AVIS DU CEP PUBLICITÉ TOURISTIQUE

La publicité touristique, terrain emblématique de pratiques douteuses et de risques nouveaux

Plus encore que toutes les autres, la publicité touristique fait rêver : elle évoque les vacances, la détente, les voyages plus ou moins lointains. Elle rompt par son objet même avec la monotonie du quotidien et suscite donc un intérêt particulier chez les consommateurs. Elle est marquée par une forte concurrence, son caractère international et l’évolution très rapide de ses formes de communication.

Elle est par ailleurs impliquée dans le débat sur les effets de la consommation -en particulier de masse- sur la préservation des sites fragiles, et, subséquemment, sur celle d’un monde durable. Au-delà du débat, un mouvement de « tourismophobie » apparaît, qui gagne après Barcelone plusieurs villes d’Europe.

On peut observer, sans les justifier, des excès chez des voyagistes, tour-opérateurs, compagnies aériennes ou croisiéristes, qui présentent dans les médias une réalité fréquemment magnifiée : sur les affiches et dans les films, les visuels sont souvent de toute beauté, volontiers éloignés de ce que l’on peut observer sur le terrain. Cependant, sauf si elle franchit les limites de la publicité mensongère, n’est-ce pas là le propre de la publicité que d’embellir la réalité ?

Plus gravement, on relève dans des textes accompagnant les visuels, des infractions aux règles légales et déontologiques. Ainsi les régies se sont-elles vu proposer des affiches ou des films indiquant les prix hors taxes (le « HT » souvent noté en petit). Il leur a fallu un temps et une énergie considérables pour que les annonceurs du secteur renoncent à cette pratique. De même, la disponibilité du produit offert n’est pas toujours garantie. Il est vrai que l’agence qui distribue n’est généralement pas responsable du voyage produit par le tour-opérateur.

Sensible à ces aspects critiquables des publicités touristiques, le Conseil Paritaire de la Publicité a publié le 9 décembre 2013 un avis recommandant aux professionnels une terminologie plus précise pour les communications du secteur Transport, Voyages et Tourisme (s’agissant, par exemple, de la formulation précise des frais, prix, durée du séjour, ou vols directs) afin d’éviter une mauvaise compréhension de la part du consommateur. Il faut noter qu’il n’existe pas de règle déontologique, édictée sous la forme d’une recommandation de l’ARPP, dans le secteur touristique. C’est la raison pour laquelle le CPP a entamé cette démarche, qui doit être élargie : une déontologie spécifique du secteur devrait en effet être élaborée, en dépit de la faible représentation des annonceurs du secteur du tourisme adhérents à l’ARPP.

Aujourd’hui on constate que le recours au prix attractif fait toujours problème. Par exemple, bien des voyagistes, et surtout des compagnies aériennes, usent de la formule « à partir de » pour communiquer sur les prix sans identifier le contenu de l’offre : aller ou aller–retour, date de départ, conditions d’accès au prix… En outre, lorsqu’elles sont décrites, les conditions figurent souvent en petits caractères, sans renvoi évident et parfois à la verticale de l’affiche, ce qui les rend peu lisibles. Si le secteur touristique n’a aucunement le monopole de ces usages, ceux-ci y sont toutefois plus fréquents qu’ailleurs, ce qui n’est pas  admissible.

Plateformes et réseaux sociaux, les nouveaux intermédiaires

Aux errements encore constatés de la part de la publicité touristique dans les médias classiques, s’ajoutent aujourd’hui les problèmes causés par la promotion digitale. Le voyage et le tourisme constituent le premier secteur marchand du commerce électronique. Dans les derniers chiffres-clés de la FEVAD 2016-2017, le tourisme a la part de marché la plus importante du e-commerce (44 %). Le e-tourisme est en progression soutenue à + 13 % au premier trimestre 2018, dans un contexte lui-même très positif pour l’ensemble des distributeurs du voyage (+ 8 % de réservations au 1 er trimestre 2018, selon le baromètre Gestour/Orchestra). Les vendeurs sont des marques majeures : SNCF, Air France, OPODO, American Express, etc.…, qui côtoient de nombreuses PME et de petites agences. Dans ce secteur très concurrentiel, et par nature international, il faut pouvoir attirer le consommateur au-delà du descriptif de l’offre, en le complétant avec de nouveaux types de communication qui induisent de nouveaux risques en matière de déontologie.

Citons notamment :

  • les avis de consommateurs, dont on ne sait de qui ils émanent vraiment, ni d’où ils proviennent. Certains professionnels se font passer pour des clients, pour mieux vanter leurs produits ou font appel à des sociétés spécialisées pour produire des avis favorables, moyennant rémunération. Dans une décision qualifiée d’« historique pour l’industrie des services numériques» par l’avocat de Tripadvisor, partie civile, la justice italienne vient de condamner au pénal la société PromoSalento, qui commercialisait des faux avis concernant des établissements italiens. Quelques chiffrent illustrent l’ampleur du phénomène. Selon une étude réalisée par la Fevad/Médiamétrie//NetRatings de septembre 2016, 49 % d’internautes auraient recherché des avis de consommateurs pour choisir un produit ou un site et 51 % auraient donné une note ou un commentaire sur un produit acheté sur internet. Sur 60 entreprises contrôlées en 2016, la DGCCRF a constaté 35 % de faux avis sur Internet, tous secteurs confondus. Néanmoins, la présence d’avis étant de plus en plus systématiquement et massivement associée à l’offre touristique, le CEP recommande la mesure, par étude, de la perception par le consommateur des avis qu’il consulte. Cette connaissance est un préalable à l’action souhaitée de l’ARPP dans ce secteur.
  • les blogs des « influenceurs », qui jouent un rôle de plus en plus important pour orienter les voyageurs. Ces blogs dispensent une communication jugée plus authentique et plus pratique qu’ailleurs. Il y a des blogueurs qui sont de vrais experts, passionnés de certains types de voyage ou de destination, et qui peuvent fournir une information impartiale et documentée. Mais une fois reconnus efficaces, les influenceurs sont sollicités et payés par des professionnels du tourisme dans le but de valoriser leurs destinations et leurs activités. Quelle confiance, dès lors, leur accorder ? Rappelons qu’ils se trouvent placés sous un régime juridique complexe, soumis, en tant qu’éditeurs d’un service de communication publique en ligne à la loi LCEN de 2004, mais aussi à la loi de 1881, qui garantit la liberté d’expression.
  • les forums de discussion sur les réseaux sociaux prolongent ce type de communication digitale. On y propose photos et vidéos avec des commentaires qui influencent le consommateur, sans garantir la véracité et l’indépendance des informations ainsi diffusées.

Certification, réglementation, et autodiscipline : pour quelle efficacité ?

Ces trois nouveaux types de communication digitale touristique peuvent être considérés comme de la publicité, à partir du moment où un annonceur la rétribue ou la contrôle pour promouvoir son activité et ses produits. Ils doivent dès lors respecter le Code de la consommation et les règles déontologiques publicitaires pour assurer la protection du consommateur. Des efforts ont été menés en ce sens ces dernières années dans les trois champs de la certification, de la réglementation, et de l’autodiscipline. Pour encadrer les avis en ligne, mentionnons la norme AFNOR NF 74-501 de juillet 2013, qui a fourni à la demande de la France la base d’un travail sur l’e-réputation réunissant 27 pays, et qui doit être remplacée par la norme internationale ISO 20488 au 30 septembre 2018. Elle permet au professionnel certifié de garantir que les avis correspondent à des expériences de consommateurs identifiés– mais elle est d‘application volontaire et globalement peu suivie [1] .  Cette certification, qui se matérialise par un certificat NF affiché sur le site, n’autorise pas  à indiquer que les avis eux-mêmes sont certifiés, ce qu’ont pu faire abusivement certains professionnels contrôlés.

Depuis le 1er janvier 2018 s’applique le décret n° 2017-1436 pris en application de la loi Lemaire « pour une république numérique » du 7 octobre 2016, qui impose aux sites Internet qui collectent, modèrent ou diffusent des avis en ligne de consommateurs de respecter des critères de transparence, et de les faire apparaître sur leur site [2] . Il est encore trop tôt pour évaluer l’efficacité de cette nouvelle réglementation, inspirée des travaux de la FEVAD et de la norme AFNOR, même si des efforts de transparence sont visibles (voir la rubrique « politique d’intégrité des contenus » sur Tripadvisor par exemple.) Le CEP recommande que l’ARPP en assure un suivi attentif.

Un autre type de communication digitale touristique, plus ambigüe encore, peut orienter, mais aussi tromper le consommateur dans ses achats de voyage en ligne : celle des sites comparateurs de prix. Encore nombreux dans le transport aérien, la location de voiture, l’hébergement et les hôtels, ces sites comparateurs sont critiqués pour leur manque de transparence ou de loyauté.

Censés offrir une véritable mise en concurrence, ils ne mettent parfois en avant, en réalité, que les vendeurs qui les rémunèrent. Les prix annoncés ne sont souvent pas comparables, car ils ne concernent pas la même prestation, ou qu’ils ne présentent pas les mêmes prix (avec ou sans taxes par exemple) ou l’existence de frais complémentaires (bagages en soute à payer en plus par exemple) de la même manière.

En soi, l’information fournie par les comparateurs constitue-t-elle de la publicité ? La question reste ouverte. Les dépenses consacrées par les annonceurs pour figurer en bonne place sur Internet sont comptabilisées comme telles, qu’il s’agisse d’un référencement sur un moteur de recherche ou d’un classement sur un site spécialisé le proposant au public. Ces plateformes opérant en ligne peuvent aussi mettre en relation des consommateurs avec des professionnels pour aboutir à un achat en ligne. On observe des efforts de professionnels pour discipliner ces sites. Ainsi une « charte Comparateur » a été mise en place en 2008 par la FEVAD pour les sites français, que les opérateurs sont incités à signer, acceptant ainsi de se plier à un contrôle annuel [3] . En outre, la loi Lemaire susvisée, qui a pour objectif d’introduire davantage de loyauté et de transparence sur les plateformes en ligne, énumère notamment les informations que doivent désormais délivrer les opérateurs, à titre professionnel, de ces plateformes [4] .

Au total, si une nouvelle législation, qui s’étendra bientôt au plan communautaire avec la présentation par la Commission européenne en avril 2018 de son projet de règlement sur la « promotion de l’équité et de la transparence pour les utilisateurs professionnels de services d’intermédiation en ligne »,directement inspiré des décrets Lemaire, se met en place pour encadrer cette communication digitale, une autodiscipline publicitaire spécifique n’apparaît pas encore de manière significative dans la publicité touristique. La communication touristique présente, comme on l’a vu, des risques particuliers, et son importance va s’accroitre dans les années qui viennent. Le transport et le tourisme se développent avec la mondialisation et la concurrence y fait rage. L’ouverture du rail à la concurrence en France et en Europe va provoquer une vive communication commerciale, comme on le voit dans l’aérien. En même temps les voyageurs et les passagers, de plus en plus critiques sur le service rendu, réclament des offres de mobilité plus claires et plus loyales.

On peut regretter que le tourisme et le transport ne suscitent pas d’attention spécifique de la part de l’autodiscipline publicitaire. Aucune plainte émanant du public, il est vrai, n’a été adressée au Jury de Déontologie Publicitaire. Mais aujourd’hui il semble nécessaire que les professionnels de ce secteur, qui viennent de créer une Confédération du Tourisme réunissant les organisations professionnelles existantes, utilisent l’ARPP et l’Alliance européenne pour l’Éthique en Publicité (EASA), afin de prouver au public et à leurs clients leur volonté de mieux les respecter dans leur communication classique comme digitale.

Transparence et loyauté sont les deux valeurs à faire respecter. Une recommandation déontologique propre au transport et au tourisme devra être mise en place avec les professionnels, tant au niveau national qu’au niveau européen, du fait de la spécificité du secteur, comme le demandait le CPP en 2013. Le voyageur, le touriste, et le public en général doivent bénéficier, dans leur mobilité, d’une plus grande attention de la part de l’autodiscipline qui, dans le secteur du tourisme, semble nettement en retard.

Cet avis piloté par Jean-Pierre Teyssier et Gérard Unger réunit et synthétise les réflexions du groupe de travail  du CEP qu’ils ont composé avec Myriam Boucharenc

Paris, le 3 octobre 2018

[1]

la norme NF Z74 -501  définit des principes et des exigences de collecte, modération et restitution d’avis de consommateurs : identification de l’auteur de l’avis et attestation / possibilité de vérification de l’expérience de consommation, interdiction d’acheter les avis, engagement de publier non modifiés l’ensemble des avis, négatifs ou positifs, publication des avis dans l’ordre chronologique, droit de réponse, notamment.

[2]

La loi n° 2016-1321 est codifiée à l’article L 111-7-2 du code de la consommation. Le décret n° 2017-1436 (codifié de D 111-16 à D 111-19) inspiré de la norme AFNOR, encadre les avis en ligne : obligation de mention claire et visible de l’existence d’une procédure de contrôle des avis et de ses caractéristiques, de la date de publication de l’avis et de l’acte de consommation, des critères de classement, de l’existence d’une contrepartie, de la possibilité de contacter l’auteur de l’avis, des motifs de refus d’insertion, notamment .

[3]

Elle garantit notamment que les informations sont mises à jour, que le classement n’est pas établi uniquement sur la base du prix, et que les offres sont aussi détaillées que sur le site vendeur.

[4]

Le décret n° 2017-1434 du 29 septembre 2017, pris en application de la loi et applicable au 1er janvier 2018 détermine le contenu de ces informations et les modalités de leur délivrance, dont, pour les plateformes de classement ou de référencement : les conditions de référencement ou de déréférencement, les critères de classement, et l’existence d’un lien capitalistique ou d’une rémunération, notamment.