Avis du CEP « Publiphobie, attitude des citoyens face à la publicité »

HISTOIRE

Dans son ouvrage, Histoire de la Publicité en France (Presses Universitaires de Paris Ouest), Marc Martin analyse les différentes étapes de la formation d’une idéologie de la publiphobie en France.

La société française s’est d’abord définie dans le contexte des influences croisées de la noblesse terrienne et de la religion catholique. Avec l’arrivée des confréries, toute concurrence se trouve interdite. Puis la révolution industrielle s’organise autour d’une population d’ingénieurs. Pour eux, le phénomène des marques n’existe pas, les produits se suffisent en tant que tels.

L’émergence de la publicité se manifestera plus tard par l’arrivée de nouveaux commerçants : les distributeurs, proposant des produis dans le cadre des « grands magasins ». Après la seconde guerre mondiale, l’intelligentsia, majoritairement à gauche, est peu favorable à l’économie de marché et donc à la publicité commerciale. Cette analyse rejoint celle de certains partis politiques, comme l’extrême-droite, très peu favorables à l’économie de marché.
Seule la propagande, communication politique, est perçue favorablement.

L’Etat en France possède une place déterminante, c’est lui qui est au cœur de la société française et non les entreprises. Cette défiance à l’égard de la publicité s’amplifiera avec l’éclosion des mouvements écologistes, qui en France sont à gauche de l’échiquier politique, remettant en cause la société de consommation.
Ce mouvement débute par la candidature de René Dumont à l’élection présidentielle de 1974.
Contrairement aux écologistes allemands, pour qui la contestation va s’axer sur les énergies, en France elle se focalise sur la consommation et donc la publicité.

LA CONTESTATION

En 1946, « pour rendre à la France un visage plus net et plus pur », les membres de l’association « la Ligue urbaine et rurale » nettoyaient les murs des villes en détruisant les affiches et panneaux publicitaires.
Depuis, d’autres ont repris le flambeau, comme le collectif des « Déboulonneurs » par exemple.
Leur activité se concentre essentiellement sur les actions de barbouillage et sur les meilleurs moyens de les prolonger en portant le débat devant la justice. Les salles d’audiences, leur permettent de toucher un cercle plus large que celui des militants, avec l’espoir de susciter un vrai débat public.
Certains évoquent l’impact physique et mental de la publicité (Pierre Bourdieu (1930-2002)), insistant sur le rôle qu’ils estiment être le sien dans l’épidémie d’obésité par exemple ou dans l’addiction au jeu.
Pour certaines associations féministes, la publicité entretiendrait le sexisme et la violence.

LA POSTURE IDÉOLOGIQUE

Dans les établissements scolaires, on enseigne aux enfants la macro économie mais les entreprises ne sont présentées que dans le cadre de conflits sociaux, mouvements syndicaux, etc.
Les médias d’information valorisent rarement les entreprises dynamiques, créatrices d’emplois. Ils soulignent plutôt les groupes qui délocalisent, les conflits patronat/salariés ou le montant de certains salaires ou indemnités considérés comme « indécents ».
Les élus ont parfois la tentation de prendre la publicité comme bouc émissaire.
La publicité possède un rôle symbolique très fort, c’est pourquoi les gouvernements la restreignent ou lui impose des contraintes supplémentaires. Par contre, ils savent l’utiliser au profit de leur propre communication.
Ceci est particulièrement évident pour des thématiques comme l’image de la femme ou encore le surpoids.

La culture globale en France est plus « ingénieur » que « marchande », si on valorise les produits, « les bons produits », la démarche de vente ne l’est jamais.
Il n’existe pas d’écoles de vente prestigieuses, contrairement au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis.
Avec l’amplification des questions liées au développement durable et la montée des notions de dé-consommation, de société naturelle et de produits authentiques, le rejet de la publicité s’accentue.

Certains médias publicitaires font l’objet d’un type spécifique de publiphobie : en affichage, le rejet est ancré dans une démarche écologiste qui refuse la pollution occasionnée par la présence de panneaux publicitaires.

LA COMPLEXITÉ

La publiphobie est multiple, elle peut correspondre à un rejet global de toute publicité ou à un rejet quantitatif, ou encore sélectif, fonction des thèmes abordés ou des médias utilisés.
Par ailleurs, les définitions proposées de la publiphobie se réfèrent souvent à un vocabulaire violent : « haine de la publicité », « répulsion », « hostilité »…
Elles démontrent par là même, le côté polémique du jugement, la posture culturelle.
Dans le monde, les disparités culturelles sont fortes.
Les pays anglo-saxons sont généralement plus favorables à la publicité, ils témoignent d’un vrai respect pour l’entreprise, l’innovation et l’économie de marché.
L’exemple de Time Square est emblématique de cette acceptation de la publicité comme élément de la culture urbaine.

Par ailleurs, dans les pays dits émergents, la publicité est aussi regardée plus positivement : en Chine, en Inde ou au Brésil, la publicité accompagne le développement de la consommation, la découverte du choix, l’accès à un mieux-vivre.
En France, la publicité souvent ressentie comme l’expression visible de l’activité de l’entreprise, est par voie de conséquence, toujours attaquée et souvent suspectée.

L’AMBIVALENCE

Pourtant il est intéressant de constater que la même population va rejeter le concept tout en portant un intérêt manifeste à certaines campagnes.

Alors publiphobie, publiphilie ?

Les deux attitudes sont souvent imbriquées, il n’est pas incohérent de s’avouer publiphobe et d’être ému par des messages publicitaires.
La question générale « aimez-vous la publicité ? » appelle une réponse conceptuelle et culturelle.

Régulièrement dans les sondages, les individus disent, ne pas regarder la télévision et ne pas aimer la publicité…pourtant, très peu de foyers en France ne possèdent pas de télévision…

Dans les faits, les études attestent d’une réalité plus contrastée avec un intérêt explicite exprimé pour des campagnes publicitaires. La progression régulière d’Internet, témoigne de cette ambivalence. Si on observe ce phénomène, au départ l’idéologie est très libertaire, pourtant aujourd’hui la publicité y est très présente et sous les formes les plus intrusives : la publicité comportementale est presque systématiquement ressentie comme une agression. Néanmoins, Internet n’est pas rejeté.

A l’origine, Google, créé en 1998, promeut un système alternatif à la communication traditionnelle que l’on reçoit passivement. L’objectif de cette « nouvelle culture » est de faire émerger toutes les opinions qui veulent être exprimées, et permettre l’interactivité.

Elle a, en particulier, pour conséquence une nouvelle appréhension des messages publicitaires : les internautes s’en saisissent, les commentent, les transforment, parfois même, les critiquent violemment.

Cette attitude est très révélatrice des comportements des consommateurs face à la publicité : s’y intéresser et la rejeter. La publicité appartient à l’univers culturel contemporain. Comme beaucoup d’autres activités, elle fait l’objet de rejet quand elle ne répond pas aux critères de qualité attendus par le public.

CONCLUSION

La perception de la publicité par le public est complexe, ce dernier exprime, tant son attrait pour certaines campagnes que son rejet du concept même de publicité.
La publicité doit donc redevenir qualitative pour répondre aux attentes de son public.
Plus elle s’impose aux consommateurs, plus il convient d’être exigeant sur sa qualité, elle s’adresse à l’émotionnel, elle doit donc être intelligente, ludique et esthétique.

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Avis du Conseil de l’Ethique Publicitaire, publié le 4 août 2014