Il n’y a plus d’ailleurs …

La lettre du président
Dominique Wolton, Président du CEP

Dominique Wolton, Président du CEP

On voit tout, on sait tout. Il n’y a plus d’ailleurs.

L’idée que nous serions tous devenus des citoyens du monde, baignant dans une même culture globale, est un mythe. Certes, on peut aujourd’hui envoyer un son, une image, une donnée, une information, instantanément dans n’importe quelle partie du globe. On voit tout, on sait tout. Il n’y a plus d’ailleurs. L’autre, autrefois éloigné, est devenu un voisin. Mais on ne le comprend pas mieux pour autant. Au contraire: les inégalités sont plus visibles, les divergences de point de vue aussi. Plus les distances physiques s’amenuisent, plus les distances culturelles se révèlent. Le 11 septembre 2001, l’Occident a brutalement réalisé que nombre de pays ne partageaient pas ses valeurs, celles de la démocratie et que, plus ces pays avaient accès au marché mondial de l’information, plus ils affirmaient leur différence, voire leur hostilité. Ainsi, plus les médias américains diffusent d’informations, plus ils nourrissent l’antiaméricanisme. Si village global il y a, ce n’est pas une libération. C’est une nouvelle contrainte.
Nous devons inaugurer ce que j’appelle la «troisième mondialisation»: la cohabitation culturelle, c’est-à-dire le respect des points de vue, les identités, tout en les transcendant par des principes fondamentaux de l’universalisme.

Je crois que les industries de la communication et de la culture ne sont pas comme les autres. Cette question oppose Américains et Européens au sein de l’Organisation mondiale du commerce. J’entends la culture au sens large, c’est-à-dire la vision de l’homme, de la liberté, de la religion, de la langue, du patrimoine, tout ce qui fait que l’on pense et que l’on se comprend, tout ce qui organise notre rapport au monde. De tout temps, les hommes ont été prêts à mourir pour Dieu, la liberté ou leur langue… Si les industries culturelles ne respectent pas cela, elles produiront de la haine. Voilà pourquoi il faut empêcher la concentration économique dans ce secteur, éviter qu’un même groupe cumule production de films, édition, presse, télévision, logiciels. La logique financière, qui est celle d’AOL-Time Warner, de Bertelsmann ou de Disney, est un fantasme: plus gros, on ne produit pas mieux. Il faudra aussi avoir le courage de faire la police sur Internet pour qu’il reste un outil de liberté. Afin d’éviter que le reste du monde ne perçoive l’information occidentale comme un impérialisme, il nous faut donc accepter le pluralisme: qu’il y ait CNN, Al-Jazira, mais aussi une chaîne mondiale francophone, une chaîne lusophone, une indienne, une chinoise… Nous devons inaugurer ce que j’appelle la «troisième mondialisation»: la cohabitation culturelle, c’est-à-dire le respect des points de vue, les identités, tout en les transcendant par des principes fondamentaux de l’universalisme.
Publié sur le site de l ‘Express Dominique Wolton: «Le monde n’est pas un village»
Par Simonnet Dominique, le 24/04/2003