Le Travail du CEP, c’est autant de la veille que de la déconstruction d’idéologie

(Extrait du rapport d’activité 2018 de l'ARPP)

La lettre du président

Cinq Avis publiés en 2018, le CEP a battu tous ses records. Que faut-il en retenir ? 

Dominique Wolton : Nous avons publié cinq Avis en 2018 car nous avions beaucoup travaillé en 2017 ! Pour autant, le florilège 2018 est mémorable en raison de la grande diversité de notre production. Trois de ces Avis traitent du sujet des nouveaux territoires d’expression publicitaire et des nouvelles technologies associées. Même dans le monde académique, il n’y a pas beaucoup d’endroits où l’on mène aussi rapidement une réflexion sur des sujets aussi divers et complexes, alors même que les membres du CEP ne se réunissent pas à plein temps.

Le premier Avis rendu concerne la publicité touristique, pourquoi ce sujet ? 

D.W. : Le tourisme est une question centrale de la mondialisation dont on ne parle pratiquement pas. Ce marché économique porté par un milliard de voyageurs, combine la standardisation maximale et la recherche de l’identité et de la différence. C’est donc une question complexe dans laquelle l’évolution des mœurs et de la publicité joue un rôle essentiel.

Le second Avis porte sur la publicité du luxe…

D.W. : Nous nous sommes intéressés à cette thématique en nous demandant si la publicité pour le luxe était socialement acceptable. Se poser cette question dans un moment de crise est intéressant car, dans ce secteur, la France représente une puissance économique et financière considérable. La question n’est pas de condamner ou d’apprécier la publicité du luxe mais de voir à quel moment la communication rencontre des questions d’éthique.

Que le monde de la publicité fasse une réflexion critique sur le luxe m’apparaît très intelligent car on pourrait penser que la publicité n’a pas de point de vue
critique et notre Avis prouve le contraire !

Le troisième Avis est consacré à l’intelligence artificielle…

Alors que l’on peut penser intuitivement que l’IA c’est le progrès, nous l’avons mis en question titrant l’Avis : «  L’IA entre fantasme et responsabilité ». Nous avons ainsi montré que nous ne succombions pas à l’idéologie technique qui a aujourd’hui envahi le secteur numérique. Cet Avis vise aussi à rappeler la différence entre communication humaine et communication technique.

Cet Avis évoque une question assez peu posée, celle de l’imposture de la terminologie…

D.W. : Tout d’abord, on continue à angliciser le vocabulaire, pensant que si c’est en anglais c’est plus intelligent. Ensuite, c’est un vocabulaire unilatéral qui ne parle que des performances techniques et jamais de l’intelligence humaine. On a l’impression que la machine va pouvoir manger l’homme, ce qui est faux. Le récepteur a une autonomie et une intelligence. Pour relativiser l’intelligence artificielle, on peut aussi dire que tous les vocabulaires repartent de la construction d’une information qui est faite par des hommes, pas par des robots. Dans l’IA, on confond la performance de la capacité de calcul, de mémoire, d’interactivité, etc., avec le fait qu’à l’origine de toute donnée, il y a une information construite par des hommes.

Outre les questions de terminologie, l’IA réunit aussi un certain nombre de problèmes, celui de la préservation des données personnelles, celui de la transparence des algorithmes…

D.W. : Bien sûr et c’est bien que le milieu de la publicité, même s’il n’est pas le seul à le faire, se pose ces questions de fond. Le travail que font l’ARPP et
le CEP est un travail de démystification des stéréotypes concernant la publicité et la communication.

Quid du quatrième Avis «  Communication et information  » ?

D.W. : C’est un sujet central pour le monde de la communication, car on passe son temps à dévaloriser la communication et à survaloriser l’information. La tendance culturelle du milieu est en effet d’affirmer que l’information est légitime et sérieuse tandis que la communication est réduite à la manipulation et à l’influence. Dans cet Avis, nous montrons le lien structurel entre les deux, tout en affirmant que la communication est bien plus compliquée que l’information, contrairement à ce que tout le monde pense car on peut beaucoup plus facilement manipuler par de l’information. Pour la communication c’est plus difficile, car la communication suppose la relation, il y a toujours un récepteur et on ne manipule pas si facilement l’autre. Cet avis a donc pour objectif de revaloriser le concept très dévalorisé de communication par rapport au concept d’information qui est, lui, trop valorisé.

L’Avis pose aussi la question des enjeux : celui de l’identification de la publicité, de son acceptabilité et aussi un enjeu démocratique. Quel est-il ? 

D.W. : La bonne question c’est en effet le degré d’acceptabilité de la publicité et de qualifier l’idéologie dominante, car il y a beaucoup de stéréotypes, d’idées toutes faites véhiculées. Le travail du CEP, c’est autant de la veille que de la déconstruction d’idéologie.

Cet avis attire aussi l’attention sur l’enjeu démocratique dans la mesure où les nouveaux formats et les technologies utilisés entraînent un risque important d’orientation – voire d’occultation – de l’information dans l’intérêt de la publicité. La publicité appartient au même paradigme que les médias de masse, radio, télévision, etc., qui sont tellement détestés et tellement importants parce que le génie et la force de la publicité c’est de s’adresser à tout le monde, c’est-à-dire au grand public, exactement comme ces médias.

Pourquoi cette question du grand public est-elle importante ? 

D.W. : Cette question du grand public est considérée comme une question secondaire alors que c’est une question qui est devant nous dans une société où tout le monde est atomisé, hiérarchisé, individualisé, chacun dans sa boîte. Le progrès, ce n’est pas d’être dans sa communauté avec ses amis qui pensent comme vous, c’est d’être capable de cohabiter avec des gens qui n’ont rien à se dire. La question de la publicité comme la question de la radio ou de la télévision, c’est de dépasser la segmentation qui est à la fois le bâton de maréchal des réseaux et leur mort. Car ce n’est pas un progrès de renfermer tout le monde dans les individus et les communautés. Le progrès depuis toujours c’est de faire «  société  », donc de cohabiter pacifiquement quand on n’a rien à se dire. Le défi pour la publicité c’est de montrer qu’elle fait du lien social.

Qu’entendez-vous par là ? 

D.W. : La publicité donne une identité, les riches et les pauvres la reçoivent de la même manière. C’est l’étape ultérieure dans le monde d’aujourd’hui, fasciné par la communautarisation et la segmentation. Je pense qu’une fois qu’on aura vus les effets pervers – mais aussi parfois positifs de cette segmentation – on sera bien content de retrouver la question du «  être ensemble  ». La publicité fait fausse route quand elle dit qu’elle doit tourner le dos à la logique de masse pour ne s’occuper que de la segmentation. Certes, elle peut le faire mais ce n’est pas sa vraie nature. Sa vraie nature, c’est de s’adresser à tout le monde et d’informer, de séduire, de convaincre, etc.

Mon travail de chercheur c’est de revaloriser la publicité à un moment où tout le monde considère que c’est du business et je mène une double bataille : faire que la publicité assume sa responsabilité culturelle et sociale et valorise son rôle, et éviter que la publicité ne devienne du politiquement correct, parce que c’est la mort ! Tout est déjà politiquement correct dans notre société et il reste peu de place pour la liberté de création de la publicité. Compte tenu du nombre de réglementations, de lois, d’interdits, on se demande même comment il peut y avoir encore des publicitaires !

Quels enseignements peut-on tirer du cinquième Avis sur la publicité et les réseaux sociaux ? 

D.W. : Cet Avis pose directement la question des conditions de la vérité dans un espace où la fascination pour les échanges tend à faire oublier les règles de déontologie. Il montre qu’il y a un véritable enjeu déontologique pour la survie de la publicité responsable, c’est-à-dire tout ce que s’efforce de mettre en place l’ARPP depuis 1935. Sous couvert de liberté, les réseaux sociaux deviennent les destructeurs de tout ce qu’a bâti l’autorégulation depuis 84 ans. Comme toujours, la soit-disant liberté est un facteur de dérégulation qui permet ensuite de faire entrer tous les loups dans la bergerie.

Notre travail consiste à dire : « très bien les réseaux sociaux mais jusqu’à une certaine limite !  ». Nous avons voulu montrer que les réseaux sociaux ce n’est pas toujours l’avenir, car s’ils apportent des bonnes choses, ils trainent aussi des contours épouvantables de dérégulation. La profession s’emploie à réguler la publicité de manière autonome depuis des années, ce n’est pas pour que, soit-disant au nom de la démocratie, on détricote tout, qu’on fasse intervenir la voix financière du plus fort, la perversion, etc… C’est une question très politique, celle de l’avenir de la publicité.

Cet Avis insiste beaucoup sur la qualification des contenus échangés, le fait qu’il faudrait avoir des obligations renforcées, c’est assez iconoclaste ! 

D.W. : Si l’on veut sauver la liberté des réseaux sociaux, d’une part, et si l’on veut sauver l’autorégulation de la publicité et sortir la publicité d’une caricature, d’autre part, il faut oser dire aux réseaux sociaux qu’ils sont eux-mêmes dans la caricature. On a appliqué des règles à la publicité, on ne peut pas en exonérer les réseaux sociaux !

Pourquoi avoir choisi de traiter ces sujets ? 

D.W. : Ce qui m’intéresse surtout dans ces sujets, c’est que ce sont des questions qui ne s’inscrivent pas dans les stéréotypes qu’on accole à la publicité. On s’imagine que les publicitaires ne pensent qu’à la conquête des marchés, à la mode, à la communication…, il faut déconstruire ces stéréotypes et ces sujets illustrent la capacité du monde de la publicité à montrer qu’il peut se poser des questions centrales et qu’il cherche à évoluer.Je ne suis pas un chercheur politiquement correct, pas plus au CEP qu’au CNRS. J’ai beaucoup insisté pour traiter, avec l’assentiment de tout le monde, des sujets plus difficiles. D’une part, parce que nous avions déjà traité les sujets «  classiques  » et, d’autre part, parce que sans être des sujets à l’avant-garde – le mot est trop fort – ce sont des questions qui «  grattent un peu  ». On ne s’attend pas à ce qu’une instance de régulation de la publicité travaille sur l’intelligence artificielle d’ores et déjà de façon critique.

Quels sont les sujets de réflexion du CEP en 2019 ? 

D.W. : Nous poursuivons sur des sujets éminemment politiques que nous avons intitulés «  Stéréotypes et représentations  » et «  Question écologique et publicité  ».

Le CEP essaie d’éviter la langue de bois. Nous posons les questions intellectuelles avant de poser les questions de la publicité et dans les questions de la publicité, nous ne sommes pas conventionnels. C’est mon objectif depuis que j’ai accepté de rejoindre le CEP : la publicité est un secteur où il y a beaucoup plus de culture et d’intelligence qu’on ne le croit, lesquelles ne sont pas mises en valeur. Je pense donc que le métier de la publicité et de la communication a tort de se laisser caricaturer sans protester. Dans ma tête, les Avis du CEP contribuent à une revalorisation d’un métier qui n’a rien de mineur. On ne pourra regarder la publicité et la communication comme des facteurs importants que si ceux qui la font gardent leur liberté de création tout en étant capables d’être sérieux, responsables et insolents.

L’insolence est une notion que vous aimez particulièrement mettre en avant ! 

D.W. : Oui, ces avis me plaisent car ils ne sont pas conformistes et ont de l’insolence au sens de la liberté d’esprit !

Face à la pression croissante du politiquement correct, il est important de montrer qu’au moins une partie des professionnels et des chercheurs du secteur n’adhèrent pas à une pensée molle et convenue.

Comment le CEP s’inscrit-il dans le système d’autorégulation publicitaire ? 

D.W. : Au CEP, nous sommes un peu les poissons pilote de la réflexion. Le Conseil est une autorité autonome. Le seul lien que nous avons, c’est le Président de
l’ARPP – François d’Aubert – qui, du fait des statuts, est vice-président du CEP. C’est un homme très libéral, et très ouvert, non quelqu’un qui fixe une norme.

En 2018, le CEP s’est aussi renouvelé en termes de membres et de profils…

W. : Au fur et à mesure des renouvellements, l’objectif est de trouver des personnalités atypiques qui soient libres, aiment la publicité et la communication et mènent une réflexion critique. En 2017, nous avions retrouvé Pierre-Marie Liedo dans le domaine des neurosciences, des sciences cognitives et de la neurobiologie. En 2018 et début 2019, nous avons accueilli trois personnalités. Deux femmes – Laurence Devillers, qui travaille dans le plus grand laboratoire du CNRS, le Limsi (Laboratoire d’informatique pour la mécanique et les sciences de l’ingénieur) auteure de «  Des Robots et des hommes : mythes, fantasmes et réalité »  [1] et Clémence Gosset, qui est Directrice de la stratégie communication consommateur RSE de L’Oréal – et un homme Pascal Couvry, qui est le fondateur de l’agence (corporate) Madame Bovary.

Catherine Lenain, Directrice Déontologie de l’ARPP ayant pris sa retraite à l’été 2018, la nouveauté, c’est aussi l’arrivée de Pascale Marie, Consultante comme Responsable de la coordination du CEP.

D.W. : C’est une arrivée très importante. Tout d’abord parce que nous avons besoin de renforcer la dimension intellectuelle du CEP. Du fait que je ne peux pas tout faire et Stéphane Martin étant monté en responsabilité au niveau des instances européennes et mondiales [2] , nous avons besoin de quelqu’un qui ait l’esprit clair et une vision intellectuelle des choses et c’est le cas de Pascale. En plus, elle connaît très bien le secteur, le CEP, et ne s’en laisse pas compter. Enfin, c’est une personne enthousiaste qui s’attache à faire progresser les choses.

Pour conclure sur l’année 2018…

D.W. : Nous avons réuni trois bons facteurs : de bons Avis, des très bons renouvellements au sein de la composition du CEP et l’arrivée de Pascale qui à la fois accélère les interactions, les contenus intellectuels et qui a une vision intellectuelle des choses, ce qui est important.

Paris, le 28 juin 2019

[1]

Edité chez Plon en 2017

[2]

Le Directeur Général de l’ARPP est également Président de l’AEEP/EASA.