Les 7 défis du couple « création et régulation »

La lettre du président

Extrait de l’ouvrage Avis à la Pub – 2015

Avis à la Pub

1 – Quel avenir pour le triangle actuel : annonceurs, agences, médias ?

Bien sûr des rapports de force entre les trois ont souvent, et beaucoup, évolué en 80 ans. Qui des trois bouleversera le plus l’équilibre actuel ? L’alliance temporaire avec les nouvelles technologies peut-elle faciliter ces réaménagements ? Une chose est certaine : le milieu de la publicité doit rester modeste, car rien ne dit que les sociétés actuelles hypermédiatisées, interactives, peopolisées, fascinées par la vitesse et les performances, les nouvelles consommations et dont la mode de la pub sont souvent le symbole, ne seront pas l’objet d’une radicale critique, liée aussi aux soubresauts de la mondialisation. Le monde de la publicité, trop lié alors à ce qu’il y a de plus discutable dans cette culture de la consommation et du narcissisme, pourrait en être le bouc émissaire. Cependant attention alors à ne pas jeter le bébé avec les eaux du bain. Ou plutôt comment préserver le lien qui existe entre des trois partenaires et l’idée de modernité quand la mondialisation, telle que nous la connaissons, sera contestée ?

2 – Conserver un équilibre entre mondialisation et identités culturelles.

La mondialisation est au-delà de l’ouverture et de la modernité un fantastique processus de concentration économique et de rationalisation, y compris pour la publicité. Jusqu’où cette standardisation, nullement incompatible avec une segmentation en autant de communautés qu’il y a de marchés potentiels, peut-elle aller sans heurter de plein fouet l’autre mouvement d’affirmation, au contraire, des identités culturelles, notamment nationales ?

Le monde de la publicité, et plus généralement celui de la communication, saura t-il résister à cette globalisation, être attentif  à cette revendication d’identité culturelle collective, et y répondre de manière authentique et non pas par le biais de nouvelles rationalisations ? Autrement dit, qu’en est-il de la préservation des styles et des identités dans la publicité ? Deux valeurs fondamentales d’une diversité culturelle essentielle à maintenir, si l’on ne veut pas que la rationalisation inhérente à la globalisation devienne une cause radicale de conflits. La publicité, comme n’importe quelle industrie mondiale, est appelée en effet à se concentrer, donc à se simplifier y compris en maintenant des stéréotypes culturels locaux, alors même que son intérêt, depuis toujours est d’être constamment enrichi par les terreaux identitaires et collectifs où elle se développe. L’identité et le style ne sont pas en effet seulement des variables économiques ; ils sont d’abord une réalité anthropologique indispensable.

En réalité, la publicité est entre la mondialisation et l’identité culturelle. Comme symbole d’ouverture, d’appartenance au monde moderne, elle est plutôt du côté de la globalisation. D’autant que les grandes marques travaillent le plus souvent à cette échelle. En même temps, on sait que la publicité est liée aux marchés nationaux par les repères culturels, les langues et les marques. Elle doit assumer cette contradiction. Elle fait le pont entre ces deux logiques, entre ces deux rapports au monde. La publicité est une sorte de passeur.

Dans les compétitions internationales de publicité, on voit d’ailleurs très vite ce rapport plus ou moins conflictuel entre globalisation du message et prégnance  des identités. Et c’est tout l’intérêt de ces compétitions que de montrer comment dans les différents marchés se retrouve plus ou moins bien cette articulation entre mondialisation et identité culturelle. On retrouve ici tout l’intérêt de « la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles »  signée à l’Unesco en 2005 et dans la quelle la France avait joué un rôle essentiel. D’ailleurs la diversité culturelle est un des enjeux politiques majeurs du 21ème siècle, et avec elle celui des industries culturelles, dont la publicité est évidemment partie prenante.

3 – Jusqu’où la co-régulation ?

Le risque ? A force de règles publiques et d’interdits, d’autorégulation, de dialogues incessants avec les différents protagonistes, arriver à étouffer toute création. Le triomphe du « bien pensant » au nom de la démocratie. Le refus de la prise en compte du risque, de l’initiative, et d’une offre nécessairement décalée. Problème éternel pour les arts et la culture. Jusqu’où la prise en compte, soit des différentes composantes de la société et de leurs « légitimes revendications », soit de l’état de la demande ? Les deux risquent d’être un frein à la création, qui par définition, est à la fois inscription dans une certaine tradition et rupture. La publicité, à cheval entre création, commerce et société risque bien, au nom de tous les bons sentiments réunis, de se réifier en une idéologie du politiquement correct. Son charme, pourtant, est toujours d’être au milieu de plusieurs logiques et de maintenir dans ces décalages, un peu de souffre dont nos sociétés démocratiques institutionnalisées manquent énormément. La langue de bois comme horizon de nos sociétés égalitaires démocratiques ?  Le triomphe de tous les lobbys au nom des libertés assumées ? La liberté menacée par trop de réification de libertés « légitimes »  ?

4 – Comparatisme et Europe

Pour sortir des mâchoires du politiquement correct, il est indispensable de comparer et de tout faire pour souligner les différences de styles culturels. Oui aux publicités mondiales, mais oui surtout pour préserver les différences culturelles, sources d’autant de créativité. La rationalisation de la mondialisation, pour les voitures, les ordinateurs, les téléviseurs,  en passant par l’urbanisme, les vêtements et les modes de vie est telle qu’il n’est pas inutile de préserver les différences culturelles dont la publicité peut être porteuse et visible dans la compétition mondiale. Mais la rationalisation rôde ici, à la mesure même de la standardisation des modes de vie et des enjeux économiques. Comparer, c’est laisser ouverte la possibilité, souvent bien maigre, d’innover. L’Europe une fois de plus, face à la domination des groupes anglo-saxons peut, si elle veut, jouer un rôle essentiel, parce que les différences culturelles y sont considérables, avec 28 pays et 26 langues. Et 28 styles, et plus, immédiatement perceptibles dès que l’on voyage.  A condition que les Européens soient conscients et fiers de ces différences et fassent  davantage, entre eux, ce travail de comparatisme et de valorisation de ces différences. Ce travail serait d’ailleurs très utile pour d’autres continents. Sinon, la publicité sera bientôt rangée, comme d’autres pratiques culturelles, dans le rayon de l’impérialisme culturel. Préserver la diversité linguistique est ici indispensable à côté de l’ « anglais » ou de sa caricature. Notamment en valorisant toutes les langues romanes, un milliard de locuteurs, dans des pays à forte création culturelle. Sans oublier le russe, l’arabe, l’hindi… toutes ces différences linguistiques qui sont sources de création. Plus les sociétés sont dans l’espace ouvert de la mondialisation, et de la rationalisation du marché, plus les identités culturelles sont centrales. Et la publicité doit rester présente dans ses deux dimensions contradictoires. Le comparatisme accélère la prise de conscience de cette diversité culturelle à préserver.

5 – Jusqu’où le pouvoir au consommateur ?

La segmentation des marchés, et la connaissance des goûts du consommateur, facilitées par la traçabilité des nouvelles techniques, renforce le discours d’une publicité « au plus près » du consommateur. « Je fais ce que je veux, quand je veux et je ne consomme que ce qu’il me plait ». Avec ce glissement de sens pervers : croire qu’être plus près du consommateur c’est être plus démocratique… Le consommateur-citoyen choisit, on ne lui impose plus rien, on le « respecte ». Mais simultanément, la publicité est une industrie dont  l’enjeu doit rester celui d’une offre si possible différente de la pression constante de la demande. Or aujourd’hui, avec toutes les traçabilités, analyses des gouts, segmentations et interactions avec les consommateurs, l’autonomie de l’offre est de plus en plus étroite. Le triomphe du consommateur-citoyen, c’est aussi la fin du risque de l‘initiative. « Respecter » le consommateur, ce ne doit pas seulement être « à son écoute », c’est au moins autant être capable de le surprendre et de le secouer… On est là dans les limites de ce mouvement qui, à force de renforcer le « pouvoir » du consommateur, peut de le transformer en caïd.

6 – L’avenir des marques

Celles-ci ont déjà un rôle économique et social. Certaines marques appartiennent autant à l’économie qu’à l’histoire ou au patrimoine mondial, au point qu’il y a parfois conflit, lors de concentrations économiques, et que la logique financière veut faire disparaître des marques. Un grand nombre d’entre elles dépassent le cadre de l’économie. La question se repose avec la mondialisation où certaines symbolisent cette nouvelle échelle de l’économie, et d’autres au contraire symbolisent une certaine altérité. Les marques sont souvent les petites pierres blanches du petit poucet face à l’angoisse de l’ouverture au monde. Plus que des points de repères. La question des marques, oblige à un effort spécifique de réflexion et d’action, pour que la « distinction », au sens propre, perdure au sein de l’économie globalisée. Et ceci autant pour les biens que pour les services. Les marques, anciennes et nouvelles, sont en réalité un des lieux de lecture de l’incessant conflit entre l’économique et le culturel, avec au milieu la question anthropologique de la légitimité.

7 – Publicité et nouvelles technologies

C’est le lieu de toutes les promesses et de tous les pièges. La publicité aime ce qui est nouveau. Surtout les publicitaires, qui identifient trop nouveauté et progrès…Et pourtant, comme le prouve sans cesse l’histoire il y a loin de l’une à l’autre. En tous cas la publicité après avoir utilisé les murs, la presse, la radio, la télévision est tombée presque partout en quasi adoration, devant internet.

Quelle est la rupture réelle avec internet et les réseaux ? Elle est du côté de la nature même du message publicitaire, des conditions de production, diffusion ou de l’interaction ? Pourquoi l’interactivité, alliée à la segmentation, est-elle considérée comme un facteur systématique de progrès  pour le consommateur et le publicitaire ? Pourquoi la publicité s’identifie-t-elle à ce point à l’idée que les réseaux sont une rupture culturelle radicale ? Pourquoi aussi peu de distance ? En réalité là, comme ailleurs, le problème n’est pas d’adapter la publicité, activité fort ancienne, culturelle avant d’être technique, aux systèmes d’information interactif, mais au contraire de savoir comment la publicité peut intégrer ces nouveaux outils dans une tradition finalement complexe.

La perspective est alors bien différente. Par exemple, jusqu’où la vitesse d’interaction, inhérente  aux réseaux, est-elle indispensable à la publicité, même si celle-ci depuis toujours est rapide car ses messages sont onéreux ? Ici, il s’agit d’une  accélération technique dont il est supposé qu’elle « améliore » la communication publicitaire. Quel lien, et limite, y-a-t-il exactement entre la vitesse des dispositifs techniques et la nature de cette communication culturelle ? Jusqu’où la publicité, a-t-elle intérêt à se fondre dans la tendance à l’élargissement sans fin, à « l’Entertainment » ? Dans les sociétés dont le modèle culturel est la transparence, la vitesse et l’interactivité, la publicité ne devra-t-elle pas, à contre pied, jouer maintenant une certaine lenteur ? Le modèle économique si fragile et incertain d‘internet ne joue-t-il pas en faveur d’une plus grande prudence ? Pourquoi les murs, mais aussi la presse, la radio, la télévision sont-ils si aisément considérées comme des médias «  dépassés », alors qu’au contraire toute l’histoire de la communication illustre ce fait étonnant : aucune technique n’a dépassé  les autres. Celles-ci se superposent les unes aux autres et les activités culturelles précédentes, toujours appelées à disparaitre, perdurent. Pourquoi une telle précipitation à croire que la vie, demain, sera totalement sur l’écran alors qu’il y a même pas le recul d’une génération et que rien n’interdit des revirements ? Pourquoi continuer à hiérarchiser entre « vieux »  et « nouveaux » médias, alors que les plus récents de ces derniers, seront dans moins de 10 ans, « vieux » et obsolètes ?

Autrement dit, ce sont les performances mêmes et les promesses d’un monde toujours plus rapide, convivial, interactif, moderne qui forceront la publicité à redéfinir ce qui est réellement son apport et son rôle dans un monde qui ressemble de plus en plus à ce qu’elle mettait elle-même en scène dans ses représentations futuristes ? Mais hier, elle faisait rêver, justement parce qu’elle était différente de la réalité. Que devient ce rêve, si la publicité devient le double de la réalité ? La rencontre entre un monde qui « ressemble » de plus en plus à celui de la publicité, oblige celle-ci, et c’est un bien, à rechercher, et réinventer, son originalité. Comment maintenir une différence entre le monde culturel de la publicité et celui de la réalité sociale ? Comment une industrie tournée vers l’évènement et  l’instantané peut elle inventer un autre rapport au temps et à la vitesse ?

Conclusion

Si je peux résumer l’enjeu d’une industrie, toujours à la recherche d’une légitimité culturelle, je dirai que finalement la publicité ne se réduit pas à un rapport entre l’offre et la demande mais aussi à une vision du public,  voire à une « négociation » avec la société. L’absence de légitimité culturelle de ce secteur, comme de la communication en générale, a favorisé ce glissement discutable, selon lequel tout ce qui va vers l’individualisation est un progrès. Même si chacun sait qu’il est plus facile de satisfaire des publics segmentés que le public de masse ! Et avec en filigrane l’idée complémentaire, et fausse, selon laquelle la logique de l’offre est moins sophistiquée finalement que celle de la demande qui va aujourd’hui vers la communautarisation et l’individualisation, considérées comme une « avancée »… Voilà sans doute, au-delà des modèles économiques, des techniques, des mutations des comportements, la question de fond pour l’avenir de la publicité. Est-elle toujours une des activités symbole de la société avec son hétérogénéité du grand public, ou bien une logique communautaire et de niche ? C’est non seulement le rapport entre offre et demande qui est différent mais surtout la perspective globale de l’activité.

Le paradoxe de cet engouement pour tout ce qui échappe au grand public au profit de l’individualisation est d’être contradictoire avec l’autre tendance, celle de la politique démocratique qui au contraire depuis deux  siècles ne cesse de s’élargir d’un modèle étroit et censitaire, à la recherche de l’échelle la plus large possible, celle de la démocratie de masse. Jusqu’au suffrage universel pour tous! Et si l’on veut bien regarder l’évolution d’internet, il est présenté comme de plus en plus légitime tout simplement, parce qu’il y a de plus en plus d’internautes. Mais alors pourquoi internet devient-il de plus en plus légitime au fur et à mesure qu’il s’impose à tous, et pourquoi les médias de masse qui ont toujours existé à cette grande échelle sont-ils depuis toujours, suspect… Deux poids, deux mesures, selon le côté où l’on situe le progrès technique….

Pourquoi l’horizon de la politique démocratique est-il celui du grand public et l’évolution des industries culturelles, celui de la tentation de la segmentation ?  La publicité et la communication appartiennent finalement au modèle de la démocratie de masse qui demeure l’horizon normatif de la politique, et auxquelles se joignent d’ailleurs de plus en plus de pays émergents.

Autrement dit la question du rapport entre segmentation et grand public n’est pas seulement un problème technologique ou économique, il est aussi un choix, voire une opposition, entre deux modèles de sociétés. La force de la publicité, et de la communication, est de participer individuellement à une activité collective. L’une et l’autre appartiennent historiquement, mais aussi culturellement au modèle de la société égalitaire. Jusqu’où doivent-elles rejoindre l’autre modèle culturel, celui de la segmentation ? Ou plutôt, pourquoi ne reste-t-elle pas fidèle à celui de la « société individualiste de masse ». C’est-à-dire celui qui essaye de tenir ensemble les deux dimensions contradictoires de l’individu et du collectif…

La publicité, centrale pour le rapport individu-collectif, l’est aussi pour une autre question essentielle, delle de la liberté de création.  A force de tout réguler pour les meilleurs raisons démocratiques, on a vu que la publicité, qui est déjà à cheval entre trois logiques contradictoires, risque d’être emportée par le politiquement correct et la langue de bois démocratique. C’est ici que l’on retrouve le rôle d’une instance comme l’ARPP. Celui-ci est certes une structure de réflexion éthique, mais il peut aussi veiller à ce que demeure, avec la publicité, une certaine liberté, effronterie, insouciance dont nos sociétés écrasées par la rationalisation, ont fortement besoin.

Autrement dit n’être pas le gendarme supplémentaire de l’éthique : mais le lieu où l’on peut réfléchir pour conserver à cette activité indispensable, un peu de ces ambigüités, décalages, créations, tensions, ruptures, nécessaires et indispensables. A force de s’institutionnaliser, encore une fois pour les meilleurs raisons du monde, nos sociétés deviennent tristes. Même l’art, rupture par excellence se rationalise dans la spéculation et les stéréotypes.

Raison de plus pour que la publicité, qui depuis toujours est dans cet entre deux, revendique plus nettement cette liberté décalée. Raison de plus pour que l’ARPP et ses instances veillent à ce que puisse émerger et s’exprimer quelque chose de différent, au-delà des négociations et de l’autorégulation. Préserver la place de l’humour, de l’ailleurs voire de l’interdit. Eviter de « tout nommer pour tout normer » comme je l’avais écrit dans mon premier livre consacré à la révolution des mœurs, il y a quarante ans…. Faire d’une instance de l’éthique un lieu de préservation des décalages et des libertés, est apparemment contradictoire avec l’idée  d’éthique, mais ne l’est pas dans une acception plus large de celle-ci, qui intègre justement la mission de cohabitation des visions du monde. Il peut d’ailleurs y avoir autant de rigidité dans ce que l’on appelle « le droit souple » que dans l’autre qui n’est d’ailleurs pas souvent nommé : « droit dur », « officiel », « normatif »…

Après tout dans un univers où tout devient normal, démocratique, négocié, représentatif, l’éthique doit aussi préserver ce qui reste, à côté, minoritaire, décalé. Le paradoxe est d’ailleurs que les libertés, souvent chèrement acquises se rigidifient dans des négociations dont le résultat est souvent une extension du conformisme, et une plus faible tolérance à l’égard de ce qui est « a-normal ». Coincée entre la création, le commerce et la régulation la publicité ne craint pas de glisser vers la subversion, mais elle peut alors, paradoxalement, préserver cette dimension d’altérité nécessaire à nos sociétés. Et l’ARPP, être à la fois, l’acteur de l’autorégulation et le défenseur d’une certaine audace, insolence, insouciance, et prégnance des décalages… Qui y perdrait ? Personne.

Une dernière remarque sur les liens entre Éthique et autorégulation. L’Éthique, ou sa caricature, est souvent réduite à une branche de la morale, une logique du bien et du mal, une démarche normative. Il n’en est rien la plupart du temps, notamment appliquée à une activité économique et culturelle. Elle est ici moins du côté de la morale que de l’explication de points de vue contradictoires. Une éthique de la discussion et de la mise en rapport des points de vue. En ceci elle est complémentaire de la définition de la communication que je valorise, à savoir la négociation. Communiquer c’est le plus souvent négocier. Et négocier à partir de positions normatives différentes..

Il y a donc une sorte de triangle de la modernité, constitué par les approches complémentaires de ces trois dimensions essentielles des mondes contemporains : l’éthique, la communication, l’autorégulation. Dans ces trois cas il faut essayer d’organiser une cohabitation pacifique, respectueuse, du point de vue des uns et des autres et susceptible de déboucher sur des choix. On devine combien ce triangle fragile de la modernité peut-être utile dans une société ouverte où tous les points de vue contradictoires s’expriment légitimement, et où personne ne veut renoncer à la légitimité ! Comment apprendre à cohabiter pacifiquement ? Et à leur manière ces trois logiques y contribuent.

D’où l’idée de valoriser ce triangle. La communication c’est la négociation ; l’éthique la discussion normative ; l’autorégulation, un système de décisions respectueux de la pluralité des logiques.

L’ARPP, par sa démarche empirique retrouve ainsi les grands débats théoriques politiques contemporains où la démocratie oblige à faire cohabiter des logiques antagoniques, pour ne pas dire conflictuelles. Surtout dans ces espaces publics contemporains où beaucoup de choses deviennent « transparentes ». Ce qui ne simplifie rien, mais complique tout, car la transparence accentue souvent la visibilité des différences et la tentation de ne pas renoncer à ses propres valeurs, ni à se questionner…

Le triangle de la modernité, impensable il y a un siècle ne peut exister qu’en temps de paix, et doit être absolument valorisé de deux manières.

D’abord en encourageant les institutions d’autorégulation de la publicité dans le monde, ou ce qui s’en rapproche, en tenant compte de ces trois logiques. Et ceci notamment en Europe où cohabitent plusieurs traditions, dans un cadre culturel néanmoins souvent commun. Le travail comparatif en Europe est indispensable justement parce qu’il y a à la fois ces ressemblances et ces différences culturelles. Le fond des valeurs est presque le même, les traditions différents. Comparer permet d’inventer des solutions originales.

Ensuite réfléchir à l’extension de cette autorégulation, procédure politique originale, à d’autres secteurs que celui de la publicité. Cinq secteurs sont à explorer. Celui de la révolution de l’information, avec l’explosion de grandes bases de données où l’on retrouve à la fois la recherche d’autres rapports sociaux, la démocratie et l’invention d’autres régulations. La consommation, si essentielle dans notre économie et notre modèle culturel et qui trouverait peut-être ainsi, enfin, la légitimité qui lui manque, à tort. La recherche où chacun des protagonistes gagnerait à plus de débat public, l’environnement comme nouveau champ d’affrontement, autant que nouveau patrimoine culturel. L’éducation pour sortir des seules régulations étatiques.

En réalité la place croissante de l’autorégulation reflète la montée en puissance du rôle de la société civile comme nouvel acteur politique entre l’état et le marché. D’ailleurs l’autorégulation appartient bien à cette logique en expansion où l’on veut valoriser les acteurs et pas seulement l’État et le marché.

Il y a ainsi donc trois logiques : l’État, la société civile et le marché qui sont en quelque sorte en écho au triangle de la modernité avec l’Éthique, la communication et l’autorégulation.

Dominique Wolton

 

 

 

 

 

Dominique Wolton
Président du CEP