5 QUESTIONS A THIERRY LIBAERT AUTEUR DU RAPPORT:

« Pour une consommation plus durable, en phase avec les enjeux européens »

L'actualité des membres du CEP

Thierry Libaert, conseiller au Comité Economique et Social Européen, membre du Conseil de l’éthique publicitaire a remis fin janvier 2019 son rapport sur la consommation durable à François de Rugy, ministre de la Transition écologique et solidaire, et Brune Poirson, secrétaire d’État. Commandé par Nicolas Hulot dans le cadre de la Feuille de route du gouvernement pour l’économie circulaire (FREC), le rapport permet de dépasser le sujet polémique de l’obsolescence programmée pour s’intéresser aux conditions concrètes d’une transition vers un modèle de consommation privilégiant le durable au jetable, et qui soit synonyme de création de richesses, d’innovation et d’emplois. Il s’inscrit dans le « momentum » ouvert par la perspective du débat parlementaire prochain autour du projet de loi « pour une économie circulaire et une meilleure gestion des déchets ».

Rappelons que le Conseil de l’éthique publicitaire a inscrit à son ordre du jour pour l’année 2019 un projet d’avis sur le thème : « Transition écologique et Publicité. »

CEP : Comment définissez-vous la consommation durable ?

Thierry Libaert : J’aime assez celle proposée par l’OCDE en 2002 : « La consommation de biens et de services qui répond aux besoins fondamentaux et à la qualité de vie sans mettre en danger les besoins des générations futures ». L’idée à laquelle je crois fortement est qu’il ne peut y avoir de transition écologique sans remise en cause de nos modes de consommation, et que le meilleur vote pour l’écologie est celui que nous effectuons quotidiennement avec les tickets de caisse.

Pourquoi est-il important d’avancer au plan européen, et pas seulement au plan national ?

T.L. : Pour trois raisons. D’abord, et c’est le plus évident, en raison de l’interconnexion des marchés. Ensuite parce que nos marges de manœuvre sont parfois contraintes, à l’exemple des durées légales de garantie ou de la TVA sur les activités de réparation. Enfin, parce qu’une attitude européenne commune nous place en position de force par rapport aux entreprises américaines ou du Sud-Est asiatique.

Parmi vos 50 propositions, quelles sont les 3 actions prioritaires ?

T.L. : L’information du consommateur sur la durée de vie estimée du produit est réclamée par 92 % des consommateurs en France comme en Europe. Cette mesure a été soutenue à la quasi-unanimité par le Comité Economique et Social Européen et par le Parlement Européen. Elle a des effets bénéfiques sur l’incitation à acheter des produits plus durables, même avec un prix plus élevé.

Il faut sensibiliser le consommateur aux impacts environnementaux et sociaux d’une meilleure durabilité des produits. La moitié des produits qui tombent en panne le sont en raison d’un manque d’entretien. Nous considérons trop souvent obsolète un produit dont les performances baissent et non plus lorsqu’il tombe en panne. Et 44 % des appareils électroménagers (et plus de 80 % des smartphones) sont remplacés en parfait état de fonctionnement, cela renvoie au rôle de la publicité ; je me félicite donc de l’ouverture d’un nouveau groupe de travail sur ce thème au sein du Conseil de l’Ethique Publicitaire.

Enfin, avant de faire de nouvelles lois, faisons appliquer les textes existants. Combien de distributeurs affichent réellement la disponibilité des pièces détachées, combien vendent des extensions de garantie pourtant couvertes par la garantie légale ? La DGCCRF et un grand nombre d’associations de consommateurs réclament une meilleure application des lois existantes.

Vous préconisez l’axe de la durabilité, plutôt que celui de la réparabilité. Votre rapport n’arrive-t-il trop tard, alors que le projet de loi du gouvernement « pour une économie circulaire et une meilleure gestion des déchets » est déjà rédigé ?

T.L. : Je pense que la notion essentielle est celle de fiabilité. Les consommateurs ne demandent pas prioritairement de pouvoir faire réparer leurs produits, ils demandent à ce que ceux-ci ne tombent pas en panne trop rapidement. Il est vrai que sur la plupart des produits de consommation, une réduction de la durée de vie a pu être observée ces dernières décennies.

Le projet de loi est amendable et pour avoir pu discuter plus d’une heure directement avec François de Rugy et Brune Poirson, plusieurs de mes 50 recommandations ont éveillé leurs intérêts.

Quelle disposition de ce projet vous semble la plus efficace pour engager la société française vers une consommation durable, et qu’y manque-t-il, de votre point de vue ?

T.L. Le projet de loi est excellent sur l’instauration d’un indice de réparabilité, issu de longues discussions avec l’ensemble des parties prenantes. Mon sentiment est que le projet reste fortement marqué par une logique de réduction des déchets. Le sujet de la consommation durable nécessite une approche ambitieuse pour valoriser nos entreprises et améliorer la confiance envers leurs produits, créer de l’emploi, réduire notre empreinte environnementale. La crise des « gilets jaunes » nous rappelle que la transition écologique est impossible sans le soutien de la population. La consommation durable améliore le pouvoir d’achat au sens le plus large du terme et elle réduit notre impact environnemental ; cela nous permet une forte ambition.

Paris, le 12 février 2019