La lettre du président

Dominique Wolton Directeur de recherche au CNRS, fondateur et directeur de la Revue internationale Hermès Président du Conseil de l’éthique publicitaire

1 – Le monde publicitaire s’est insuffisamment mobilisé contre le stéréotype qui oppose l’écologie comme « avenir de l’humanité », à l’univers de la communication, symbole de manipulation. Quelle que soit l’utilité indéniable de l’écologie, celle-ci ne peut représenter l’horizon politique. Elle ne constitue pas un but en soi, mais un combat pour améliorer les sociétés. Parler de « transition écologique » supposerait que cette dernière soit l’idéal et l’horizon…Nous serions tous en marche vers l’écologie, nouvelle vérité, nouvelle utopie. Mais l’écologie n’est pas un modèle politique universel, et elle peut, dans ses excès, verser vers le naturalisme et le scientisme. La pression culturelle actuelle est telle que l’écologie est d’ailleurs rarement critiquée. Eviter de parler « naturellement » de la transition écologique permet donc de garder la distance intellectuelle propice à une réflexion libre.
Parler des « questions écologiques » me semble plus modeste.

2 – Dès qu’il est question d’écologie, de surconsommation… on voit revenir les stéréotypes négatifs relatifs à la publicité. Et par voie de conséquence la tentation d’accroitre la règlementation pour « protéger les consommateurs et les citoyens » contre les manipulations.
Mais pourquoi ne pas faire un peu confiance à ces citoyens consommateurs et réduire la tentation de la réglementation ? Eviter le moralisme, la bonne conscience et l’interdiction… Croire en la liberté critique des consommateurs n’est pas forcément s’aligner sur la logique économique, d’autant que les règlementations de toute nature existent par ailleursntrès largement, en France, et ailleurs. La culture de l’autorégulation est au contraire celle de la négociation contradictoire.

A partir de quand cette protection légale se retourne–t-elle contre son propre objectif ?
L’esprit critique et le libre arbitre peuvent s’émousser face à tant de règles édictées au nom de toutes les protections et de toutes les libertés.

Pourquoi ne pas admettre simplement que l’individu sait à peu près ce qu’il  veut, et qu’il joue souvent avec plusieurs aspirations, désirs et contradictions ? Influencer et manipuler est plus difficile qu’on ne le pense, comme le montre d’ailleurs l’Histoire. Interdire et réglementer, oui, bien sûr, mais jusqu’à une certaine limite pour laisser justement l’individu face à ses choix et ses responsabilités. Quant au numérique investi pendant 20 ans de toutes les promesses, on réalise, au-delà de la nécessité impérieuse de le réglementer, qu’il n’est pas la réponse miracle. En accentuant toutes les formes de segmentation marchande de l’information, il ne résout pas cette question si difficile du lien social. C’est-à-dire ce qui réunit les individus malgré toutes leurs différences. Faute de société on renforce le communautarisme. Or le problème est justement de sortir du communautarisme, fut-il numérique. La question ultime ? Comment cohabiter pacifiquement quand on est si différent ? 4,5 Mds d’internautes ne garantissent ni la paix, ni le respect mutuel.

3 – Si la publicité, et plus généralement la communication, sont systématiquement manipulatrices et simplificatrices, alors pourquoi vouloir les mobiliser pour « les grandes causes », de la sécurité routière à la santé, l’écologie, le civisme ? Pourquoi la publicité serait-elle mauvaise pour la consommation, et bonne ailleurs ? Si l’on accepte le principe de sa sincérité pour les grandes causes, pourquoi mentirait-elle alors systématiquement lorsqu’elle s’adresse aux consommateurs ? D’autant que dans les deux cas, elle affiche clairement son objectif : le commerce. La publicité est finalement le contraire de l’infox, elle dit sa nature commerciale. Eviter donc que les débats sur la publicité et la communication ne virent à la suspicion, au moralisme …

Deux remarques encore. Pourquoi vouloir à ce point protéger le consommateur « faible et influençable » et admettre que ce même individu est suffisamment intelligent et critique, pour être, par son vote, à l’origine de la légitimité démocratique ? Le même individu est manipulable comme consommateur et intelligent comme citoyen ? D’autre part, de quelle supériorité bénéficient ceux qui sont capables de ne pas être influencés alors que tous les autres le seraient ?

Maintenir certains interdits est indispensable, mais la glissade actuelle est dangereuse. Dans une société de lobbies et de défense de toutes les identités, chacun se sent autorisé à considérer qu’il est mis en cause, caricaturé ou dévalorisé par n’importe quel message publicitaire et demande en conséquence interdiction et protection.

Les libertés se sont retournées. Elles ne sont plus le droit de s’exprimer mais celui d’interdire quand d’autres parlent de soi.
En outre, l’opposition n’est pas toujours entre « le mauvais message publicitaire et de communication » et le « bon consommateur-citoyen-militant ».

Bref, dans le moralisme croissant rôde beaucoup d’hypocrisie, du refus de l’humour, de toute mise à distance, voire de toute critique. Et le problème dépasse largement le statut de la publicité. L’avantage de celle-ci est qu’elle permet de voir plus rapidement cette contradiction de nos sociétés démocratiques.

Paris, le 15 janvier 2020.