ARPP : En 2023, le Conseil de l’Ethique Publicitaire appelait à préserver la diversité linguistique et culturelle dans la publicité et la communication. Quelles en sont les raisons ?
Dominique Wolton : La question des langues est une des plus compliquées de la communication. Les échanges mondiaux, rapides et nombreux, nous portent à croire que tout devient plus simple grâce à l’usage, la domination de l’anglais et surtout du globish, symbole de “modernité”. Le problème n’est pas tant l’usage de l’anglais que la perte de l’identité culturelle des peuples, et les langues sont la première condition du respect de la diversité culturelle. D’ailleurs préserver toutes les langues, c’est la première condition pour échapper à la rationalisation et à la standardisation de la mondialisation. Prendre le temps de comprendre une langue, c’est respecter l’autre et faire cas de sa culture et de son patrimoine. La prise en compte des facteurs culturels et des aspirations démocratiques exige d’accepter la lenteur de la communication humaine. La vitesse de la communication technique n’a rien à voir avec la lenteur et la complexité de la communication humaine. L’interactivité entre l’homme et la machine est différente de l’intercompréhension.
ARPP : Début 2024, le CEP a inauguré un nouveau format de publication, les “alertes” du CEP. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
D.W. : Les avis sont le principal format d’expression du CEP. Ils proposent une réflexion sur un certain nombre de sujets dont s’empare le CEP. Nous avons souhaité enrichir nos modes d’expression avec un format plus court, pour permettre au CEP d’alerter les acteurs du secteur de la communication et de la publicité sur certaines dérives possibles. Indiquer aussi les controverses éventuelles. C’est ce que nous avons fait avec le thème de l’empathie, la bien-pensance et le conformisme dans la pub.
ARPP : Justement, qu’est-ce qui a mené votre réflexion pour cette alerte “Empathie, bien-pensance, conformisme : où va la pub ?”
D.W. : On vit dans un monde de plus en plus violent dans la société et dans les entreprises. Pourtant dans la publicité, qui incarne une vision de la société, tout est désormais édulcoré, aseptisé, très normé. Depuis quand n’avez-vous pas ri devant une pub ? On a perdu l’originalité et la transgression qui faisait le sel de la publicité. Que nous disent cette empathie généralisée et cette ardente bien-pensance ? Remettre en cause l’audace créative, c’est douter de l’intelligence du récepteur. C’est le risque d’avoir une vision simpliste et infantilisante des publics. Quelle est la conséquence de ce politiquement correct ? C’est la standardisation de la publicité, un affadissement des discours et des marques qui ne se distinguent plus les uns des autres. Les publicitaires ne peuvent pas se résigner, ils doivent résister à ce conformisme et faire vivre l’humour et la transgression dans l’espace public.
ARPP : L’an prochain, en 2025, le CEP fêtera ses 20 ans en même temps que les 90 ans de l’autorégulation professionnelle de la publicité en France. Pourquoi cette instance associée de l’ARPP est-elle toujours essentielle ?
D.W. : Le CEP est une instance qui résiste au temps. Elle est moins dans le flux, l’instantanéité et dispose d’un peu de recul pour réfléchir à la portée éthique des sujets comme la diversité linguistique, l’image des animaux, les stéréotypes et la représentation de la société, la question écologique, la place du corps, l’intelligence artificielle… La disputation et l’esprit critique règnent au sein de ce Conseil grâce à la diversité des profils, permettant une vision interdisciplinaire. Dans un contexte marqué par l’urgence, la vitesse et la superficialité, le temps plus long de la réflexion du CEP est un atout : c’est unique dans le paysage européen de l’autorégulation.
ARPP : Pouvez-vous nous dévoiler le sujet sur lequel le CEP va réfléchir ces prochains mois ?
D.W. : Le prochain sujet, c’est l’Europe ! “Penser, c’est comparer”. Il est urgent de réaliser un comparatif des systèmes d’autorégulation au niveau de l’Europe. Qu’est-ce qui nous distingue ? Qu’est-ce qui nous rapproche ? L’autorégulation est-elle toujours en avance sur la loi ? Sur quels sujets la loi rattrape-t-elle l’autodiscipline ? Quels sont les signaux faibles ? Y a-t-il une évolution du sentiment antipub au niveau européen ? Comment se manifeste la diversité culturelle ? C’est un vaste chantier dont s’empare le CEP, en collaboration avec l’Alliance Européenne pour l’Éthique en Publicité (EASA) et ses membres.