Avis du CEP « Publicité et jeunes publics »

Si, depuis toujours, la relation des enfants et des adolescents aux messages publicitaires est une question sensible, et complexe, la place croissante occupée aujourd’hui par les nouveaux médias dans les pratiques culturelles des jeunes, comme les évolutions observées chez ces derniers dans leur psychologie et leur maturité, imposent de réexaminer et d’actualiser la réflexion voire, si nécessaire, les protections à leur égard. C’est pourquoi, le Conseil a souhaité en débattre et publier un avis sur ce sujet d’importance pour l’éthique publicitaire.

CONSTATS

1. Une problématique toujours d’actualité, mais à considérer sous différents angles.

Il faut rappeler, tout d’abord, que l’enfant, ou le jeune, peut être concerné par la publicité de manière diverse :

  • il peut être mis en scène dans des campagnes qui, tout en ciblant les adultes, utilisent sa représentation dans l’argumentation ou l’image utilisées;
  • il peut, plus directement, être la cible visée pour le produit dont le message fait la promotion;
  • il peut enfin, sans être pour autant visé ou représenté, être sensible à une publicité qu’il aura vue ou entendue.

Quant aux critiques adressées à la publicité sur le terrain des jeunes publics, elles sont de différents ordres: il y a, tout d’abord, la crainte de les heurter, voire de les traumatiser, avec des images, ou des propos, inadaptés à certains âges. Ensuite, certaines représentations publicitaires pourraient conduire à des comportements dangereux, violents, inciviques ou facteurs de risques (par ex. en termes de santé publique ou de sécurité). Enfin, est présente chez certains l’idée selon laquelle la publicité inciterait les enfants à une surconsommation, en suscitant chez eux de la frustration et des besoins artificiels.

2. Le contexte a changé.

Tout d’abord, les pratiques média des jeunes publics ont profondément évolué car la part des supports fédérateurs se réduit. La multiplication des médias conduit à des consommations de plus en plus individualisées. En grandissant, l’enfant puis l’adolescent, disposent d’outils de communication de plus en plus nombreux (portable, puis console de jeu, ordinateur, télévision dans sa chambre, etc..), qu’il utilise en étant de plus en plus isolé de son entourage familial. Il faut prendre en compte les risques induits par ces nouvelles formes de consommation médias, qui peuvent sembler encadrées par le fait de se dérouler dans le foyer familial, alors que l’enfant est, dans les faits, livré à lui-même.

Ensuite, les jeunes publics ont évolué. De façon continue, depuis plusieurs années, on observe une évolution dans la population des jeunes publics. Parmi la multiplicité des facteurs en cause, quatre au moins méritent d’être pris en compte : l’amélioration des conditions d’hygiène et de soins ; l’instabilité plus grande des structures familiales et, à un moindre degré, de la société dans son ensemble ; une expérience plus précoce et plus approfondie du monde extérieur, reflet d’un usage accru des nouveaux médias ; l’existence de plus en plus soumise à la pression de l’urgence. Ainsi, à âge égal, les jeunes publics d’aujourd’hui ont une maturité physiologique plus avancée, sont mieux informés que leurs aînés, tout en étant sans doute plus sensibles aux défaillances de leur environnement et plus en quête de nouveauté.

3. Les jeunes publics ne constituent pas un groupe homogène.

Il est, en effet, nécessaire de prendre en compte les caractéristiques différentes selon les tranches d’âge. Ce n’est pas avant six ou sept ans que les enfants parviennent à distinguer la réalité extérieure de leur monde psychique interne. La compréhension du caractère irréversible de la mort est plus tardive encore. En revanche, les enfants élevés dans des conditions satisfaisantes acquièrent très rapidement la capacité de jouer et tirent un grand plaisir de ce qui leur est montré comme un clin d’œil face aux contraintes du monde extérieur, principe qui sous-tend, par exemple, les dessins animés.
Plusieurs situations sont donc à considérer. Avant quatre ans, et à un moindre degré jusqu’à six ans, les enfants peuvent être impressionnés par des messages s’ils n’ont pas été aidés pour les décoder par les adultes. A partir de 6-7 ans ils ont généralement acquis la capacité à décrypter les messages qui les intéressent. Les enfants d’âge scolaire sont spontanément mieux protégés car, ayant acquis le sens de la réalité, ils comprennent immédiatement l’aspect ludique des messages. Inversement, les adolescents ayant souvent une image du corps, et donc d’eux-mêmes, incertaine peuvent être sensibles aux messages la mettant en cause. De plus, leur éveil à la sexualité leur fait percevoir, avec une réaction émotive marquée, ce qui laisse indifférents les plus jeunes.

4. La problématique publicité et jeunes publics pose aussi la question des rapports entre enfants et adultes.

Le regard que portent les adultes sur les enfants est, en effet, affecté par la présomption d’innocence et de pureté des jeunes publics. En ce domaine, la perception la plus commune témoigne de deux illusions d’ailleurs antagonistes. D’une part, les enfants, d’emblée considérés comme des adultes, voient leur avis sollicité en permanence. D’autre part, en contradiction avec ce que la psychologie de l’enfant a mis en évidence depuis plus d’un siècle, les enfants sont considérés comme des victimes permanentes des agressions en provenance du monde extérieur, comme s’ils n’avaient aucune vie psychique et, surtout, comme si le cadre familial ou scolaire ne jouait plus aucun rôle dans leur développement. Ainsi, comme le montrent l’observation et l’écoute des enfants, ne serait-ce que dans les cours de récréation, leur monde n’est pas toujours l’univers aseptisé que nombre d’adultes leur prêtent.

Inversement, cette problématique soulève la question du regard que portent les enfants sur les adultes, parents ou éducateurs. L’entourage joue un rôle majeur dans la construction identitaire chez l’enfant : par exemple, pour le responsabiliser et l’éduquer, notamment dans le domaine alimentaire, à de bons comportements. Principale source de protection, ils constituent aussi les premiers modèles d’identification. Pour ces raisons, le Conseil constate qu’il est indispensable de préserver en toutes circonstances l’image des parents et des éducateurs. A ce titre, il estime également important de tenir compte de la valeur d’exemplarité que peut avoir, pour de jeunes publics, la représentation de comportements mettant en scène des adultes.

En conclusion de ce constat quelque peu contrasté, la prise en compte de l’ensemble de ces facteurs ne permet pas de fournir de conclusions univoques. De très nombreuses études ont été conduites sur la réception de la publicité, sans qu’il soit possible de dégager une vision communément admise. Il n’est, notamment, pas possible d’évaluer l’impact des messages publicitaires en ignorant les conditions de leur réception : d’une part, ils ne constituent qu’une faible partie des images perçues par les enfants ; d’autre part, leur compréhension se fait à partir du filtre fourni par les parents et les éducateurs.

RECOMMANDATIONS

Conscient de la nécessité de protéger les jeunes publics, le Conseil souhaite cependant ne pas tomber dans les idées reçues qui, trop souvent, obscurcissent cette problématique, par exemple celle qui opposerait un enfant « pur » à une publicité « impure ». Cette vision ne résiste pas à l’analyse. Elle peut être même pernicieuse en conduisant quelquefois, dans notre société, à la tentation d’imposer une moralisation excessive au nom de la protection de l’enfant, voire d’utiliser cette préoccupation, légitime au demeurant, pour mettre en œuvre un interventionnisme inspiré par d’autres motifs où l’enfant n’a guère sa place.

Il y aurait aussi un danger à susciter des inquiétudes infondées auprès d’une société et de familles déjà trop anxieuses. Un autre risque serait de croire que l’on peut résoudre cette question complexe en n’envisageant que les messages et les images émis par la publicité, alors que ces derniers viennent de différentes sources : clips musicaux, films de cinéma, bandes annonces, jeux vidéos, etc. Sanctuariser, en les réglementant ou en les interdisant, le traitement des messages publicitaires, non seulement ne suffit pas à résoudre le problème, mais peut conduire à une communication aseptisée et déconnectée de la réalité.

Ceci étant dit, le Conseil souligne la nécessité d’une communication responsable dès lors qu’un enfant est mis en scène ou ciblé par une publicité. A ce titre, il propose les principes suivants :

1. D’une façon générale, il va de soi que les messages destinés aux enfants doivent aussi répondre aux principes éthiques qui régissent les publicités destinées aux adultes. D’une part existent des règles générales, pour préserver l’honnêteté du message, éviter les risques éventuels qu’il pourrait entraîner, et respecter les publics touchés, et d’autre part, il faut instaurer des règles spécifiques concernant les jeunes publics que les professionnels se doivent de connaître.

2. Dans les publicités qui concernent les enfants, des situations doivent être bannies :

  • celles qui font appel à la toute-puissance de l’enfant face aux adultes ;
  • celles valorisant le dénigrement ou la dévalorisation des parents, ou des éducateurs, aussi bien sur le plan familial que dans leur rôle social ;
  • celles où son intégrité physique et mentale se trouve mise en danger, en particulier quand les adultes sont défaillants dans leur rôle de protection ;
  • celles qui réduisent les enfants au rôle d’objets ;
  • celles où les défauts physiques ou moraux d’un enfant et, plus encore, d’un adolescent sont utilisés comme repoussoir pour proposer une autre attitude ;
  • celles qui suggèrent un acte ou une pratique mettant l’enfant en danger.

De ce point de vue, le Conseil rappelle que les dispositions déontologiques prévues par le Code Enfants de l’ARPP constituent des repères pertinents pour les professionnels. Il a pris connaissance du nouveau Code Comportements alimentaires qui, sur ce sujet spécifique, aborde de façon équilibrée la protection des jeunes publics, en distinguant ce qui leur est propre tout en soulignant l’exemplarité des comportements adultes dans le domaine alimentaire (ce qui conduit, donc, à étendre aux adultes des restrictions visant jusqu’alors les seuls enfants, de telle façon de ne pas donner “le mauvais exemple”).

3. Une grande vigilance est requise pour les publicités destinées aux adolescents.

Il serait erroné de penser que plus un enfant est jeune, plus il doit être protégé. Les adolescents sont parfois plus sensibles à certaines images, ou à certaines sollicitations. Il faut souligner leur grande vulnérabilité, peut-être supérieure à celle des plus jeunes, compte tenu des profondes modifications physiques et psychologiques qu’ils subissent. Ces difficultés s’accroissent dans la société actuelle, et durent plus longtemps, puisqu’on peut souffrir de la fragilité de l’adolescence beaucoup plus tard dans la vie. Nouveaux nés dans le monde des adultes, les adolescents sont plus sensibles aux messages qui pourraient leur donner l’illusion d’une toute-puissance immédiate, en particulier quand il est fait appel à la violence ou à la sexualité. Toutefois, l’influence de ces sollicitations est secondaire par rapport à celles résultant des modalités d’identification des adolescents aux adultes, les parents étant ici naturellement au premier plan. Ainsi la publicité ne peut pas être tenue pour seule responsable des dérèglements alimentaires, lesquels s’expliquent par une pluralité de facteurs. Néanmoins, les professionnels de la publicité doivent tenir compte de la vulnérabilité des adolescents, et de leur facilité à adopter, au vu de certaines images, des comportements qui leur seraient néfastes. A ce titre, la publicité doit être particulièrement attentive aux arguments et aux situations présentés dans les domaines des boissons et des produits alimentaires. De même, elle ne doit pas, dans la représentation de certaines scènes ou de certains gestes, favoriser des comportements inciviques ou anti-sociaux.

4. Le Conseil s’est interrogé sur l’intérêt de développer, dans tous les cycles d’enseignement, des modules d’une meilleure compréhension aux médias, de manière à permettre aux jeunes publics de décrypter plus facilement le sens des messages publicitaires qui les interpellent. Il estime utile une telle démarche, à condition qu’il ne s’agisse pas de transmettre un savoir, mais de donner les outils d’un débat critique et de faciliter la responsabilisation de futurs consommateurs. Par ailleurs, il estime que la recherche universitaire devrait en France, poursuivre, notamment la sémiologie et l’étude des représentations publicitaires, plus que jamais nécessaires pour mieux comprendre le discours et les images véhiculés par la publicité, et permettre ainsi d’offrir une réflexion critique sur elle, au profit notamment des jeunes publics.

Avis du conseil de l’Ethique Publicitaire, publié en 2009