Avis du CEP « Campagnes d’opinion et publicité non commerciale »

Le Conseil a examiné les conditions dans lesquelles peuvent être conçues et exprimées, sur le plan de l’éthique publicitaire, les campagnes d’opinion, et non commerciales, utilisant les moyens et les espaces de la publicité. Ces campagnes, qui ne sont pas mercantiles, doivent-elles obéir aux mêmes règles de déontologie professionnelle que celles qui relèvent de la communication commerciale ? Sont-elles soumises de la même manière à l’autorégulation publicitaire ? Participant au débat public, peuvent-elles bénéficier d’une plus grande liberté ?

On constate, en effet, que la finalité moins directement marchande de cette publicité l’autorise, à tort ou à raison, à utiliser des images parfois plus violentes, ou des situations plus choquantes, que la communication commerciale. De façon récurrente, l’ARPP doit intervenir soit avant la diffusion, soit à l’issue de plaintes émises à propos de campagnes, qui peuvent concerner le tabagisme, la sécurité routière, la lutte contre l’inceste ou la protection des animaux, et qui choquent le public. L’ARPP est parfois mise publiquement en difficulté pour des avis qu’elle doit délivrer, notamment en télévision, sur des campagnes publicitaires d’opinion. Du coup, elle est accusée de s’opposer à la libre expression d’opinions, nécessaire au débat public. Ces difficultés conduisent le Conseil à s’interroger sur la pertinence des moyens publicitaires employés par ce type de campagne.

I. Typologie de la publicité non commerciale.

La publicité non commerciale regroupe en fait des catégories très différentes, qui varient surtout en fonction du type d’annonceur qui communique. Il semble nécessaire de les distinguer car les problèmes éthiques soulevés ne sont pas strictement superposables. Le Conseil a ainsi distingué :

1. la publicité politique : il s’agit de la communication pratiquée dans des espaces publicitaires, notamment à l’occasion d’élections, par des partis, des élus, des candidats à des fonctions électives, des exécutifs ou des assemblées locaux ou nationaux. En France cette publicité est extrêmement limitée, au bénéfice des campagnes dites officielles, sur les panneaux, ou les écrans audiovisuels, et qui sont réglementées pendant les périodes autorisées. Assimilée à de la propagande, et outil de communication politique, cette publicité a toujours été très strictement encadrée par la loi, bien que soulevant toute une série de questions d’ordre éthique : ne favorise-t-elle pas le candidat disposant des soutiens les plus importants, permet-elle un réel débat rationnel, ne contribue-t-elle pas à une dégradation de l’environnement, etc. ? La limiter pour l’ensemble des candidats ne serait-il pas à la fois plus économe et plus juste ? Mais les questions concernant les campagnes politiques relèvent légitimement du seul législateur, car il n’appartient à aucun groupe professionnel ou à aucun comité d’éthique particulier de fournir des indications sur ce point. Non pas que la question soit secondaire, bien au contraire, mais il semble qu’ici il appartienne au législateur d’assumer la pleine responsabilité de ses choix et que ceux-ci soient le cas échéant passibles d’une sanction politique. Le Conseil note à ce titre que les organismes d’autorégulation publicitaire étrangers se déclarent généralement incompétents pour les plaintes qui leur sont transmises à l’encontre de messages de publicité politique. En France, l’ARPP se limite, à l’approche d’échéances législatives, à rappeler à ses adhérents la réglementation en vigueur.

2. Les campagnes d’intérêt général émanant d’organismes publics ou d’associations sans but lucratif : les ministères, et les organismes qui en dépendent, mènent de nombreuses campagnes d’intérêt public (santé, prévention routière, etc..) dans des espaces publicitaires. Ces campagnes ne sont pas de même nature que celles des établissements industriels ou commerciaux, ou des entreprises du secteur public qui font la promotion de produits ou des services comme la publicité de marques, dans le secteur concurrentiel (comme Air France), ou même au profit de monopoles d’Etat (comme la Française des Jeux). Dans la catégorie des campagnes d’intérêt général on trouve également celles menées par des fondations, des associations ou des ONG au profit de leurs actions associatives, qu’elles soient humanitaires, écologiques, communautaires, etc. On peut y ajouter les campagnes caritatives et celles faisant appel à la générosité du public. Le problème éthique soulevé par cette catégorie de publicité non commerciale est celui de la proportionnalité entre les moyens utilisés (par exemple la violence des images ou des propos, ou le recours à une argumentation anxiogène) et la finalité d’intérêt général poursuivie.

3. Les campagnes d’opinion : cette dernière catégorie découle de la précédente, avec une problématique supplémentaire. Il s’agit des campagnes menées par des associations dans un souci d’intérêt général, mais qui défendent une cause en déclenchant dans ce but un débat public. Au lieu d’utiliser les moyens d’information offerts par les médias, ces associations (par exemple Reporters sans Frontières, Amnesty International, la SPA etc..) demandent à des agences publicitaires de produire des films destinés aux écrans publicitaires de la télévision ou du cinéma. La question éthique qui se pose ici n’est pas seulement celle de la proportionnalité des moyens employés, comme précédemment, mais celle de la difficulté de leur fixer des limites sans mettre en cause la liberté d’expression. Peut-on exiger d’une association qui cherche à faire interdire les corridas, par exemple, de ne pas dénigrer une activité légale ? Ou de celles qui défendent les droits de l’homme dans un pays de ne pas critiquer un Etat étranger ? Ne faut-il pas laisser une plus grande liberté à ce type de campagne ? L’autorégulation publicitaire doit-elle aller jusqu’à se déclarer incompétente, tant on est loin, dans de tels cas, de la publicité commerciale ?

II. Avis du Conseil.

1. Les campagnes d’opinion, même si elles ne sont pas commerciales, doivent, selon le Conseil, rester dans la compétence de l’autodiscipline publicitaire.

a. Certes, on peut légitimement s’interroger sur l’opportunité de maintenir ces campagnes dans le périmètre d’intervention de l’ARPP. Ce n’est en effet pas de la publicité commerciale, d’après notamment la définition posée par réglementation audiovisuelle [1] . L’ARPP, en outre, prête le flanc à la critique en intervenant dans ces campagnes, qui bénéficient, de ce fait, de polémiques entretenues, voire recherchées dès le départ, par les associations qui les signent. Les organismes étrangers d’autodiscipline se déclarent souvent incompétents.

b. Mais ces campagnes sont diffusées sur des supports indiscutablement publicitaires, et font appel aux techniques et aux professionnels de la publicité. Aux yeux du public cela reste de la publicité. C’est la raison pour laquelle, à la télévision, le CSA et les régies demandent un avis de l’ARPP.

c. De plus, à l’heure où les marques font de plus en plus de publicités dites « citoyennes », il est difficile de traiter les leurs et pas celles des associations. Tout annonceur qui fait de la publicité, qu’il soit commercial ou non, doit respecter les règles de l’ARPP. C’est le cas des administrations, ou des collectivités publiques, ce doit être également celui des ONG et des associations. Enfin ce sont les mêmes agences et médias qui créent, produisent et diffusent ces campagnes, comme celles de la publicité commerciale : ils sont membres de l’ARPP et se sont engagés à pratiquer, respecter et mettre en œuvre les règles déontologiques des professions publicitaires.

Pour ces raisons le Conseil estime que l’ARPP doit conserver compétence sur ces campagnes. Il est d’ailleurs de l’intérêt du secteur associatif concerné de se montrer respectueux de l’éthique publicitaire.

2. Les campagnes d’opinion ne sont pas exemptées du respect des règles fondamentales de l’éthique publicitaire, et notamment de celle qui leur impose de respecter le public.

Il faut imposer certaines limites à tous ceux qui utilisent, dans des médias de masse, les procédés de la publicité. Notamment, exploiter l’émotion du public oblige à respecter sa sensibilité. L’ARPP doit donc appliquer dans ce domaine, comme dans les autres, les règles déontologiques de l’éthique publicitaire. Le Conseil souligne que la finalité humanitaire, ou désintéressée, des campagnes associatives ne leur donne pas le droit de heurter la sensibilité du public, et que, là comme ailleurs, la fin ne justifie pas les moyens.

Les annonceurs concernés ne sont en rien exonérés des limites qu’impose le recours aux grands moyens de la communication publicitaire. Trop de campagnes associatives, ces dernières années, ont heurté le public, et ses catégories les plus fragiles, en diffusant des images agressives, ou des scènes de violence.

Le Conseil rappelle que dénoncer des actes intolérables (comme la violence à l’encontre des enfants, des femmes ou du conjoint, ou comme la maltraitance animale) ne justifie pas de les montrer avec toute leur brutalité : de telles situations peuvent s’en trouver au contraire banalisées, voire même attirantes pour certains esprits malades ou pervers, sans compter qu’elles peuvent durablement choquer des publics sensibles, comme les enfants, sur des médias puissants en affichage ou à la télévision.

Le Conseil souligne par ailleurs l’importance particulière que revêt – pour ce type de campagne – l’identification claire de l’annonceur et du caractère publicitaire du message, pour des raisons tenant notamment à des préoccupations relatives à l’ordre public (sectes, terrorisme, etc.).

Un rappel des règles à observer de la part du secteur associatif en question pourrait être utile : le Conseil pense opportun de publier une nouvelle Recommandation (ou fiche de doctrine) sur ces sujets, pour sensibiliser les acteurs de ce secteur.

3. Il convient cependant d’appliquer plus de vigilance et de doigté à l’examen de ces campagnes, dont le caractère est particulier, en veillant à ne pas attenter à la liberté d’expression, et ne pas prêter ainsi le flanc à la critique et à la polémique :

a. La particularité de ces campagnes ne tient pas seulement à leur caractère non commercial : s’y ajoute la spécificité de ses annonceurs, associations ou ONG divers, qui sont des organismes militants (dont il faut évaluer la légitimité et de la nature exacte de l’activité), dont les moyens sont limités, et qui font très souvent appel à des artistes et des créatifs à titre bénévole. L’opinion exprimée publiquement par la campagne prête en outre généralement à polémique, car s’engageant sur des terrains parfois glissants (mise en cause d’Etats ou de dirigeants, dénigrement d’activités ou d’entreprises, atteinte aux convictions philosophiques, politiques ou religieuses, etc.). En examinant ces campagnes, la vigilance de l’ARPP et de ses collaborateurs doit donc être en éveil, notamment face au risque d’une instrumentalisation à ses dépens.

b. Il faut donc des modalités particulières de traitement de ces dossiers, en ne se laissant pas utiliser par ceux qui cherchent la polémique, par exemple :

  • avant de formuler un conseil ou un avis, vérifier quel est le média qui a accepté de diffuser la campagne et si de l’espace a été effectivement réservé; valoriser le fait que, en dernier ressort, la responsabilité de prendre, ou de ne pas prendre, appartient aux médias.
  • privilégier le respect du public, et de sa sensibilité, dans les avis rendus, par rapport aux autres motifs de demandes de modification, qui doivent être appréciés par rapport au respect de la liberté d’expression d’une opinion. Le Conseil suggère à l’ARPP de ne pas utiliser, sur de tels projets, l’argument du nécessaire respect dû à des activités économiques, fréquemment mobilisé pour des campagnes commerciales.
  • adopter dans les avis à rendre une formulation qui ne puisse en aucun cas apparaître comme une atteinte à la liberté d’expression : proposer une réunion de travail, assortir un avis favorable d’un mode de diffusion particulier, se contenter de faire part des risques juridiques qui pèsent sur la campagne, etc. Dans tous les cas la rédaction de l’avis de l’ARPP doit être attentive au risque d’une publication à ses dépens.

c. Ces précautions étant prises, faut-il que l’ARPP fasse preuve d’une plus grande souplesse dans l’application de ces règles à ce secteur ?

Le Conseil estime qu’une plus grande souplesse peut légitimement s’appliquer pour les grandes causes nationales qui présentent toutes les garanties et légitimité nécessaires à une meilleure acceptation de la part du public.

Il faut en effet distinguer les causes incontestables dans l’opinion (par exemple la lutte contre la pédophilie) des combats plus contestés (comme la lutte contre la corrida). Dans le second cas, les partis pris militants exprimés par les campagnes, parce qu’ils sont sujets à controverse, créent un risque supplémentaire de non acceptation du message par le public.

Dans tous les cas, une marge de tolérance supplémentaire peut être gagnée au moyen de restrictions sur les conditions de diffusion (horaires, ciblage, etc.).

Notons néanmoins que cette marge de tolérance ne peut porter que sur des éléments de nature à choquer le public (violence, indécence,…) et en aucun cas sur des éléments de nature à tromper ou nuire (par ex. atteinte à la dignité humaine).

Un rappel des règles à observer de la part du secteur associatif en question pourrait être utile : le Conseil pense opportun de publier une nouvelle Recommandation (ou fiche de doctrine) sur ces sujets, pour sensibiliser les acteurs de ce secteur.

Avis du conseil de l’Ethique Publicitaire, publié le 28 janvier en 2009

[1] Décret du 27 mars 1992