être une modalité de créativité publicitaire, recherchée et voulue pour répondre à une stratégie de communication précise.

Recommandations

Pour voir plus et mieux utiliser la langue française dans la publicité, le Conseil estime qu’il convient surtout de susciter l’envie chez les publicitaires de se réapproprier, pour plus de créativité, cette langue qui doit leur apparaître aujourd’hui comme moderne, jeune et source d’innovations.

Ainsi renforcer la loi Toubon, dans ses décrets d’application, n’est pas une solution dans la mesure où cela ne résoudra en rien le manque d’appétence dont souffre la langue française. Il faut donner envie plutôt qu’interdire.

Sans prétendre pouvoir résoudre tous ces problèmes à la fois, les membres du Conseil mettent l’accent sur les pistes suivantes :

1. Rappeler aux annonceurs, aux agences et aux médias, par des moyens divers tels des tribunes dans la presse professionnelle, des colloques, des prises de parole auprès de jurys de créatifs publicitaires, que l’utilisation du français peut servir la qualité de leurs campagnes, et la place des entreprises françaises, notamment lorsqu’elles appartiennent à des groupes internationaux. Le rôle des concepteurs-rédacteurs est à cet égard essentiel. A ce titre le recrutement et la formation des concepteurs-rédacteurs de la part des agences doit impérativement tenir compte de leur aptitude à manier et respecter la langue française. La vigilance que doivent exercer les annonceurs qui commandent et signent les campagnes, et leurs slogans, n’est pas moins importante.

2. Faire valoir en particulier qu’un certain nombre de grands slogans écrits en français, au delà de leur valeur de mémorisation, ont basculé dans le langage courant. C’est le cas du “contrat de confiance” de Darty, du “j’en ai rêvé Sony l’a fait”, de la “petite claque aux mauvaises odeurs” d’Air Wick, du “ciel le plus bel endroit de la terre” d’Air France et de bien d’autres. A noter qu’il y a actuellement dans toute l’Europe, une campagne Dior avec une accroche en français : “Dior, j’adore”, ce qui prouve que le français, quand il est bien utilisé, est tout autant efficace que l’anglais. Il est souvent, et le sera de plus en plus, un facteur de différence dans un univers en apparence de plus en plus anglo-saxon.

3. Souligner l’intérêt que les Français portent aux néologismes ce qui devrait inciter les publicitaires à y recourir eux aussi. (partout on cite “abracadabrantesque” ou “bravitude”). On trouve dans les pays francophones au Canada, en Afrique, au Moyen Orient, en Asie, dans les 10 collectivités des Outre-mers un nombre incalculable d’innovations dignes de reprises. On doit aussi mettre en lumière des utilisations contemporaines du français, notamment en provenance de nos banlieues, qui participent avec vigueur et invention à l’évolution de notre langue. A ce titre, il peut être intéressant de valoriser les trouvailles linguistiques autour du français et de rendre publique, une fois par an, une sélection de messages parmi les plus innovants en matière linguistique. Et ce, en tenant compte de toutes les manières de parler le français, dans l’Hexagone, l’Outre-mer et la francophonie. La langue française n’est pas limitée à l’Hexagone, bénéficie des inventions qui ont lieu ailleurs, qui l’enrichissent et lui donnent une dimension mondiale.

4. Montrer aussi que dans le monde, le français est, avec l’anglais et sans doute l’espagnol, une langue présente sur tous les continents. Cette forte implantation lui donne, dans la mondialisation, des atouts que la publicité pourrait davantage utiliser. S’y ajoute le fait que la France dispose de deux grands groupes mondiaux de publicité, avec des agences réparties sur toute la planète, ainsi que des annonceurs puissants communiquant sur des marques à rayonnement international. Il y a là des motifs de penser que la langue française peut rester une source vigoureuse de créativité et d’efficacité dans et pour la publicité.

Avis du conseil de l’Ethique Publicitaire, publié en 2007