Avis du CEP "Diversité linguistique, culturelle et publicité"

Mars 2023


Tribune de Dominique Wolton, Président du CEP

La troisième mondialisation

Dominique Wolton Directeur de recherche au CNRS, fondateur et directeur de la Revue internationale Hermès Président du Conseil de l’éthique publicitaire

Dominique Wolton Directeur de recherche au CNRS, fondateur et directeur de la Revue internationale Hermès Président du Conseil de l’éthique publicitaire

La question des langues est une des plus compliquée de la communication. D’abord l’apprentissage requiert du temps. Ensuite la langue est toujours liée à un pouvoir, les langues dominantes étant caractérisées par la domination économique, politique et culturelle. Enfin l’ouverture du monde et le progrès des techniques simplifient et accélèrent les échanges sans que l’on se comprenne forcément mieux. Dernière difficulté, les langues sont depuis toujours des instruments de contrôle, mais aussi de révolte et d’émancipation. La principale caractéristique est sans doute la contradiction entre la complexité des langues et le rôle simplificateur de la langue dominante. Les langues sont donc depuis toujours à la fois un pouvoir, une voie de passage et une émancipation. Le paradoxe aujourd’hui est le suivant : les échanges mondiaux n’ont jamais été aussi nombreux et rapides et chacun en conclut que cette simplification est due à l’usage de l’anglais qui, en même temps est devenu la langue de la liberté et de l’émancipation. Apparemment tout s’est rationalisé alors qu’en réalité les difficultés, impasses et apories sont devant nous. On fait comme si tout se simplifiait quand tout se complique. La question de la langue est aujourd’hui au moins aussi complexe que celle de la diversité écologique, mais on suppose que tout va se régler avec cinq cents mots de globish…

UNE FAUSSE SIMPLIFICATION DE LA COMMUNICATION

Le schéma dominant aujourd’hui est le suivant : la mondialisation, l’ouverture, la modernité, l’augmentation des échanges obligent à une simplification de la communication apportée par l’acceptation de la domination de l’anglais. Oui l’anglais domine, mais c’est utile à tout le monde. Et l’anglais c’est aussi la liberté politique et l’émancipation. Bien sûr il faut garder les autres langues, mais à condition qu’elles ne soient pas un obstacle aux échanges. Et si la culture est essentielle, le progrès économique et les échanges ne le sont pas moins. Revendiquer l’importance des langues devient presque « réactionnaire ». C’est refuser le progrès et surtout la modernité. Etre moderne, c’est parler anglais, même mal, même très mal. L’identité est un combat d’arrière-garde. La résistance à l’usage de l’anglais a quelque chose de dérisoire et d’inutile. Une sorte de consensus de la modernité. Qui ne veut pas être moderne, notamment dans les milieux de la publicité et de la communication ?

Les langues, dans leur diversité, sont un peu le symbole du passé. A quoi cela sert-il de parler sa langue si personne ne vous comprend et réciproquement ? Le globish n’appartient d’ailleurs à personne ; il est une condition simple et rapide pour se comprendre. C’est même un progrès par rapport au tohu-bohu des autres langues, qui par la traduction « font perdre beaucoup de temps ». La modernité, c’est accélérer pour dépasser la lenteur, qui sont autant de conservatismes et potentiellement de conflits. Hier les langues enfermaient, aujourd’hui l’anglais dominant permet d’accélérer les ouvertures.

LA RÉVOLUTION DE LA TROISIÈME MONDIALISATION

Malheureusement la mondialisation a non seulement accentué le fossé entre les riches et les pauvres, mais elle a réveillé de plus en plus un combat pour le respect de la diversité culturelle. Et qui dit diversité culturelle, dit revalorisation du rôle de l’identité linguistique comme condition de l’identité culturelle. Les peuples acceptent de moins en moins la perte de leur identité culturelle, religieuse, patrimoniale. La revendication de la diversité culturelle devient centrale et avec au premier rang le respect des langues. L’identité change de statut. Hier obstacle à l’ouverture, elle en devient une condition pour échapper à la standardisation de la mondialisation. Et les langues sont la première condition de l’identité et du respect de la diversité culturelle.

Changement radical de problématique :le problème n’est plus l’anglais et les autres langues, mais quelle proportion acceptable entre toutes les langues ? Pas de mondialisation sans respect des identités culturelles, donc sans valorisation des langues. La perspective a changé. Demain le respect de la diversité culturelle sera aussi important que l’économie, la politique et la nature. Elle en devient même la condition. Les langues, une condition essentielle pour éviter les ravages de la simplification. Le problème n’est pas l’anglais, mais la capacité à préserver la place des autres langues et cultures pour éviter l’impérialisme de la standardisation et de la rationalisation. Il va falloir apprendre à faire cohabiter la vitesse des échanges et des techniques avec la lenteur et la complexité des échanges humains et sociaux. Le retour du religieux illustre aujourd’hui ce renversement et la place croissante des identités culturelles donc des langues.

C’est cela la troisième mondialisation : le rôle éminent de la culture et de la communication, à tous les sens du terme, à côté, et pas « en dessous » de la politique et de l’économie. Respecter les langues, c’est se respecter mutuellement et cohabiter. On est loin de l’anglais symbole de modernité et de liberté. Les langues se trouvent au cœur des antagonismes. Toutes les langues sont à sauver et à être reconnues. La domination linguistique sera contestée. La troisième révolution ? Quand il sera admis que la culture, la communication, les langues et les identités sont au cœur de la société. Oui le retour du pluralisme linguistique va ralentir et compliquer les échanges, mais c’est le prix à payer pour un peu plus d’égalité. Les langues se retrouvent au « balcon de la mondialisation ». Pas de diversité culturelle sans respect de la diversité des langues, et tout prend plus de temps. C’est sans doute la question de l’acceptation du ralentissement des échanges qui va être le plus difficile. La vitesse des échanges économiques et financiers contre la lenteur de la communication humaine. D’où la fascination à l’opposé pour la traduction automatique et les robots, pour essayer de conserver la vitesse technique d’hier par rapport à la lenteur de la communication humaine de demain. Oui tout se complique dans les échanges humains et sociaux. Et dans l’éducation il faudra préserver les langues maternelles (très souvent menacées de disparaître), les langues nationales et au moins deux ou trois langues étrangères. Veiller également à ce que, de l’économie aux services, à la publicité, aux relations internationales, il y ait une certaine acceptation de la diversité linguistique et culturelle. Un paramètre supplémentaire à respecter dans l’équilibre social.

On cherchait partout de la vitesse, de la simplification, de l’efficacité, on butte sur la complexité, la lenteur, la négociation, impossible à anticiper il y a 50 ans quand on pensait qu’avec la modernisation on allait vers plus de simplification et d’efficacité. Cette émergence de la troisième mondialisation – c’est-à-dire l’importance des facteurs culturels – au-delà des grandes déclarations de principes n’est pas facilement acceptée car tout sera plus compliqué. Mais ce règne de la complexité est le prix à payer, à la fois à l’échelle de la mondialisation et des aspirations démocratiques.

Le paradoxe ? Il y a 50 ans on était persuadé que la mondialisation allait simplifier les échanges, on sait aujourd’hui qu’elle les rend plus complexes et lents. Les milieux de la publicité et de la communication pourraient prendre à contrepied ceux qui ne voient dans la publicité et la communication que de la frivolité sans mémoire…

CINQ AGGIORNAMENTOS INÉVITABLES

1/ Le respect de la diversité culturelle est aussi indispensable, voire plus, que celui de l’écologie

En 50 ans on a compris que la diversité de l’écologie était indispensable, quel que soit le prix et le temps. Arriver à cette même conclusion est aussi important pour la diversité culturelle. On est loin d’y être arrivé. Les effets de domination sont ici beaucoup plus puissants. Et pourtant il faudra là aussi du respect mutuel, avec sans doute une difficulté supplémentaire. Rien ne dit que les hommes seront plus sages entre eux avec le respect de la diversité culturelle… En tout cas, c’est beaucoup plus compliqué qu’avec l’écologie où les choses ne sont déjà pas simples. Il suffit déjà de voir les comportements sociaux des écologistes entre eux, pour réaliser qu’avec le respect de la culture, de la communication, des identités, tout sera encore plus compliqué. Les écologistes ne sont pas vertueux, le respect de la diversité culturelle ne donnera pas non plus naissance à une société plus paisible. Mais ces deux révolutions sont inévitables à mener, même si tout sera plus compliqué. Surtout pour la diversité culturelle car il s’agit du rapport à l’autre.

2/ Changer de conception de l’identité

Elle n’est pas un symbole du passé et de l’obscurantisme, mais la condition d’un minimum de respect mutuel dans un monde ouvert. Pas de mondialisation sans respect des identités. Mais pas une identité figée et académique. Oui à l’académisme des langues à condition aussi de les laisser vivre et se développer dans tous les sens. La langue c’est d’abord de l’anarchie ! Là aussi les milieux de la communication peuvent être précurseurs. Sauver les identités et inventer. Oui à l’Académie française, à condition qu’il y ait simultanément une académie des langues françaises et francophones dans le monde. Avec tous les désordres des inventions, la France est le cœur de la Francophonie [1] , mais elle n’en a plus le monopole. Vive la Francosphère [2] , c’est-à-dire la Francophonie face au monde, avec tous les bricolages, les inventions pour une langue dont plus personne n’est propriétaire. Oui à tous les mélanges de langues et d’histoires. Se mélanger, cohabiter, s’ouvrir à l’autre mais conserver son identité et d’abord linguistique, la première de toutes. Les modes de vies se ressemblent, pas les cultures et leurs diversités.

3/ Sortir de la vitesse et de la rationalité du numérique

Pas de diversité culturelle sans un minimum de lenteur. Le contraire du numérique. Recenser les lieux et les moments où tout peut aller vite et préserver les activités où il faut apprendre à perdre du temps et à négocier.

La négociation ou les limites du temps numérique. Revenir sur l’existence d’un modèle simpliste de l’échange, où l’on serait rapidement d’accord, alors que c’est l’inverse qui se produit. Plus il y a d’échanges, plus c’est compliqué et lent. Un dialogue musclé avec la jeunesse est ici indispensable, car elle croit trop que la vitesse des échanges augmente l’intercompréhension. Lui rappeler rapidement que les « rapports numériques » ne sont pas plus simples que les « rapports affectifs ». Ce n’est pas parce que c’est apparemment plus simple que c’est réellement plus facile. Le numérique a fait croire depuis plus d’une génération que demain serait plus rapide, plus rationnel, plus harmonieux… La vitesse n’a rien à voir avec l’efficacité, surtout s’il s’agit de rapports sociaux… Il y aura des conflits vitesse – identité – culture. Mieux vaut les éviter en organisant au plus vite des négociations et des cohabitations.

4/ Respecter les langues, c’est respecter le temps

D’où l’importance de tout ce qu’apporte l’acceptation de la durée. A commencer par la traduction, l’interprétation, l’érudition… Tout ce qui est au-delà de la culture numérique. Retrouver la tradition et les anachronismes. S’échapper de la modernité, de ses dérives, et de la performance. Retrouver une certaine modestie. Y compris et peut-être surtout avec l’économie et les affaires. La recherche, l’éducation, l’art, les sciences et les religions admettent l’importance de la durée, pourquoi pas l’économie et la finance ? La vitesse, finalement, ce n’est que de la spéculation… C’est aussi une certaine vision de la « modernité » qu’il faut oser critiquer.

Finalement les langues par leur lenteur, leur complexité, leur irrationalité sont un bon rappel à l’ordre. Elles rappellent, au-delà de l’économie et de la politique, la force de l’anthropologie.

La Francosphère, par l’hétérogénéité de ses racines et ses valeurs est un bon exemple du lien entre langue, diversité, patrimoine et adoption. C’est encore plus vrai pour les langues romanes qui, avec un milliard de locuteurs, rappellent l’importance de cette diversité-créatrice. Casser le moule d’un certain modèle mélangeant « vitesse et rationalité » est indispensable pour construire la négociation et la cohabitation culturelle. Dès qu’il y a des langues, il y a de la négociation entre des idéologies, des stéréotypes, des modèles relationnels, politiques, culturels.

D’ailleurs le mot traduction symbolise bien l’importance du temps et la nécessité de cette cohabitation pacifique entre les cultures et les langues. Ni les robots ni la traduction automatique ne peuvent quelque chose face à l’épaisseur de l’histoire. Les langues n’empêchent pas les guerres, mais les respecter permet un peu plus de négociation.

5/ L’Europe illustre toutes les apories de la diversité culturelle

Les conflits, l’Europe les a tous connus, et elle avance « en crabe » pour éviter d’y retomber. Tout le monde ici connait l’importance vitale du respect nécessaire de la diversité culturelle, mais aussi le risque de se perdre dans ce qui pourrait être une sorte de réification dangereuse. Le passé et le patrimoine sont indispensables, mais ils sont aussi des pièges. Il faut à la fois ne rien oublier du passé et regarder sans cesse vers l’avenir pour éviter d’être emprisonné par l’Histoire. La diversité culturelle est une bombe à retardement si on oublie trop le passé, mais en même temps l’Europe ne peut être un musée de la diversité culturelle. Elle est l’expérience « en grandeur nature » de l’obligation de gérer la question de la diversité culturelle et du caractère explosif de celle-ci.

Ici la force de la diversité culturelle est-elle, avec ses bons et ses mauvais côtés, qu’il est impossible d’en faire l’économie. Mais dans de nombreux pays, une telle visibilité n’existe pas, sans pour autant que le caractère conflictuel existe moins. Ce sont les excès de l’économisme et de la globalisation qui ont réveillé l’importance de cette troisième mondialisation. On ne peut plus l’ignorer, même si la diversité culturelle ne simplifie rien. C’est le prix à payer d’une mondialisation qui pense pouvoir ignorer le poids de la culture. C’est pour cela, par exemple, que la construction politique de l’Europe est indispensable. C’est pour cela aussi qu’il faudrait que les métiers de la communication, de la publicité et de la culture s’investissent enfin davantage dans l’Europe, cette construction politique totalement originale. Tout est à créer et à inventer, mais « l’originalité », n’est-ce pas ce que ces métiers réclament en général ? Pourquoi la plus grande aventure pacifique et démocratique de l’histoire du monde ne fascine-t-elle pas davantage et n’attirent pas plus les créateurs ? Ni le milieu académique d’ailleurs. Sans oublier la jeunesse dont l’idéalisme et la passion sont trop souvent réduits à la course technique.

CONCLUSION

Tout ce qui tourne autour de la diversité culturelle est violent, requiert du temps, de multiples formes de négociation et de traduction. Le développement de la troisième mondialisation avec la place croissante de la culture et de la communication ne simplifie donc rien. Mais on ne peut plus revenir en arrière. Le monde ouvert d’aujourd’hui remet, contre toute attente, la culture au centre de l’histoire et de la politique. On pensait au contraire que la modernité et l’économie allaient tout simplifier. En réalité tout se complique et c’est une chance pour les métiers de la création et de la communication. On peut même parler de l’émergence d’un carré de la connaissance [3] , avec comme sommets l’identité, la culture, la connaissance, la communication. Une nouvelle configuration du monde et qui a l’avantage de mettre au centre les notions de patrimoine, création, innovation, communication…

Quels métiers de la publicité et de la communication, et plus généralement de la connaissance s’en plaindraient ?

A condition de sortir des visions simplistes, de la modernité, de la vitesse et du temps. Le problème n’est pas la place de l’anglais, mais plutôt celle de la cohabitation, la moins dangereuse possible de plusieurs visions culturelles du monde.

L’autre est là, omniprésent, aussi légitime que nous, et tellement différent. Comment arriver à négocier et à se respecter le plus pacifiquement possible ? Pas facile quand on connait l’histoire des langues et des cultures ! Mais quoi de plus ambitieux aussi que d’essayer d’inscrire pacifiquement le respect de la diversité culturelle ? Notamment pour les jeunesses qui peuvent trouver là l’occasion de nouvelles utopies, pacifiques et plus intéressantes que la course aux performances techniques.


Sommaire

Introduction

Partie 1 : Etat des lieux

Partie 2 : Contexte idéologique

Partie 3 : Propositions

Partie 4 : Aller plus loin avec l’Europe, la Francosphère et les autres grandes aires linguistiques

Bibliographie


Introduction 

La société actuelle est préoccupée par la préservation de nombreuses diversités, parmi lesquelles la biodiversité se trouve être la plus médiatisée. Dans le même temps, on observe certains appauvrissements moins critiqués, en particulier dans le domaine linguistique puisque le monde se trouve confronté à la menace de disparition de plusieurs milliers de langues dont le corollaire est la disparition des cultures.

La clé d’entrée de l’avis est celle de la diversité linguistique comme composante et garante de la diversité culturelle. Et il s’agira de savoir comment la publicité intervient dans cette équation.

Si la diversité culturelle est évoquée, c’est en raison de sa forte intrication avec la diversité linguistique. Mais le sujet n’est pas celui de l’inclusion dans la publicité des diversités culturelles au prisme des minorités ou des populations malmenées voire opprimées, sujet important mais qui devrait faire alors l’objet d’un avis à part entière.

La question de la publicité sera abordée ici au travers de ses messages et discours. Il est nécessaire de préciser que le sujet ne sera pas celui des marques étrangères non traduites : Allianz, Amazon, Apple, Autobianchi, Caixabank, etc.

C’est en particulier l’utilisation de l’anglais tel qu’il est pratiqué dans les publicités qui sera questionnée afin de comprendre de quoi elle est le signe, si elle est de nature à nuire à la préservation du français, ainsi qu’à l’accessibilité des différentes populations aux messages qu’elle souhaite transmettre. On explorera les raisons pour lesquelles des marques recourent à une langue étrangère, l’anglais le plus souvent, quand la valorisation du patrimoine culturel, artisanal ou industriel du pays du produit ne semble pas être l’objet du message[1]. Nous aurions voulu faire le travail sur une autre langue que l’anglais, mais aucune n’a une telle emprise culturelle, une telle visibilité et une telle influence politique.

L’avis débouche sur des recommandations à l’intention des professionnels du marché publicitaire, du marketing, de la communication et plus largement du monde politique.

La dernière partie élargit le point de vue français pour aborder celui de l’ensemble des pays européens dans la mesure où il serait paradoxal que cette notion de diversité linguistique et culturelle se cantonne à une vision mono culturelle et linguistique. L’élargissement de l’avis à l’Europe et plus précisément à l’Europe des 27 pourrait d’ailleurs constituer le préalable à un futur avis ayant champ géographiquement plus vaste.

Partie 1 : Etat des lieux

Existence de cadres

Lorsque les organisations professionnelles ou les pouvoirs publics sont interpellés à propos de l’usage de langues étrangères, c’est en premier lieu l’anglais qui est mis en cause dont l’utilisation est jugée injustifiée, qu’il s’agisse de mots, d’expressions, de phrases, de slogans.

Ces interpellations débordent d’ailleurs du strict cadre publicitaire et concernent aussi les écrits journalistiques et politiques, les demandes d’emploi, les habitudes langagières de certaines sphères professionnelles, en particulier celles issues du monde dit des nouvelles technologies du numérique. On constate que les critiques agglomèrent fréquemment l’usage des anglicismes et celui des acronymes.

Des mesures existent qui fournissent un cadre réglementaire et de recommandations. Elles s’appliquent à la publicité mais ne lui sont pas réservées. On peut rappeler la loi Toubon, la déclaration de 2005 de l’Unesco, le rapport de 2022 de l’Académie française, FranceTerme de la Commission d’enrichissement de la langue française, l’Académie des Sciences Commerciales et son dictionnaire. Enfin bien sûr, les directives ARPP directement liées à la publicité.


Loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, dite « Loi Toubon », indique dans son article 2 : « Dans la désignation, l’offre, la présentation, le mode d’emploi ou d’utilisation, la description de l’étendue et des conditions de garantie d’un bien, d’un produit ou d’un service, ainsi que dans les factures et quittances, l’emploi de la langue française est obligatoire. Les mêmes dispositions s’appliquent à toute publicité écrite, parlée ou audiovisuelle. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables à la dénomination des produits typiques et spécialités d’appellation étrangère connus du plus large public. La législation sur les marques ne fait pas obstacle à l’application des premier et troisième alinéas du présent article aux mentions et messages enregistrés avec la marque. » Elle précise dans son article 4 : « Dans tous les cas où les mentions, annonces et inscriptions prévues aux articles 2 et 3 de la présente loi sont complétées d’une ou plusieurs traductions, la présentation en français doit être aussi lisible, audible ou intelligible que la présentation en langues étrangères. »

Texte disponible sur : www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000005616341

La Convention de 2005 sur « la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles » est un traité adopté par UNESCO lors de la 33e session de la Conférence Générale de l’UNESCO en octobre 2005 à Paris. Elle rappelle dans son préambule que « la diversité culturelle, qui s’épanouit dans un cadre de démocratie, de tolérance, de justice sociale et de respect mutuel entre les peuples et les cultures, est indispensable à la paix et à la sécurité aux plans local, national et international » et que « la diversité linguistique est un élément fondamental de la diversité culturelle ».

Parmi ses objectifs, la Convention de 2005 précise en premiers lieux : a) « (la protection et la promotion de) la diversité des expressions culturelles » ; b) « (la création des) conditions permettant aux cultures de s’épanouir et interagir librement de manière à s’enrichir mutuellement » ; c) « (l’encouragement du) dialogue entre les cultures afin d’assurer des échanges culturels plus intenses et équilibrés dans le monde en faveur du respect interculturel et d’une culture de la paix ».

A ce jour, la Convention de 2005 a été ratifiée par 148 états. A noter que les Etats-Unis ont toujours refusé de signer ce texte.

Texte disponible sur www.unesco.org/creativity/fr/2005-convention

L’Académie française souligne, entre autres, deux risques dans son rapport de 2022 « sur la communication institutionnelle en langue française » : l’appauvrissement du lexique français et la discrimination potentielle de certains publics, éléments susceptibles de nuire à la fois à la préservation d’une certaine identité et à la paix sociale.

Rapport disponible sur www.academie-francaise.fr/sites/academie-francaise.fr/files/rapport_de_la_commission_detude_sur_la_communication_institutionnelle_definitif.pdf

FranceTerme est consacré aux termes recommandés par la Commission d’enrichissement de la langue française et publiés au Journal officiel de la République française. Il regroupe un ensemble de termes de différents domaines scientifiques et techniques

Le site est disponible sur www.culture.fr/franceterme

Le Dictionnaire de l’Académie des Sciences Commerciales promeut l’usage de termes en français et propose pour tous les termes du commerce et du marketing des traductions en quatre langues : anglais, allemand, espagnol, italien.

Dictionnaire disponible sur https://academie-des-sciences-commerciales.org/le-dictionnaire-commercial/

L’Observatoire 2018 « Publicité et Langue française » de l’ARPP met en évidence des manquements, lesquels sont plus souvent relevés sur les réseaux sociaux.

Rapport disponible sur www.arpp.org/actualite/observatoire-publicite-et-langue-francaise-2018/


Perceptions de l’emploi des mots et expressions étrangères dans la publicité

Une étude du Credoc[2], réalisée à la demande de la délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) en 2020, met en évidence des perceptions fortement négatives de la part du public. « En effet, deux tiers des Français considèrent que l’emploi de l’anglais dans les publicités gêne au moins de temps en temps leur compréhension des messages, voire gêne souvent ou toujours pour un tiers d’entre eux. Pour près de la moitié des Français, le sentiment éprouvé est de l’agacement ou de l’hostilité. Et plus globalement le ressenti de sept Français sur dix est celui d’une détérioration de la langue française dans les médias et réseaux sociaux. Il n’est alors pas surprenant que les deux tiers des Français expriment le souhait qu’une loi garantisse l’emploi du français dans la société. »

Au sein du marché publicitaire, quelques voix peu entendues, mais elles sont parfois discrètes, évoquent le ridicule souvent assorti à la prétention de certains slogans pour lesquels il semble impossible de justifier le non-usage du français, particulièrement lorsque ces communications s’adressent aux Français[3] et plus encore lorsqu’elles émanent d’entreprises françaises.


Exemples de messages et signatures

ENTREPRISES FRANCAISES

Roche Bobois French Art de vivre (2019)
Evian Drink true (2022) qui succède à Live young
DS Spirit of avant-garde (2015)
Peugeot Unboring the future (2019)
Peugeot 3008 hybride Time to change – Motion et e-motion (2021)
Citroën Inspiring by you (2016)
Citroën Move in France (2021)
Renault Electricity, made of France (2022)
Michelin Motion for life (2021)
Clairefontaine September is coming (2015)
Mondial de l’Auto Révolution is on (2022)
HEC Tomorrow is our business (2018)
Bouygues Telecom French days (2021)
La Poste Ma French bank – Compte We start pour les 12-17 ans – La French plaquette tarifaire – Les French conseillers (2022)
YSL pour Opium Libre. Freedom doesn’t wait (2019)
Chaumet Crown your style (2022)
Jules Men in progress (2022)
The Kooples Unauthorized tshirt (2022)
Dassault Systèmes The 3DEXPERIENCE Company (2023)
Salomon Tomorrow is yours (2022)

ENTREPRISES ETRANGERES

Fiat Tipo Cross Economically sexy (2021)
Ford Bring on tomorrow (2021)
Volkswagen Way to zero (2021)
Coca-Cola Real magic (20222
Schweppes I like it like that (2022)
Adidas Impossible is nothing (depuis 2004)


Notons également quantité de mots anglais utilisés dans des phrases en français :

  • « One size, le maillot taille unique pour tous les summer bodies » et le « live show » en affichage Etam en 2022,
  • « Rejoignez la team Thales» sur le site Thales en 2022,
  • « Bienvenue sur la plateforme d’admission à la Summer School et Short Courses » sur le site de Sciences Po en 2023,
  • Lettering, Travelers notebooks, My.essential Age Bag ou le must have sur le site de Clairefontaine en 2022, une marque qui revendique pourtant sa francité et une marque pour aller à l’école…
  • La to-do by SFR en 2022,
  • Teamsport sur le site de Le Coq Sportif en 2022,
  • Outlet, e-shop, tote bag sur le site d’Armor Lux en 2022,
  • La boxmaster de KFC en 2022,
  • « Vous tous avec vos stories gastronomiques » de Flunch en 2022,
  • Friends dans #Whopperandfriends de Burger King en 2021,
  • « Petit break entre amis » de Transavia,
  • « Découvrez des lendemains sans deadline pour hier » de com en affichage 2022,
  • « Bet share » de Unibet 2022,
  • « Cartier presents» dans le film de Cartier qui se conclut par Tank since
  • Sans oublier le « Drive» et le « click & collect » dans la grande distribution.

Et dans la presse professionnelle et le secteur du marketing et communication :

  • le télévisionnaire by France TV Publicité
  • spotted sur le site de M6 Publicité,
  • ecofunding et la box sur le site de TF1 Publicité,
  • inside home de La Poste Solutions Business 2022,
  • time to accelerate, data for good, green, machine learning pour Bigdatga & AI corp,
  • Branding, print, event, entertainment pour Reworld Media Connect,
  • in-store, online, display, print, retail pour Media Center et de nombreux autres
  • goodlink, outdooh, visiplay, sellcast, pour Retailink by Fnacdarty,
  • how much is enough? pour Le Club des Annonceurs,
  • Welcome, live, insight, back to school party by pour l’Adetem

Pour ne citer que quelques fêtes et événements du calendrier, notons :

  • Back to school
  • Valentine day
  • Christmas day
  • New Year day
  • Black Friday

Enfin, dans le sport :

  • les entraîneurs sont remplacés par des coachs,
  • les équipes par le staff,
  • la course à pied par le running

Et les publicités et les supports de communication intègrent dans leur vocabulaire courant :

  • free bet,
  • playground,
  • finisher,
  • trail,
  • free style,
  • aquabike

L’usage des mots anglais va jusqu’à déformer le sens des mots français : ainsi « supporter le PSG » (de l’anglais « to support », c’est-à-dire soutenir) n’est pas « supporter le PSG » (au sens français : ne pas être gêné par le PSG, tolérer le PSG… )

Dans ce contexte, on peut chercher à comprendre pourquoi une entreprise étrangère souhaitant gagner des parts de marché sur le sol français ne s’adresse pas directement en français aux Français, mais aussi pourquoi une entreprise française fait le choix d’exprimer tout ou partie de son message en anglais lorsqu’elle communique en France ?

Un petit détour du côté de l’histoire de la mondialisation, des entreprises globales, multi-locales et des relations entre les parties prenantes du secteur publicitaire

Les stratégies d’entreprise et par voie de conséquence les stratégies marketing sont souvent portées par une volonté de mondialisation qui a pu conduire à la mise en place des outils parfois délétères de la globalisation. Derrière ce terme se cache en réalité la notion d’uniformisation qui n’est toutefois pas consubstantielle à la mondialisation. C’est cependant ce que l’on observe lorsque les entreprises, au-delà de l’objectif d’extension de leur périmètre géographique, cherchent à « optimiser » leurs coûts, comprendre les « diminuer » à court terme. L’uniformisation porte alors sur toute la chaîne : depuis la R&D jusqu’à la diffusion chez le client final, en passant par la production, la fabrication du produit lui-même, son emballage, son nom (la marque), le positionnement, la communication qui l’accompagne avec des campagnes mondiales. Et si des adaptations voient le jour afin de mieux répondre aux marchés locaux, la réflexion est plutôt descendante du global vers le local plutôt que montante du local ou multi-local vers le global.

Et c’est dans ce cadre que les marques ont été amenées à d’abord réfléchir sur leur positionnement, leurs discours, voire leur nom, en anglais, langue habituelle d’échange entre les salariés des différents pays d’une entreprise mondiale[4].

La conséquence est que les groupes publicitaires ont suivi le mouvement avec des agences présentes dans de nombreux pays, l’une d’entre elles, directrice, généralement située dans le pays d’origine de la marque imprimant la stratégie de communication globale, à charge aux autres agences, réceptrices, d’adapter les messages aux réalités locales avec peu de valeur ajoutée créative et conceptuelle laquelle, à leur corps défendant, ne leur était absolument pas demandée, au contraire.

Si l’économiste Théodore Levitt, professeur de marketing à la Harvard Business School se trompait lorsqu’il prédisait un monde global dans lequel il ne serait pas nécessaire de traduire les publicités car elles seraient toutes en anglais, on voit cependant qu’il ne s’est qu’à moitié trompé.

Mais un tournant a été amorcé vers les années 2000 avec un nouveau type de mondialisation : la mondialisation « identitaire » décrite par Dominique Wolton. Ce mouvement va à l’encontre des stratégies de marque et de positionnement uniques. On a vu alors des remises en cause des contrats globaux par les annonceurs mêmes qui les avaient souhaités, conscients qu’ils étaient du déficit de créativité qu’ils avaient pourtant contribué à instaurer dans les réseaux globaux d’agences.

Aujourd’hui on observe un renforcement des réalités locales culturelles et linguistiques. Les prix internationaux comme les « Lions » à Cannes, présentent maintenant les campagnes dans environ 90 % des cas dans la langue du pays avec deux sous-titrages, alors que tout était systématiquement en anglais et sans traduction il y a moins de dix ans.[5]

Cependant, malgré cette évolution a priori positive, il demeure une fascination de certains pour sinon la langue anglaise, du moins les anglicismes. Elle se traduit selon les cas par une pression exercée par les marques sur leurs agences ou sur une anticipation de cette pression, les agences devançant la demande ou l’inventant en venant proposer un « style » de message supposé performant parce que chargé de tournures anglaises. Dans tous les cas, on se retrouve face à un jeu d’influences entre le prestataire et son client.

Pour un professionnel français, parler anglais (même mal) c’est être international… L’anglais ou plus exactement ce qui « a l’air d’être anglais » est privilégié dans cet étrange imaginaire professionnel pour sa valeur connotative de modernité, d’innovation et d’ouverture au monde. Ainsi pour les marques, s’exprimer avec des anglicismes illustrerait leur caractère actuel et innovant, notamment pour s’adresser aux jeunes. Pour les entreprises ayant recours à ces modes d’expression la conviction est tellement forte qu’elle ne souffre aucune réflexion et par là même aucun questionnement : elle fonctionne comme une doxa, une croyance absolue.

Paradoxalement, l’une des musiques les plus écoutées par les jeunes en France est le rap chanté en français par des artistes francophones. Ce style musical fait l’objet d’études, d’articles grand public ou de recherche qui expriment la poésie et la créativité d’un genre qui réinvente la langue française, en la réveillant. Il s’agit d’une véritable réappropriation par la jeunesse française de la culture hip-hop américaine des années 1970-80. La créativité dont ils font preuve provient directement de ce que la journaliste Magali Cartigny du Monde[6] appelle le braquage de la langue, qui, par son enrichissement poétique, apporte une certaine diversité linguistique et par là même culturelle. A partir de cet exemple emblématique, on peut dès lors s’interroger sur l’idée que certaines marques se font des jeunes, de leurs aspirations et de leur mode de vie et de pensée. La modernité et la volonté de cibler les jeunes avec des publicités recourant à l’anglais semblent donc bien relever du préjugé, elles reposent sur des croyances non-vérifiées dont les implications seraient sans importance si elles ne mettaient pas en réalité à distance à la fois des groupes de population importants (voir étude Crédoc mentionnée plus haut) et la préservation du français. Dans la mesure où ce recours ne se traduit pas par un enrichissement de la langue, on ne peut pas soutenir qu’il favorise la diversité.

Et même si on voit moins de publicité en anglais qu’à une certaine époque, il semble bien qu’il existe des noyaux de résistance ne percevant pas qu’ils sont ressentis comme ridicules lorsqu’ils ne plongent pas le public dans l’incompréhension totale ou partielle des messages qu’ils émettent.

Un certain jargon vecteur de préciosité ridicule et de conformisme

Mais quand bien même ces messages seraient compris, acceptés et porteurs des valeurs « positives » que les marques souhaitent leur assigner, il faut s’interroger sur ce que ce principe détruit en ne préservant pas la langue du pays. La question n’est pas celle de l’utilisation, çà et là, d’expressions étrangères pour promouvoir une culture culinaire ou autre de tel ou tel pays, principe qui participe alors bien de la diffusion et du partage de la diversité culturelle au travers de cette diversité linguistique. La question est celle de savoir pourquoi une langue serait la seule capable de porter des valeurs de modernisme, d’innovation, de jeunesse et d’ouverture au monde, des valeurs systématiquement et sans discussion considérées comme étant positives. « Soyez enfin modernes. Parlez anglais. Quoi de mieux ! » (Dominique Wolton). Par contre, d’autres marques ont bien compris le défi et savent au contraire que le français est désirable, qu’il existe et se vend dans la mondialisation[7].

Dans ce tohu-bohu actuel, il faut sans doute y voir l’influence des nouvelles technologies et des métiers qui les accompagnent marqués d’une empreinte anglo-saxonne. Si la publicité commence à s’affranchir des travers des anglicismes et du « globish » sur lequel on reviendra, ces métiers n’y parviennent pas car ils n’y pensent tout simplement pas. Cela se voit dans les écrits les concernant et les offres d’emploi qui au-delà des métiers du numérique ont succombé à la mode des appellations et acronymes abscons. Ce jargon et plus largement ce qu’Etiemble[8] appelle la « siglomanie » favorise une culture de l’obscurité[9] (Fab Lab, RTB, SEO, SEA, DSP, IOT,…)


Exemples d’offres d’emploi

LIDL : Lancez votre carrière en tant que trainee (sic)
Thales : STAGE – Conception d’un Framework de Data Visualization – H/F
Kering : Head of Data analytics
Dentsu : Trading director
Bouygues Construction : Corporate media manager
Group Campus : Business developer / Growth Hacker
Stride-up : Sea / Social Ads Acquisition Manager
EIT Manufacturing : Marketplace IT Manager


Les élites de la nation n’échappent pas à ces travers et l’on entend fréquemment le Président de la République et les membres du gouvernement recourir à l’usage de néologismes et d’anglicismes souvent issus des technologies : Start up nation, Health Data Hub (expression interdite à partir du 20 avril 2023), etc. Le rapport de l’Académie française mentionné plus haut, sous-titré « pour que les institutions parlent français », met bien en évidence un déficit de sensibilisation de ces mêmes institutions et l’importance qu’il y a à agir.

On est dans le monde du « jargon » utilisé par des initiés pour des initiés. Un jargon qui méprise les lecteurs et qui dans le même temps ne s’affranchit pas de la platitude qu’il cherche à dissimuler[10]. Ce jargon continue à « ruisseler » sur une partie des messages des marques et on est en droit de s’interroger sur ce que représente la communication lorsqu’elle fait le choix de n’être pas parfaitement comprise par « les gens », à moins qu’il ne s’agisse de masquer une absence de réel contenu. Le recours à l’anglais globish ne permettrait-il justement pas de dire… sans rien dire, voire de se distinguer sans n’exprimer aucun concept ? Et finalement, ce qui est préjudiciable n’est pas tant l’usage de l’anglais en lui-même que l’appauvrissement des concepts auquel il tend à concourir.[11]

Partie 2 : Contexte idéologique

La diversité linguistique garante de la diversité culturelle et de l’acceptation de l’altérité

La préservation des langues et de la culture pour tous concourt au respect des libertés et s’avère également un gage de paix. C’est donc que son annihilation enchaîne et par là même opprime, conduisant inéluctablement aux conflits. Préserver les cultures, c’est assurer la diversité culturelle, ce n’est ni combattre l’une ou en faire le procès, ni exclusivement préserver l’autre. Il s’agit bien de les préserver toutes et de n’en combattre aucune pour qu’elles s’enrichissent effectivement les unes les autres[12].

La langue, parlée et écrite, est au cœur des préoccupations relatives à la diversité culturelle.

Or, l’hégémonie est tautologiquement opposée à la diversité.

Ce que l’on observe, c’est que cette hégémonie est aujourd’hui davantage incarnée par l’anglais (on reviendra plus loin sur le globish, réducteur et d’ailleurs décrié par les anglophones) et concerne toutes les autres langues. C’est cette généralisation[13] qui nuit à la diversité.

On peut même dire que le problème n’est pas tant la généralisation de l’anglais que la préservation de toutes les autres langues.

La problématique est mondiale et comme évoqué plus haut il ne s’agit ni de faire le procès de l’anglais ni de défendre spécifiquement ou uniquement le français ce qui, l’un comme l’autre, serait antinomique du principe de diversité.

L’enjeu qui dépasse toutes les frontières est celui de la liberté, un enjeu chargé de gravité puisque c’est un enjeu de paix entre les peuples.

Il n’y a pas de culture possible sans les cultures et donc sans leurs diversités.


Langues, identité et domination

« Cette diversité de langues et de cultures est une richesse de l’humanité et elle est garante du pluralisme de la société, comme du respect des droits fondamentaux. À échéance d’un siècle, plus de la moitié des 6000 langues du monde risque de disparaître. On voit s’annoncer un grand marché qui réduirait la culture à de simples objets de consommation de masse, la mettant en cause dans les régions où un groupe dominant impose sa langue et sa culture aux membres des autres groupes qui se trouvent ainsi privés de toute réalisation dans leurs langues et dans leurs cultures, c’est-à-dire dans leurs identités propres. » Didier Oillo in « Contradictions francophones et diversité culturelle » in « Francophonie et mondialisation », Hermès, la Revue (N°40), CNRS Editions 2004

« La diversité culturelle, c’est la reconnaissance de l’autre et le dialogue avec les autres. Ce n’est pas la logique des bastions identitaires que viendront battre les vagues du choc des cultures. » Abdou Diouf in « Comment la Francophonie construit son avenir » in « Francophonie et mondialisation », Hermès, la Revue (N°40), CNRS Editions 2004.


Une violence radicale

L’écrasement des langues maternelles annihile les cultures[14]. Il représente une véritable arme d’oppression des dictatures lorsqu’elles répriment les personnes parlant des langues « non-conformes », répressions dont l’Histoire est remplie d’exemples dans le monde entier et à toutes les époques. Par exemple, en France avec l’interdiction du breton au milieu du XIXème siècle et au début du XXème, au Sri Lanka avec la langue tamoule en 1956, en Union Soviétique avec Staline et la langue tchétchène, en Espagne sous la dictature franquiste avec l’interdiction de toutes les langues régionales. Ce dernier cas est emblématique puisqu’il s’est assorti d’un autodafé. C’est un signe particulièrement violent de négation des langues et plus encore des êtres les pratiquant. Il ne suffit plus à la dictature de réprimer et de tuer les opposants, ni d’interdire de parler et de dire : comme elle ne peut pas interdire de penser, elle détruit ce qui incarne la pensée silencieuse et qui lui permet de se propager, à savoir le livre. Et le raisonnement peut être poursuivi aujourd’hui en Ukraine avec la langue russe devenant langue officielle des Oblasts récemment occupés.

Mais la violence de l’écrasement des langues maternelles entraîne aussi des conséquences délétères de nature psychologique voire psychiatrique. Des travaux cliniques menés auprès de jeunes générations soumises à de telles interdictions montrent leur traumatisme, prises qu’elles sont entre les ressentis de honte, d’angoisse de perte ou de loyauté transgénérationnelle[15].

Guerres intérieures et personnelles, guerres entre les peuples, l’annihilation des langues maternelles conduit aux conflits, que cette annihilation soit (con)sciemment ou inconsciemment obtenue par les acteurs qui la mettent en œuvre.

Dans ce contexte, que se passe-t-il avec le recours de l’anglais dans la publicité ?

On peut craindre aujourd’hui davantage qu’une uniformisation d’une partie du langage par le développement de l’anglicisation ou plus exactement le développement du globish : est en jeu un appauvrissement de la richesse des langues, par simplification excessive des concepts.

Les mots, les expressions ne sont alors plus porteurs de toutes les nuances possibles que véhicule la langue maternelle (fût-elle de l’anglais), ils raccourcissent la pensée en la privant des nuances nécessaires à une perception fine du sens[16]. Et si la publicité n’a évidemment pas les mêmes fonctions qu’une œuvre littéraire ou philosophique, et qu’elle est à la recherche de slogans concis, frappants, facilement mémorisables, elle prétend néanmoins donner du sens à la marque, lui conférer une identité, asseoir son positionnement, son territoire et ses valeurs. Pour atteindre un tel objectif, elle doit transmettre un message qui ait du sens, le sens qu’elle veut communiquer.

On peut craindre surtout qu’en endossant certaines locutions ou formules anglo-saxonnes, on véhicule, sans en avoir conscience, la charge idéologique qu’elles contiennent. Cette charge se trouve anesthésiée par la « modernité » supposée de l’anglais et le flou qui accompagne nécessairement la perception d’une langue étrangère. Si l’on y réfléchit, comment ne pas voir à quel point l’extrême raccourcissement des formules (et donc des concepts) : « must have », « what else ? » ou « beach body » renforce la violence de l’injonction consumériste, ou l’illusion du bonheur par la consommation ?

En prétextant une prétendue simplicité que l’anglais permettrait, on finit par confiner au simplisme[17], réducteur et porteur de toutes les mystifications. Mais on peut observer aussi que l’utilisation de l’anglais permet :

  • De préciser le sens :
    • Ainsi, « follower» ou « like » dont la traduction pourrait laisser entendre que le terme s’applique à tous les univers, alors que le fait de l’exprimer en anglais, le rattache (du moins pour des « non-Anglais ») au seul univers du numérique et des réseaux sociaux.
  • D’intensifier ce qui paraîtrait trop fade d’édulcorer un sens qui semblerait exagéré, ou à l’inverse d’intensifier ce qui paraîtrait trop fade
    • Ainsi, « challenge» semble avoir acquis un statut plus… grandiose que le simple « défi »
    • Ou « must have » suggère une injonction plus impérieuse que si on utilisait les mots « incontournable » ou « indispensable ».

Le risque peut concerner toutes les langues, y compris l’anglais d’ailleurs, comme le soulignent Erik Orsenna et Bernard Cerquiglini[18].

Sans doute le recours à l’anglais rime-t-il avec (une illusion de) modernité, de « chic ». Et peu importe semble-t-il finalement que l’on exclue ceux qui ne comprennent pas[19].

On peut réfléchir à l’existence d’une certaine volonté de domination qui commencerait par ce jargon des univers technologiques évoqué plus haut.
Dans certaines publicités, il semble bien que nous acceptions l’utilisation d’une seule et unique langue pour transmettre les qualités « supérieures » d’un produit. Ainsi nous renouvelons un phénomène bien connu par le terme de « servitude volontaire » (La Boétie). Le problème essentiel n’est pas seulement l’anglais, mais plutôt l’utilisation d’une unique et seule langue au détriment des autres. Si nous nous appuyons sur la psychanalyse et ce qui amène à s’aliéner au pouvoir d’un autre, ou d’une seule langue au détriment de la sienne, c’est qu’elle est considérée ou instrumentalisée par la logique néolibérale comme représentant le « pouvoir ». Comme souligné par Freud dans son texte « Psychologie de masses et analyse du moi », la fascination des masses pour un chef ou, pour ce qui nous intéresse, par une seule langue, repose sur le fait qu’elle (l’anglais) est représentée comme ayant des pouvoirs, à l’instar des pouvoirs imaginés des parents de l’enfance. En fait, l’acceptation de cette position d’aliénation vis-à-vis d’une seule langue nous installerait dans une position infantile. Face à cela, nous pouvons reconnaître dans ce mouvement d’utilisation d’une seule langue pour caractériser un produit, une nouvelle forme d’aliénation dans laquelle, en payant le prix d’une position aliénante et infantile, nous trouverions notre compte.[20]

Les entreprises qui utilisent ces procédés sont les mêmes que celles qui prétendent avoir profondément modifié la vision qu’elles ont du marketing, en étant passées d’une vision avant tout produit à une vision qui place le consommateur au centre des préoccupations. On peut alors légitimement s’interroger sur la sincérité de tels discours qui prennent corps à présent dans la rédaction et la communication de leur raison d’être préconisée par Loi Pacte[21], alors même qu’elles contribuent à cette aliénation.

Mais le recours devenu très systématique à l’anglais ou au globish favorise cette uniformisation nuisible à toute diversité.

Le problème n’est évidemment pas non plus celui de l’enrichissement d’une langue avec une autre, phénomène au contraire intéressant et dont la créolisation est un représentant[22].

On sait également ce que le français doit à l’anglais, au russe, au turc… et réciproquement.

Le problème est au contraire celui de l’appauvrissement de la pensée et celui de l’exclusion pour une partie de la population, qui dans le meilleur des cas, accède à une sensation et non pas au sens.

On peut alors se demander ce que devient la communication quand le récepteur, objet théorique de toutes les attentions, ne comprend pas ou alors mal.

Partie 3 : Propositions

Compte-tenu de ces constats et réflexions et conformément à sa ligne de conduite, le Conseil de l’Ethique Publicitaire ne se prononce pas en faveur de contraintes ou d’un durcissement des règles déontologiques, mais appelle à une prise de conscience de chacun sur la nécessité de garantir la diversité linguistique et donc la diversité culturelle dans la publicité. En ce sens, le Conseil de l’Ethique Publicitaire formule 3 démarches complémentaires à entreprendre et propose 15 idées incitatives pour stimuler.

3 démarches complémentaires à entreprendre

Sensibiliser la filière professionnelle de la publicité à l’intérêt de contribuer à la diversité de la langue française et de valoriser sa capacité à exprimer les concepts : les publicitaires, les agences, leurs clients annonceurs, les médias, mais aussi des dirigeants d’entreprises, sans oublier les responsables des écoles de commerce, de communication et de publicité. Plus généralement cela concerne aussi l’ensemble des langues romanes[23].

Impliquer tous les niveaux de la société : l’Etat, les élites jusqu’aux universités et écoles.

Mobiliser les consommateurs.

15 idées :

  1. Créer un concours entre agences de publicité sous forme de « matchs d’improvisation» sur le thème de la chasse aux anglicismes. Ces matchs pourraient avoir lieu en introduction des grands prix de la profession dont l’ARPP est partenaire.
  2. Créer un recensement « Les Précieuses Ridicules », qui insiste sur le ridicule de certains slogans en anglais.
  3. Traiter les travers et excès par l’humour en décernant un prix ou un label à la phrase/l’expression/le slogan le plus inepte.
  4. Traduire systématiquement la raison d’être des entreprises et les plateformes de marques, plutôt que les laisser en anglais.
  5. Proposer aux agences une démarche proactive #NePasCéderALaFacilité, en faveur de l’usage de la langue française et de la limitation des anglicismes inutiles à chaque fois qu’elles travaillent un nouveau sujet.
  6. Créer dans les agences de publicité et de communication des ateliers participatifs sur les conséquences de la perte de diversité linguistique et culturelle.
  7. Instaurer une journée sans globish pour inciter à chasser les anglicismes, en partenariat avec les organisations représentant la profession.
  8. Alerter les dirigeants et les élèves en écoles commerciales, de communication, de publicité sur les excès de l’anglicisation, la loi Toubon et les outils à leur disposition (FranceTerme[24], Dictionnaire des francophones[25], dictionnaire de l’Académie des Sciences Commerciales[26]…). L’emprise de l’anglais dans l’enseignement supérieur en dehors des pays anglo-saxons est considérable depuis 30 ans ; on peut citer les cours en anglais, les publications des enseignants-chercheurs en anglais et en priorité dans les revues anglo-saxonnes, les remises des diplômes qui reprennent les usages anglo-saxons avec les lancés de chapeau. Une enquête est à réaliser dans les plus brefs délais pour évaluer l’emprise de l’anglais dans l’enseignement supérieur au nom de la modernité et surtout une réflexion critique est à mener pour comprendre les raisons d’une telle appétence.
  9. Faire de la diversité culturelle et du respect du français un axe des politiques RSE de l’entreprise, objet d’engagements concertés et d’un suivi régulier. Notamment pour les grandes entreprises françaises présentes dans le monde, qui ont la tentation persistante de ne plus s’exprimer en français et d’uniformiser leur publicité et leur communication avec du vocabulaire et des références anglo-saxonnes.
  10. Redonner le désir du « bon usage» du français à travers des campagnes publiques d’intérêt général. Il s’agit de stimuler et utiliser la publicité pour créer une émulation, pour faire aimer la langue et pour que le public comprenne la raison du combat. A ce titre, on fera bien attention à ne pas se tromper : il ne s’agit pas de dire que l’anglais nous envahit et que le français va disparaître. Le sujet est de comprendre comment exploiter la richesse de la langue française. Et comprendre aussi pourquoi les Français ne sont pas fiers de leur langue, comparativement à d’autres pays européens.
  11. Trouver la façon dont les traductions de publicités pourraient être réellement lisibles et audibles afin de ne pas exclure les non et malvoyants.
  12. Inciter le public à écrire aux marques « Stop, je n’ai pas compris » et utiliser le mot-dièse #stopjenaipascompris quand elles utilisent de l’anglais ou des anglicismes.
  13. Relancer le festival « Mondial de la Pub des pays francophones» et repérer les néologismes intéressants qui sont utilisés par les francophones non-français.
  14. Valoriser le travail des traducteurs[27] et interprètes dans la conception et la production des campagnes de communication notamment politique et culturelle.
  15. Valoriser ce qui va bien – un des meilleurs exemples étant la musique urbaine, avec Stromaé, Orelsan, Oxmo Puccino, la Rumeur qui apportent beaucoup à la langue française – et encourager l’Académie Française à faire un rapport sur les enrichissements de la langue française dus au rap.

Partie 4 : Aller plus loin avec l’Europe, la Francosphère et les autres grandes aires linguistiques

La problématique dépasse largement le cadre de l’Hexagone

Cette alerte sur la diversité linguistique et culturelle ne concerne pas seulement la France et le français. En Grèce, Georgios Babiniotis[28] s’émeut de l’épidémie de « Greenglish » (néologisme pour « Greek English ») qui se propage. Au Québec, la Fondation pour la langue française a dû lancer en mars 2021 la campagne « Ne perds pas ton français »[29], qui nous rappelle qu’un effort perpétuel est nécessaire pour préserver la langue, alors que Michael Rousseau, PDG d’Air Canada, a fait le choix de s’adresser uniquement en anglais à un public majoritairement francophone[30].

Concernant l’usage de l’anglais et des anglicismes dans la publicité, ce n’est pas non plus un phénomène propre à la France. A titre d’exemple, un membre du Conseil de l’Ethique Publicitaire rapporte que l’on retrouve les mêmes anglicismes « brand content », « storytelling », « CEO » dans les textes italiens, espagnols ou allemands de la revue de presse internationale de Publicis. Les publicitaires et les dirigeants d’entreprise à travers le monde seraient bien avisés de se rappeler les propos de Nelson Mandela : « Si l’on s’adresse à quelqu’un dans une langue qu’il comprend, on touche sa tête. Si on s’adresse à lui dans sa langue, on touche son cœur ».

La diversité linguistique pour sauver l’anglais de lui-même ! Les limites du globish !

L’avènement du « Globish » a également pour conséquence un terrible appauvrissement de la langue de Shakespeare – on a pu lire plus haut les regrets prêtés aux anglo-saxons à propos de l’appauvrissement de leur propre langue dans « Les mots immigrés » d’Erik Orsenna et Bernard Cerquiglini -, mais aussi un enfermement de ses locuteurs dans une pensée unique qui ne leur permet plus de comprendre la complexité du monde et qui pourrait bien se retourner contre eux. « La diffusion internationale de l’anglais a eu pour effet inattendu d’enfermer un pays comme les États-Unis dans un véritable ghetto en déphasage complet avec le reste du monde et à partir duquel ils ne comprennent strictement plus rien aux événements planétaires » comme le rappelle Charles Durand[31]. Et l’on glisse de l’incommunication à l’acommunication, terreau fertile pour les conflits de demain. Comme le disait David Gradol « Ces tendances rendent possible un “scénario catastrophe”, dans lequel le monde entier se retournerait contre l’anglais, en associant cette langue à l’industrialisation, la destruction des cultures, l’atteinte aux droits de l’homme fondamentaux, l’impérialisme de la culture-monde, comme à l’accroissement des inégalités sociales. »[32]

Au-delà de la sphère française, il est donc intéressant d’élargir l’approche aux grandes aires de la diversité. Nous étendons notre réflexion à l’Europe, tout d’abord, premier territoire sur Terre où l’on parvient à cohabiter réellement et à intégrer la diversité dans la reconnaissance de l’altérité. La devise de l’Union européenne n’est-elle pas « Unis dans la diversité » ? Comment respecter la diversité si l’on ne respecte pas d’abord la diversité linguistique. L’anglais comme langue majoritaire en Europe serait une catastrophe et surtout un facteur de conflits. Après le moment de la modernité, les réactions seraient violentes. Personne ne veut abandonner son identité linguistique, même si par commodité on utilise partiellement l’anglais.

L’Union européenne, le plus grand chantier de la diversité culturelle

En 1992, le traité de Maastricht rappelle la singularité culturelle des Etats membres et la nécessité de contribuer à l’épanouissement des cultures nationales[33]. Aujourd’hui, l’UE comporte 24 langues officielles[34], une soixantaine de langues régionales et locales, ainsi que de nombreuses autres langues apportées par les migrants, l’UE comptant 175 nationalités en son sein en 2019[35]. A noter que depuis le retrait du Royaume Uni de l’UE, la part de locuteurs anglais de langue maternelle est de seulement 1 %, passant de la 3ème langue la plus parlée à la 17ème. Il est essentiel d’instaurer l’apprentissage obligatoire et le plus tôt possible de 4 langues pour tous.

A ce jour, des initiatives européennes existent pour valoriser la diversité linguistique et culturelle : l’Année européenne des langues (2001), la Journée européenne des langues[36] (le 26 septembre), l’année européenne du patrimoine culturel[37] (2018), les Capitales européennes de la Culture depuis 1985, Erasmus[38] créé en 1987…

Toutefois, si les Journées européennes du patrimoine sont bien identifiées dans les médias et par le grand public (30 millions de visiteurs), on peut regretter un moindre intérêt pour la Journée européenne des langues (432 234 participants en 2022[39]), qui cache assurément une moindre prise de conscience de l’importance de la diversité linguistique.

C’est donc à un réveil politique des élites et du grand public que le Conseil de l’Ethique Publicitaire appelle et recommande d’étendre ses recommandations (partie 3 du présent avis) à l’ensemble des pays de l’Union européenne. L’Alliance Européenne pour l’Ethique en Publicité (EASA[40]), dont l’ARPP est membre fondateur, a à ce sujet un grand rôle à jouer.

La Francosphère

La Francosphère, c’est la francophonie face à la mondialisation. C’est donc une perspective beaucoup plus large que la francophonie liée aux colonies. Aujourd’hui, la Francosphère, c’est autour de 400 millions de locuteurs sur les 5 continents (700 millions de francophones à l’horizon 2050) et l’OIF se donne pour mission de promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique, promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l’Homme, appuyer l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la recherche et enfin développer la coopération économique au service du développement durable.

Cette défense du français est illustrée par des événements, comme la 28e édition de la Semaine de la langue française et de la francophonie avec 1500 événements (conférences, ateliers d’écriture, expositions, rencontres, compétitions de slam et concours d’éloquence) organisés en France, ainsi que dans les autres pays francophones. 1500 seulement pourrait-on dire ? (Ça n’est pas beaucoup plus que pour la Journée européenne des langues !) Citons également un nouvel « outil » : le Dictionnaire des francophones[41]/[42], pour lequel 80 linguistes de tous les espaces francophones ont recensé 470 000 mots.

Concernant la publicité, on relève l’existence du Concours des Jeunes Talents francophones de la Publicité organisé par l’Union francophone (dont l’ARPP est membre), tout en regrettant la faible participation (100 inscrits en 2019, 93 en 2020, 13 en 2021[43]). Et l’on déplore également la disparition du festival « Mondial de la Pub des Pays Francophones », dont la dernière édition remonte à 2004.

Ici encore, au sein de la Francosphère, on peut s’interroger sur l’intérêt porté à la diversité linguistique et culturelle par les mondes politique et professionnel, ainsi que le grand public. Il serait intéressant de savoir si le monde publicitaire connaît ces initiatives et se sert d’outils tels que le Dictionnaire des francophones…

Quoiqu’il en soit, le silence médiatique autour du 18e Sommet de la Francophonie (19 au 20 novembre 2022 à Djerba), coincé entre la COP et la Coupe du monde de football, est révélateur des priorités tant des élites que du grand public. C’est donc à nouveau à un réveil politique des élites et du grand public que le Conseil de l’Ethique Publicitaire appelle et recommande d’étendre ses recommandations (partie 3 du présent avis) à l’ensemble des pays de la Francosphère. Et le Conseil de l’Ethique Publicitaire interpelle directement l’Organisation Internationale de la Francophonie pour matérialiser une filière francophone de la publicité, qui valorise plus largement le Concours des Jeunes Talents francophones de la Publicité et ressuscite le festival « Mondial de la Pub des Pays Francophones » !

La préservation de la diversité linguistique et culturelle est un enjeu mondial !

De par le rôle politique que joue la publicité, l’enjeu dépasse bien évidemment les frontières de la France. Il concerne l’Europe et la Francosphère, on l’a vu. Mais toutes les grandes aires linguistiques doivent prendre à bras le corps ce combat politique : nous pensons naturellement à l’Hispanosphère, la Lusosphère, l’Arabosphère…

Il est nécessaire d’ouvrir le dialogue sur ce sujet de la diversité linguistique et culturelle avec les autres instances d’autorégulation de la publicité en Europe, avec l’Alliance Européenne pour l’Ethique en Publicité (EASA), et à l’international avec l’International Council for Advertising Self-Regulation (ICAS), pour instaurer des outils de mesure (nous avons besoin de comparaison) et déployer les recommandations (partie 3) au niveau mondial.

« Les peuples peuvent à la fois vouloir le maximum d’ouverture au monde, de modernité, de consommation et ne pas sacrifier leurs racines culturelles » rappelle Dominique Wolton[44].

Bibliographie

  • « Les incommunications », Hermès, la Revue (N°84), CNRS Editions 2019
  • « Langues romanes : un milliard de locuteurs », Hermès, la Revue (N°75), CNRS Editions 2016
  • « L’épreuve de la diversité culturelle », Hermès, la Revue (N°51), CNRS Editions 2008
  • « Traduction et mondialisation », Hermès, la Revue (N°49), CNRS Editions 2007
  • « Francophonie et mondialisation », Hermès, la Revue (N°40), CNRS Editions 2004
  • « Demain la francophonie », Dominique Wolton, Editions Flammarion 2006
  • « La Méditerranée, Mer de nos langues », Louis-Jean Calvet, CNRS Editions 2016
  • « La Story de la langue française – Ce que le français doit à l’anglais et vice-versa », Jean Pruvost, Taillandier 2022
  • « Nos ancêtres les Arabes », Jean Pruvost, JC Lattès 2017
  • « Les mots immigrés », Erik Orsenna et Bernard Cerquiglini, Editions Stock 2022
  • La Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, Unesco 2005
  • Rapport annuel 2021 de la Commission d’enrichissement de la langue française – Délégation générale à la langue française et aux langues de France – Premier Ministre & Ministère de la Culture
  • Observatoire « publicité et langue française 2018 » – ARPP & DGLFLF (Ministère de la Culture)
  • Langue française – Quelques pratiques et opinion, Credoc 2020

Cet avis, piloté par Zysla BELLIAT, rapporteur, coordonné et co-rédigé par Bertrand ESPITALIER, synthétise les réflexions du Conseil de l’Ethique Publicitaire composé de : Dominique WOLTON (président), François d’AUBERT (vice-président), Myriam BOUCHARENC, Laurence DEVILLERS, Cristina LINDENMEYER, Pierre-Marie LLEDO, Pascale MARIE (personnalités indépendantes) ; Albert ASSERAF, Pascal COUVRY, Denis GANCEL, Clémence GOSSET, Thierry LIBAERT, Gérard UNGER, (professionnels), avec la participation d’Alain GRANGÉ CABANE (Réviseur de la Déontologie Publicitaire).

Ont été auditionnés dans ce cadre les personnes suivantes :

  • Nicolas BORDAS, Vice-Président International TBWA\Worldwide et Membre du Board de OMNICOM Europe,
  • Eric TONG CUONG, président et directeur de création de l’agence La chose,
  • Ingrid ENRIQUEZ-DONISSAINT, Directrice de la planification stratégique au sein de l’agence Tam-Tam\TBWA ; fondatrice de pre&ent,
  • Isabelle KARASTAMATIS, Directrice de l’agence Nouvelle Cour,
  • Ernesto OTTONE R., Sous-Directeur général pour la culture de l’UNESCO,
  • Jean PRUVOST, Professeur émérite de lexicologie et de lexicographie de l’Université de Cergy-Pontoise, Directeur éditorial des Éditions Honoré Champion,
  • Paul de SINETY, Délégué général à la langue française et aux langues de France – ministère de la Culture.

Paris, le 21 mars 2023.


Le Conseil de l’Ethique Publicitaire (CEP), instance indépendante présidée par le chercheur du CNRS Dominique Wolton et associée à l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), a pour mission d’analyser les évolutions sociétales dans les domaines couverts par la déontologie publicitaire, de juger de l’efficacité du dispositif d’autorégulation, et d’indiquer des domaines où une plus grande vigilance s’impose. Le CEP est composé de 14 membres, à parité de personnalités qualifiées indépendantes et de professionnels. Depuis sa création en 2005, il a publié 37 avis. Chaque avis est précédé d’une tribune libre de Dominique Wolton.


[1] Comme ce serait le cas pour un pull en laine Shetland d’Ecosse ou de l’huile d’olive d’Italie par exemple

[2] www.credoc.fr/publications/le-multilinguisme-en-france-aujourdhui-opinion-usages-pratiques-2021

[3] Il n’est pas question ici de publicités présentes par exemple dans les aéroports ou dans des lieux touristiques fréquentés par des étrangers.

[4] Il faut ajouter à cela le cas particulier des marques issues de pays émergents cherchant à se développer à l’étranger et qui n’ont pas d’autre choix, pour passer leur frontière, que d’adopter la langue anglaise comme sésame d’acquisition d’un certain statut et comme condition nécessaire pour être sinon écoutées, du moins entendues par ceux qui leur permettront de se déployer en dehors de leur pays d’origine.

[5] Denis Gancel, membre du CEP, Président Fondateur, W&Cie

[6] www.lemonde.fr/m-perso/article/2022/10/23/le-rap-est-un-braquage-de-la-langue-c-est-de-la-poesie-qui-s-ecoute-comment-les-rappeurs-reveillent-le-francais_6146973_4497916.html

[7] Le Slip Français, Michel et Augustin, L’Atelier Cologne, L’Oréal Groupe, Air France dont les films internationaux sont enregistrés avec un accent français.

[8] « La langue de la publicité » de René Étiemble www.persee.fr/doc/colan_1268-7251_1965_num_15_1_4986

[9] Myriam Boucharenc, membre du CEP, Professeur de littérature à l’Université Paris-Nanterre, responsable du programme ANR LITTéPUB (CSLF-EA 1586)

[10] « Le jargon est l’enfant naturel de la platitude qu’il dissimule sous des monceaux d’obscurité. Il signifie d’abord le mépris du lecteur et donc une volonté de puissance manifeste » – Pascal Bruckner

[11] Pascal Couvry, membre du CEP, Fondateur de l’agence corporate indépendante Madame Bovary

[12] Claude Lévi-Strauss considère que les cultures s’enrichissent de leurs échanges respectifs. Mais la condition est en même temps de résister afin de pouvoir toujours continuer à échanger ce que l’on a en propre.

[13] « Le génie et la diversité des langues sont de plus en plus balayés par l’anglicisation généralisée » – Article de Benoît Duteurtre dans Marianne, 13 novembre 2022

[14] « En abandonnant sa propre langue, l’homme perd automatiquement la maîtrise des définitions et de ses outils de représentation. Il s’expose donc à la manipulation. » Charles Durand in « Les menaces de l’« espéranglais »» in « Francophonie et mondialisation », Hermès, la Revue (N°40), CNRS Editions 2004

[15] Bleuenn LabbéMuriel BossuroyYoram MouchenikMarie Rose Moro in « Langues dévalorisées et répressions identitaires dans la clinique des adolescents », Cliopsy (N°28) 2022

[16] « On a la chance d’avoir un mot pour chaque nuance de chaque chose » – Richard Gotainer

[17] Lors de la traduction de l’anglais au français on constate que l’on a un tiers de caractères en plus. On parle généralement du « tiers foisonnant » et l’on devrait en fait parler d’un tiers de précision. Audition de Jean Pruvost par le Conseil de l’Ethique Publicitaire le 15 septembre 2022

[18]« Nous sommes aussi frappés, nous, les Américains. Et nos amis des îles Britanniques, et les Canadiens, les Australiens. Nous sommes comme vous, en train de perdre notre langue. Bientôt, nous n’aurons plus aucune raison de l’appeler « anglaise ». Et au profit de quoi ? Deux cents mots, les deux cents mots du globish, juste pour permettre à de moins en moins de gens de gagner de plus en plus d’argent. » Erik Orsenna et Bernard Cerquiglini, « Mercredi : deux cents mots pour un désert ! » in « Les mots immigrés », Editions Stock 2022

[19] « Si on ne comprend pas, on est soumis » – Boris Cyrulnik

[20] Cristina Lindenmeyer – psychanalyste, maître de conférences à l’Université Paris Diderot-Université de Paris.

[21] www.economie.gouv.fr/loi-pacte-redefinir-raison-etre-entreprises : La loi Pacte pour redéfinir la raison d’être des entreprises « Les entreprises ne se limitent pas à la recherche du profit. L’entreprise doit être le lieu de création et de partage de sa valeur. Le Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) permet de redéfinir la raison d’être des entreprises et de renforcer la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux liés à leur activité. »

[22] « Le phénomène général de créolisation – on pourrait presque parler de concept – est le moyen pour les populations de « coloniser » le français et lui permettre de servir de tête de pont, de passage entre la tradition et la modernité. Avec la créolisation, on garde son passé, pour aborder l’avenir. La créolisation est aussi un outil identitaire pour les diasporas, notamment quand elles se retrouvent en France. Le français ne s’est pas laissé assez féconder par ses multiples variations linguistiques. » Dominique Wolton, in « Un atout pour l’autre mondialisation » in « Francophonie et mondialisation », Hermès, la Revue (N°40), CNRS Editions 2004

[23] Voir à ce propos « Langues romanes : un milliard de locuteurs », Hermès, la Revue (N°75), CNRS Editions 2016

[24] www.culture.fr/franceterme

[25] www.dictionnairedesfrancophones.org/

[26] https://academie-des-sciences-commerciales.org/le-dictionnaire-commercial/

[27] « traduire, c’est penser la culture dans son rapport avec les autres cultures » Jean-François Hersent, Hermès 49, pages 157 à 167

[28] www.theguardian.com/world/2021/jan/31/the-greeks-had-a-word-for-it-until-now-as-language-is-deluged-by-english-terms

[29] www.facebook.com/fondationlanguefrancaise/videos/271375081146666/

[30] www.slate.fr/story/219063/pdg-air-canada-discours-anglais-francophonie-quebec

[31] in « Les menaces de l’« espéranglais »» in « Francophonie et mondialisation », Hermès, la Revue (N°40), CNRS Editions 2004

[32] Graddol, 2000, p. 62, cité par Michaël Oustinoff in « Le tout-à-l’anglais est-il inévitable ? » in « L’épreuve de la diversité culturelle », Hermès, la Revue (N°51), CNRS Editions 2008

[33]La Communauté contribue à l’épanouissement des cultures des Etats membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l’héritage culturel commun.” article 128, alinéa 1 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:11992M/TXT&from=FR

[34] L’allemand, l’anglais, le bulgare, le croate, le danois, l’espagnol, l’estonien, le finnois, le français, le grec, le hongrois, l’irlandais, l’italien, le letton, le lituanien, le maltais, le néerlandais, le polonais, le portugais, le roumain, le slovaque, le slovène, le suédois, le tchèque

[35] www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/les-langues-de-l-union-europeenne-en-3-minutes/

[36] https://edl.ecml.at/Home/tabid/1455/language/fr-FR/Default.aspx

[37] https://culture.ec.europa.eu/fr/cultural-heritage/eu-policy-for-cultural-heritage/european-year-of-cultural-heritage-2018

[38] https://erasmus-plus.ec.europa.eu/fr

[39] https://edl.ecml.at/

[40] L’EASA rassemble 27 organismes d’autorégulation couvrant 25 pays, couvrant les publicités vues par 96 % de la population de l’UE.

[41] Il s’agit d’une application pour rendre accessible, présenter et partager le français dans sa diversité. Il s’agit de partager avec l’ensemble des populations francophones la richesse d’un français qui s’enrichit non pas depuis la France, mais à partir des autres cultures et des autres communautés francophones. Pour mémoire, jusqu’à maintenant le plus grand corpus de mots était “le trésor de la langue française” (90 000 expressions). Aujourd’hui, le dictionnaire des francophones, c’est 6 fois plus d’entrées avec ce nouveau dictionnaire des francophones. (audition Paul de Sinety, délégué général à la langue française et aux langues de France, par le Conseil de l’Ethique Publicitaire le 15 septembre 2022)

[42]Ce projet découle du discours du 20 mars 2018 du président de la République française, Emmanuel Macron. Un mandat a été confié à la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) et à un comité de pilotage interinstitutionnel qui a choisi comme opérateur l’Institut international pour la Francophonie (2IF), composante de l’université Jean Moulin Lyon 3. Un conseil scientifique a ensuite été réuni autour du projet, présidé par Bernard Cerquiglini.” www.dictionnairedesfrancophones.org/presentation

[43] 2021 : 13 participants www.unionfrancophone.com/jeunes-talents-francophones-de-la-publicite-ile-de-la-reunion/
2020 : 93 inscrits www.unionfrancophone.com/defi-stop-aux-infox-covid-19/
2019 : 100 candidats https://www.unionfrancophone.com/stop-aux-infox/

[44] in « Un atout pour l’autre mondialisation » in « Francophonie et mondialisation », Hermès, la Revue (N°40), CNRS Editions 2004

[1]

La langue française : 5e langue la plus parlée. Langue officielle de 32 Etats et gouvernements. 400 millions environ de locuteurs dont 62 % résident en Afrique. 2e  langue étrangère la plus enseignée. 4e  langue dans l’utilisation d’internet. TV5 Monde, chaîne de télévision reçue dans 400 millions de foyers.

[2]

« Demain la francophonie », Dominique Wolton, Editions Flammarion 2006
« Langues romanes : un milliard de locuteurs », Hermès, la Revue (N°75), CNRS Editions 2016
« Francophonie et mondialisation », Hermès, la Revue (N°40), CNRS Editions 2004

[3]

« La communication, les hommes et la politique », Dominique Wolton, CNRS Editions 2015