En 2002, le navigateur Firefox se dotait d’un module dont l’installation permettait de rendre les publicités invisibles.
Les adblocks se définissent comme des extensions pour navigateurs (Chrome, Explorer, Firefox, Safari, etc.) utilisées par les internautes pour filtrer le contenu des pages internet afin d’en bloquer les publicités.
Corollaire de l’investissement croissant dans la publicité numérique, l’économie des bloqueurs de publicités sur Internet est en plein essor : un dixième des internautes français en utiliseraient un [1] .
Originellement, ces projets en logiciel libre (open source) défendent une certaine conception de l’Internet libre et gratuit ; dorénavant, ils dépendent principalement de sociétés lucratives, financées par des dons ou grâce à une contribution payante à une liste blanche de certaines publicités, dites « acceptables ».
Au nom d’une liberté, sont revendiqués des principes communautaristes, qui ne peuvent se confondre avec les critères stricts des démarches d’autorégulation publicitaire.
Les internautes, dont il est légitime de penser qu’ils puissent garder la maîtrise de l’affichage de tout contenu sur leur(s) écran(s), utilisent ces systèmes, car ils ressentent certains formats publicitaires sur Internet comme trop intrusifs, et estiment les techniques de (re)ciblage abusivement apparentes, voire insistantes.
Le ciblage en soi reste plébiscité par les entreprises et les internautes, qui souhaitent se voir adresser des publicités pertinentes, d’autant plus que les professionnels, aux côtés de la législation, ont mis en place les modalités pratiques d’expression de leur consentement [2] .
Probablement par manque de pédagogie des acteurs sur la contrepartie d’un Internet généralement gratuit, ou alors par abonnement complémentaire à celui des fournisseurs d’accès, certains internautes souhaiteraient surtout y exprimer leur refus de la publicité.
De meilleures pratiques, explicites, mieux partagées quant à l’affichage des formats publicitaires (format, insertion, moment, répétition…), auraient pourtant pour conséquence de faciliter l’accès à l’information diffusée sur Internet.
Bousculés dans leur modèle économique par la mutation numérique en cours depuis deux décennies, qui se cherche entre gratuité totale, donc essentiellement obtenue par un financement publicitaire, et contenus payants, par abonnement ou micro-paiement à l’acte, certains médias ont tenté de bloquer l’accès à des contenus de leur site lors de l’utilisation d’un adblock.
Mais, face aux réactions houleuses du public, la plupart des sites ont abandonné ce type d’initiative.
D’autres, comme en Allemagne, ont recours à la justice, qui, dans un premier jugement d’avril 2015, a reconnu aux internautes le droit de conserver le contrôle sur ce qui s’affiche ou pas sur leurs écrans, y compris les publicités [3] , sans statuer, à ce stade, sur le volet économique de l’affaire, qui est de devoir payer pour figurer dans la liste blanche. Des éditeurs en France étudient aussi cette voie judiciaire.
Des réponses technologiques tentent de contourner les bloqueurs de publicité, mais relèvent généralement d’une « course à l’armement » : qui alignera le plus grand nombre de développeurs ?
Cependant, cette éventualité est périlleuse, tant l’histoire du numérique nous montre qu’un raz-de-marée mêlant logiciel libre et adoption massive par le public ne peut être arrêté légalement, à tout le moins dans nos sociétés démocratiques, a fortiori pour défendre une dimension économique dont relève la publicité.
L’industrie musicale, la première, pourtant dans le champ culturel, conserve un souvenir amer de la lutte contre les échanges de pair à pair (peer-to-peer).
Le leader de ces systèmes de blocage publicitaire a édicté une charte, définissant les publicités qu’il estime être acceptables. Il en propose l’adoption aux professionnels. Ces derniers, moyennant paiement, obtiennent d’être inscrits sur des « listes blanches », et échappent ainsi au blocage de leurs messages publicitaires. Dans ce contexte, les bloqueurs de publicité se prévalent d’une démarche éthique bien qu’il s’agisse d’une démarche commerciale, car l’accès à leur liste blanche est payant.
Le Conseil de l’éthique publicitaire s’interroge sur cette démarche des adblockers, présentée comme une démarche d’éthique.
Elle est initiée par un seul intervenant, qui s’arroge le droit de fixer les critères qu’il impose au marché. Quelle que soit la valeur intrinsèque de ces critères, ils n’ont pas fait l’objet d’échanges avec les professionnels avant diffusion, aucun avis de parties prenantes n’a été sollicité.
Enfin, rien ne vient en contrôler l’effectivité.
Le Conseil de l’éthique publicitaire rappelle que l’éthique de la communication publicitaire est une démarche rigoureuse, dont la légitimité dépend du respect de critères précis :
- la participation des acteurs à l’élaboration des règles ou critères ;
- la transparence, donc une diffusion large des règles ;
- leur effectivité, donc le contrôle de leur application.
Le Conseil est conscient des attentes des internautes dans ce cadre et souhaite qu’une réelle réflexion éthique s’organise sur ces questions, associant les professionnels ainsi que des parties prenantes.
Le Conseil est tout autant aux côtés des professionnels en demandant que la présentation, aujourd’hui biaisée, qui est faite par ces éditeurs de solutions logicielles, respecte les principes fondamentaux de loyauté, de transparence et de véracité vis-à-vis des consommateurs, qui doivent être en mesure d’identifier ce qui a été filtré en dehors de leur libre arbitre.
Le Conseil rappelle enfin que l’évitement de ces bloqueurs de publicité ne doit pas pour autant faire oublier aux professionnels les principes déontologiques fondamentaux et historiques d’identification de la publicité et de l’annonceur, qui ne sauraient engendrer une confusion de l’émetteur d’une communication commerciale avec une production d’auteurs ou de journalistes.
Paris, le 14 septembre 2015