COMMUNICATION ET INFORMATION

Une confusion accrue

Avec l’extension de ses possibilités d’expression et les potentialités ouvertes par les nouvelles technologies, la publicité ouvre de nouveaux enjeux éthiques et démocratiques. Comment l’autodiscipline peut-elle y répondre ?

I – Le constat

La publicité fait l’objet de multiples définitions. Certaines la cantonnent à l’achat d’espace, à l’exemple du manuel de base d’enseignement publicitaire aux étudiants, qui définit la publicité comme étant une « communication de masse partisane faite pour le compte d’un émetteur clairement identifié qui paie des médias (presse, TV, radio, affichage, internet, cinéma) pour insérer ses messages promotionnels dans des espaces distincts de contenu rédactionnel et les diffuser ainsi aux audiences des médias retenus »[1].

Mais l’exigence d’une matérialisation par un achat d’espace, voire d’une contrepartie financière directe n’est plus toujours requise, sous la double influence de la jurisprudence (loi Evin notamment), et d’autres définitions plus larges, dont celle de la directive européenne de septembre 1984. Pour celle-ci, la publicité désignerait « toute forme de communication faite dans le cadre d’une activité commerciale industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou services, y compris les biens immeubles, les droits et les obligations »[2]. Notons par ailleurs que cette dernière définition omet le champ de la publicité des institutions publiques, collectivités territoriales ainsi que celui des acteurs associatifs.

Cette difficulté à définir le sujet de la publicité, d’ailleurs non définie ou codifiée en France dans un seul texte, est d’autant plus actuelle que notre conception classique a volé en éclats en l’espace de quelques années.

  • La publicité historiquement diffusée auprès de larges publics (sur les médias dits de masse) est de plus en plus souvent diffusée auprès d’audiences atomisées, en raison de la fragmentation des médias et des possibilités de ciblage publicitaire plus fin.
  • La diffusion de la publicité qui se faisait toujours de l’émetteur-annonceur vers le récepteur-consommateur ou récepteur-public peut maintenant être reprise et transférée, notamment via les réseaux sociaux, du consommateur au consommateur, ce dernier devenant alors lui-même émetteur. Le récepteur des messages publicitaires longtemps considéré comme passif devient alors un acteur de création (blogs, forums) et de diffusion (réseaux sociaux) de contenu[3].
  • Des évolutions sont apparues dans les supports, en complément ou au sein des six supports traditionnels, à l’exemple de l’affichage numérique ou des grandes bâches sur les monuments en réhabilitation.
  • Les messages sont parfois délivrés sous des formes où la séparation avec le contenu rédactionnel apparaît moins clairement.
  • L’objectif de diffusion des messages publicitaires, s’il perdure pour nombre de campagnes, se complète d’un nouvel objectif recherché par certains annonceurs : celui de l’engagement d’une conversation avec des communautés.

Si l’on élargit le champ de la définition, une autre tendance se dégage. Le métier même de la publicité, qui repose prioritairement sur la création de messages et conseils stratégiques quant au choix des canaux de diffusion, évolue aujourd’hui pour donner de plus en plus de place au recueil, à la gestion et au traitement des données[4].

Enfin, le développement de la dimension technique des fonctions a abouti à une mutation profonde du métier. L’expérience client, l’engagement des communautés, l’évaluation constante et souvent en temps réel des actions, la contextualisation, le ciblage émotionnel : toutes ces tendances ont transformé en profondeur la publicité.

Le rôle des consommateurs a évolué. Même si la méfiance envers le discours des marques[5] s’accroit, certains s’instaurent spontanément co-créateurs des messages – ou sont sollicités à cette fin par les marques. Ils réclament par ailleurs de nouvelles relations avec les marques, qui leur manifesteraient de nouveaux égards au travers de messages personnalisés susceptibles de mieux correspondre à leurs centres d’intérêt, et d’une expérience client apte à leur procurer une valorisation sur mesure.

C’est donc toute la conception traditionnelle de la publicité qui explose actuellement, principalement du fait d’Internet qui devient le premier poste d’investissement des annonceurs en matière de communication, si l’on inclut le Search[6] (moteurs de recherche). Toutefois, ces mutations ne peuvent se résumer à la simple influence du digital. Comme l’indique Jean-Marie Dru dans « La publicité autrement »[7], les espaces publicitaires classiques ne permettent plus la différenciation souhaitée par les annonceurs. La publicité cherche donc en permanence de nouveaux supports, et de nouveaux modes d’expression.

L’éthique de la publicité se retrouve ainsi questionnée, puisque c’est la conception même de la publicité qui est remise en question, sous l’influence de plusieurs évolutions fondamentales. C’est donc à la refondation d’une nouvelle éthique de la publicité adaptée aux nouveaux enjeux, aux nouvelles formes d’influence et aux nouveaux outils que notre avis ambitionne de contribuer.

II – Enjeux et questionnements

Toutes ces évolutions ont des conséquences significatives sur l’éthique de la publicité. Elles posent :

  • Un enjeu d’identification, car le risque de confusion entre la publicité et l’information s’accroit.
  • Un enjeu d’acceptabilité du fait de l’omniprésence de la publicité, l’émergence de nouveaux supports et de nouvelles formes publicitaires pouvant la faire apparaître comme intrusive.
  • Un enjeu démocratique, les nouveaux formats et le développement des technologies entraînant le risque d’une orientation de l’information dans l’intérêt de la publicité.

Ces enjeux concernent principalement, mais non exclusivement, les trois champs suivants :

  • Celui d’Internet

En octobre 2015, l’Interactive Advertising Bureau (IAB), organisation professionnelle des acteurs de la publicité digitale, a posté une communication dont les premiers mots étaient : « On s’est plantés ». Elle reconnaissait ainsi que la publicité avait été trop loin dans l’intrusion, contribuant ainsi au développement de l’adblock (blocage publicitaire).

Depuis, de nombreuses et importantes réponses ont été apportées par l’interprofession publicitaire, et des garde-fous ont été mis en place.

Faisant suite aux premiers travaux de l’IAB, la « Coalition for betters ads » fondée à l’automne 2016 par les organisations professionnelles internationales de la publicité et les grands acteurs de l’industrie digitale (Google, Facebook) a publié la liste des formats les plus intrusifs, sur la base de la mesure de l’expérience utilisateur (sondage auprès de 66 000 consommateurs à date).

S’agissant de la France, un grand pas a été franchi avec l’adoption par l’ARPP de sa Recommandation sur la Communication Publicitaire Digitale (3ème version, juin 2017), et l’initiative interprofessionnelle du label Digital Ad Trust, lancé en décembre 2017 par l’ensemble des acteurs[8]. Destiné à évaluer et valoriser la qualité des sites qui s’engagent dans des pratiques publicitaires responsables, ce label concerne l’information des internautes sur leurs données personnelles, la lutte contre les fraudes et l’amélioration de l’expérience utilisateur par une meilleure maîtrise de la quantité des publicités par page. Ces initiatives ont contribué à mobiliser fortement les professionnels de la communication autour de la nécessaire application des règles d’éthique. Par ailleurs, les travaux de l’Observatoire des pratiques publicitaires digitales de l’ARPP ou le programme FAIRe de l’Union des Annonceurs ont permis de rationaliser les différents formats.

Le développement de nouveaux modes de consommation des contenus audios et celui, attendu, des enceintes connectées telles que Google Home, Alexa d’Amazon et bientôt Djingo d’Orange devra être pris en compte par l’autorégulation. Selon l’étude « Connected life » 2017 de Kantar TNS, 27 % des Français avaient écouté en 2017 au moins un podcast par semaine, et 3 % possédaient une enceinte connectée. L’écoute des podcasts a progressé de 15 % en 2018, et le taux d’équipement en assistants personnels est passé à 5 % en France – vs 26 % en Chine – toujours selon Kantar.

Ces nouveaux formats d’écoute (podcasts originaux ou natifs en particulier) s’accompagnent de nouvelles offres publicitaires, comme ces messages commerciaux lus par les rédacteurs en amont des informations, ou les « recommandations » poussées par Google Home dans le contexte d’une recherche, par l’utilisateur, de contenus (spectacles, recettes de cuisine, météo par exemple).

  • Celui des réseaux sociaux

Comme le remarque la société de conseil et études de marché Kantar Media dans ses « prévisions social media » pour l’édition 2019, les principales plateformes de réseaux sociaux sont en voie de construire des conglomérats multidisciplinaires particulièrement puissants. Se basant sur l’exemple du marché chinois, Kantar anticipe une évolution des marques vers une stratégie omnicanale qui donnerait une « place centrale au social comme inter-connecteur des différentes expériences physiques et digitales, avec une forte viralité ».

Cette évolution, qui s’ajoute au contexte de forte opacité qui règne sur la publicité véhiculée par les réseaux sociaux, légitime une attention déontologique particulière.

Les auditions menées dans le cadre de la préparation de notre avis[9] confirment que certains consommateurs deviennent, sans en être toujours conscients, des relais de la diffusion d’une communication de marque dans une ignorance totale ou partielle de leur rôle dans le processus publicitaire. Certains autres, en revanche, peuvent faire de cette situation une source consciente de revenus ou d’avantages divers.

La puissance de certains influenceurs est fortement recherchée par les marques, qui trouvent ainsi un canal de diffusion offrant proximité et affinité avec leurs publics. Si des règles existent[10], certains s’affranchissent encore des principes déontologiques qu’elles construisent, comme le montrent les exemples d’un ancien nageur, auteur d’un post d’intimité familiale sur sa page officielle Facebook (« La Vie En LU c’est un peu pour ma fille beaucoup pour papa »), sans indication de son caractère publicitaire, ou celui de l’ancienne starlette de téléréalité, auteur d’un message à destination de ses fans sur Snapchat, vantant comme un bon plan les mérites de placements à risque en crypto-monnaies non régulées  (« Les chéris (…) c’est un peu la nouvelle monnaie, genre la monnaie du futur »).

Cette confusion des genres trouve aussi une illustration dans le fait qu’il suffise que l’on approuve (« like ») une fois un contenu ou une information publiée par une marque pour apparaître, à son insu, et aux yeux de l’ensemble de sa communauté, comme « aimant » dans l’absolu cette marque.

Le message n’est plus nécessairement divulgué à chaque fois par l’annonceur lui-même, mais par un individu qui a choisi de le faire, estimant que ses contacts seront intéressés par cette information, sans que le statut premier et l’origine du message (une publicité, une marque) soient aussi clairement identifiables que dans le cas de la publicité « classique ». Autre dérive, celle de la promotion de produits faite par les salariés de l’entreprise fabricante, sans que leur appartenance à cette dernière ne soit précisée, voire alors qu’ils prennent l’apparence de consommateurs « neutres ».

  • Celui des médias et de l’espace public

Les espaces publicitaires ont toujours été, dans l’ensemble bien balisés, mais la pression croissante des annonceurs conduit à une double évolution.

  • Celle des médias comme la télévision, la presse écrite, la radio, ou le cinéma. Outre la pression des annonceurs pour que leurs produits ou services soient évoqués au sein même des contenus élaborés par ces médias, ou que les codes utilisés par les publicités imitent à s’y méprendre ceux de ces contenus (mise en page et ton journalistiques des publi-rédactionnels de la presse par exemple), le phénomène s’amplifie. Ce phénomène soulève une question d’ampleur, qui dépasse les sujets de l’intrusion et de l’identification, et qui est celle de l’enjeu des nouvelles modalités de l’influence, de la capacité du public à en percevoir toutes les dimensions, et de la possible orientation des contenus en fonction de leur plus ou moins grande capacité à attirer la publicité.

Le « ciblage émotionnel », soit la rencontre du marketing, des sciences cognitives et de la technologie amplifierait, même s’il ne les crée pas, les questions déontologiques ouvertes par le développement du ciblage contextuel et de la publicité comportementale. Les solutions technologiques de mesure de l’émotion par « facial coding » (détection des micro-expressions du visage – voir en particulier l’offre de la société Datakalab) existent déjà. Elles permettront aux annonceurs de délivrer leur message de marque dans un contexte jugé optimal pour leur réception. Comment ne pas imaginer que, dans un second temps, la programmation (voire les informations) pourrai(en)t être expurgée(s) des contenus dont le potentiel émotionnel est jugé trop peu favorable à un bon accueil de la publicité ?

  • Celui de notre cadre de vie

La publicité est désormais présente sur la pelouse des stades de rugby, eux-mêmes entourés d’écrans plasma déroulants. Les joueurs ne répondent aux interviews que devant des panneaux constellés de logos d’annonceurs. Les tables de café, les chariots de supermarché, les vitrines des pharmacies, les illuminations des rues à Noël et bientôt nos trottoirs[11] : autant de supports publicitaires potentiels. S’agissant des nouvelles formes publicitaires dans l’espace public, la question posée n’est pas tant celle de l’identification et de la confusion possible, que celle de leur caractère parfois fortement intrusif et envahissant.

Notons néanmoins que, selon les historiens de la publicité, cette dernière était autrefois davantage présente dans l’espace public que maintenant[12].

Le constat opéré dépasse donc la simple question d’une meilleure identification publicitaire, sur laquelle l’ARPP a déjà eu l’occasion de se prononcer (Recommandation Identification de la publicité et des communications commerciales, juin 2017). Le problème apparaît plus global, et concerne l’influence même de la publicité sur l’information, sa production, son traitement, et ses manières de la consommer.

III – Les recommandations

En tout premier lieu, le Conseil de l’Ethique Publicitaire recommande une meilleure application des règles existantes. Certes, l’ARPP s’est saisie sans tarder des questions liées à la transparence de la communication publicitaire sur les nouveaux canaux. Mais compte tenu des sauts technologiques et de l’inventivité corollaire des techniques marketing, il existe objectivement un décalage entre la rapidité de l’évolution de la publicité, et la prise de conscience des questions éthiques que ces changements soulèvent. Il y a donc le risque d’un « vide déontologique ». Les nouveaux usages publicitaires nés de la très rapide évolution des modes de consommation audio (podcasts) – et du développement des enceintes connectées – voir plus haut – illustrent la nécessité de cette veille et de cette adaptation permanente de la déontologie.

Au-delà de l’application des règles existantes, le Conseil de l’Ethique Publicitaire demande que les acteurs dépassent le niveau des principes et déclarations, et soient en capacité d’anticiper les questions éthiques qui ne manqueront pas d’être soulevées par l’évolution des nouveaux modèles, sans attendre l’élaboration de nouvelles règles déontologiques.

Les auditions menées par le CEP ont amené l’hypothèse d’importantes faiblesses dans la juste perception, notamment par les plus jeunes, des nouveaux formats publicitaires. Cité par Le Monde (21/09/18), Todd Bowman, de l’agence Merkle affirme, à propos des liens sponsorisés proposés par les plateformes, que « les dernières études montrent que la plupart des consommateurs ne font pas attention ou n’ont pas conscience de cliquer sur une publicité. »

Le Conseil de l’Ethique Publicitaire s’interroge donc sur le degré de conscience, par certains récepteurs du caractère publicitaire de certains messages, notamment sur les blogs et les réseaux sociaux.

Dans ce contexte, il demande à l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité d’engager des études pour mesurer la compréhension des consommateurs, et notamment des plus jeunes, quant à la nature publicitaire du message qu’ils reçoivent.

Il incite l’ARPP à organiser, encourager et soutenir des actions de pédagogie à destination des publics adolescents afin de les sensibiliser aux nouvelles formes de publicité.

Enfin, le Conseil de l’Ethique Publicitaire appelle les adhérents de l’ARPP et plus globalement l’ensemble des acteurs de la publicité française à une réflexion critique sur les évolutions diagnostiquées, et les encourage à contribuer activement aux indispensables échanges avec l’ensemble des parties prenantes.

Cet avis piloté par Thierry Libaert réunit et synthétise les réflexions du groupe de travail du CEP composé avec Zysla Belliat, Pierre Callegari et Gérard Unger, avec la collaboration de Pascale Marie.

Adopté le 17 décembre 2018 (quelques données actualisées au 17 janvier 2019)


[1] « Le Publicitor », 2014, p. 104.

[2] Directive 84/450/CEE du 10 septembre 1984 remplacée par la directive 2006/114/CE du Parlement européen et du Conseil en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative.

[3] Selon Tereza Litsa (plateforme Lightful, Londres) 80 % du contenu d’une marque est généré par les consommateurs eux-mêmes. « How user Generated Content Can Transform Your Company’s Storytelling” – Social Media Week, 13 septembre 2016.

[4] Ken Auletta évoque le passage des Mad Men aux Math Men : Frenemies. The epic disruption of the advertising industry, Harper Collins, 2018.

[5] Delphine Soulas-Gesson, « La défiance à l’égard des grandes marques gagne du terrain », Stratégies, 11 octobre 2017. Et selon le baromètre Havas Meaningful Brands 2017, 68 % des marques en France pourraient disparaître sans que personne ne s’en soucie. Amelle Nebia, « Meaningful Brands 2017 : les Français ont la dent dure », CB News, 16 février 2017.

[6] Le calcul dépend de l’intégration du SEM (Search Engine Marketing, qui comprend le SEO – Search Engine Optimization, référencement naturel – et le SEA – Search Engine Advertising – publicité sur les moteurs de recherche), comme le fait IREP/France Pub dans le montant des dépenses publicitaires sur Internet.

[7] Jean-Marie Dru, La publicité autrement, Gallimard, 2007.

[8] SRI, Udecam, Le Geste, UDA, ARPP, IAB France. Au 11 janvier 2019, 92 sites ont été labellisés.

[9] Entretiens avec Edouard de Pouzilhac, Président du syndicat professionnel des agences digitales en France, et Mathieu Morgensztern, Président de WPP France, 15 décembre 2017.

[10] ARPP, Recommandation Communication publicitaire digitale, juin 2017, Recommandation Identification de la publicité et des communications commerciales, juin 2017.

[11] L’Union de la Publicité extérieure a émis un avis négatif contre ce procédé dont l’expérimentation semble actuellement totalement stoppée.

[12] voir en ce sens les travaux de l’historien Marc Martin, Histoire de la publicité en France, PUF, 2012.