Avis du CEP « Légitimité de l’autorégulation »

Selon le Conseil d’État, « il n’existe aucune contradiction entre la reconnaissance du droit souple ainsi que son expansion et une meilleure qualité du droit. En donnant un plus grand pouvoir d’initiative aux acteurs, et au-delà plus de responsabilités, le droit souple contribue à oxygéner notre ordre juridique. Par un emploi raisonné, il peut pleinement contribuer à la politique de simplification des normes et à la qualité de la réglementation » [1] .

L’autorégulation a pour but de définir et promouvoir une éthique professionnelle afin de protéger le consommateur. Elle oblige à une réflexion et un débat au sein même des parties prenantes, ce qui lui garantit une proximité de terrain et l’incite à la réactivité et la souplesse. Scrutée par les pouvoirs publics, elle peut devenir corégulation lorsque ceux-ci lui assignent des missions précises de régulation de la profession à partir d’objectifs définis, assorties de mesures de suivi commun. Les travaux de l’ARPP dans les domaines de l’image de la femme, de l’alimentaire et des allégations environnementales relèvent de la corégulation : l’autorité d’autorégulation réalise des contrôles précis et publie annuellement des bilans d’application des règles déontologiques.

L’autorégulation publicitaire est un des systèmes d’autorégulation les plus anciens et les plus largement établis : arrivée au tout début du XXe siècle aux États-Unis et en France, elle s’est développée dans tous les pays à économie de marché depuis les années 1970, notamment sous la pression des associations de défense des consommateurs, des organisations non gouvernementales, de la Chambre de commerce internationale (ICC) et enfin des instances européennes.

Or, notamment en France, les tribunaux peinent à lui reconnaître une légitimité : est-ce simplement parce que les pouvoirs publics, malgré le souhait du Conseil d’État, peinent à se doter « d’une doctrine de recours et d’emploi du droit souple » ?

En France, l’autorégulation publicitaire a acquis une place particulièrement importante, les publicités étant contrôlées, soit avant leur diffusion (publicités télévisuelles), soit après. Dans le cas de la publicité télévisuelle, la vérification ex ante de la publicité par l’ARPP permet au CSA, qui lui a délégué cette mission, de vérifier que la législation, devenue de plus en plus lourde au fil des ans, est respectée.

Concernant les autres supports, les avis de l’instance sont recherchés par les professionnels, désireux d’adopter une attitude prudentielle, qui leur évite des recours potentiellement coûteux : le rapport bénéfice-risque de diffuser une publicité qui ne corresponde pas aux recommandations de l’ARPP est fortement défavorable pour l’annonceur. Ainsi, d’un coût nul pour les finances publiques, l’immense majorité des publicités diffusées dans notre pays correspondent à des normes consensuelles de décence, de respect de la personne humaine, etc. Cet équilibre implique que l’ARPP, afin de garder sa légitimité alors que ses missions et son organisation ne relèvent d’aucune loi, obtienne l’adhésion de tous les acteurs ainsi que l’acceptation par les professionnels de financer le dispositif. Elle doit également accepter, ce qui est le cas, de subir des contrôles passibles de sanctions en cas de manquement.

Depuis 2008, l’ARPP est dotée d’un Jury de déontologie publicitaire (JDP), qui peut être saisi par tout consommateur. Le Jury peut demander la cessation de la diffusion d’une publicité, et citer la marque dans les avis qu’il publie, ce qui peut porter un préjudice au contrevenant. Loin d’avoir force de jugement judiciaire, les avis ont donc néanmoins un effet notable sur la réputation des entreprises, selon le principe anglo-saxon du name and shame.

Les systèmes européens d’autorégulation publicitaire sont également dotés de jurys largement similaires. Les avis de ces jurys sont parfois contestés en justice.
Ainsi, l’homologue britannique du JDP, l’ASA (Advertising Standards Authority), a été sanctionné par la cour en 2011, pour avoir pris une décision jugée disproportionnée (Sandown Judicial Review, 22 avril 2011).
En Espagne, le tribunal a établi que le jury de l’instance d’autorégulation pouvait être assimilé à l’arbitrage, et qu’en conséquence, la soumission volontaire des deux parties était nécessaire pour en rendre les décisions valables et publiables (Laboratorios Lesvi, SA vs Autocontrol). En outre, lors de l’appel de cette décision devant « la Audiencia Provincial de Madrid », le 24 mai 2004 (Sentencia num. 400/2004), les magistrats ont affirmé que le jury ne pouvait pas être attaqué pour diffamation, son rôle étant justement de dénoncer les manquements objectifs de certaines entreprises au code de la publicité.
De même, la cour civile d’Amsterdam, le 13 juin 2012, a prononcé un verdict en faveur de l’autorité d’autorégulation : en établissant que celle-ci n’avait pas voulu porter atteinte à la fonction du plaignant, elle confirmait que l’avis publié relevait de la liberté d’expression. De plus, la cour a établi que les graves conséquences que l’avis du jury pouvait avoir pour le plaignant n’étaient que la preuve du succès avec lequel le jury poursuivait son but.

Ces quelques exemples de jurisprudence européenne montrent qu’il est possible, pour un système d’autorégulation, d’être reconnu par les tribunaux, sans avoir la prétention ni le désir de s’y substituer.

Paris, le 14 septembre 2015