Le CEP publie aujourd’hui la quatrième livraison de sa publication Publicité et société – Les cahiers du Conseil de l’éthique publicitaire –, sur la base de son dernier avis intitulé « L’hypersegmentation de la publicité : défis sociétaux et déontologiques » adopté en février 2021.
Cette parution comprend également une tribune libre de Dominique Wolton: « Publicité : Segmenter, c’est réifier ».
Dans ce nouvel avis, le CEP analyse les questions que pose l’adaptation de la publicité aux évolutions des techniques et des usages numériques, sous la forme d’une hyperpersonnalisation des messages grâce au traitement de données comportementales et psychographiques basées sur les styles de vie, les croyances, les valeurs, et la personnalité des consommateurs.
Le Conseil de l’éthique publicitaire (CEP), instance indépendante présidée par le sociologue Dominique Wolton, Directeur de recherche au CNRS, est associé au dispositif d’autorégulation professionnelle de la publicité concertée avec la société civile, porté par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). Il a pour mission d’analyser les évolutions sociétales dans les domaines couverts par la déontologie publicitaire et de réfléchir aux problèmes d’ordre éthique posés par le contenu de la publicité et l’évolution de ses formats, tout en proposant une réflexion critique sur le discours qui entoure la publicité.
Partant de l’actualité que constitue l’ouverture encadrée – mais hautement symbolique – de la publicité segmentée à la télévision nationale, en application du décret du 5 août 2020, le CEP relève que l’hypersegmentation et son corollaire, l’hyper-ciblage publicitaire, ne concerneront, pour un certain temps, que l’univers de la publicité numérique, malgré le fantasme du « big data ». Cette évolution témoigne néanmoins de la potentielle extension du phénomène à de grands médias de masse, jusque-là symboles de la cohabitation entre individus et entre communautés.
Détaillant certaines questions essentielles à la compréhension du phénomène de la publicité hypersegmentée, comme celles qui ont trait aux déséquilibres concurrentiels, à la répartition de la valeur, à l’évolution des métiers ou encore à l’efficacité de l’hyperciblage, le CEP observe qu’elles ne relèvent pas du champ d’intervention, ni de la compétence de l’autorégulation publicitaire.
Il constate que le phénomène de marchandisation des données personnelles et leur capture à grande échelle soulèvent plusieurs problèmes, au premier rang desquels la renonciation manifeste des internautes à contrôler (et même à connaître) l’utilisation qui est faite de leurs données, au nom de la fluidité de leurs navigations sur le web.
L’avis du Conseil de l’Ethique Publicitaire est articulé autour de quatre grandes questions :
- Une question d’ordre éthique et politique, qui concerne principalement le phénomène d’appropriation des espaces non marchands par le marketing, et la confusion qu’il entraîne entre espaces privé et public. Le CEP questionne fortement, pour la critiquer, la notion de « publicité pertinente », et remarque que le postulat de congruité de la publicité hypersegmentée n’est objectivé par aucun travail méthodologique qui inclurait le ressenti de l’internaute.
- Une question d’écologie politique, autour de l’argument de la voracité, notamment énergétique, du marché de la donnée, et du constat qu’en se résumant à une incitation élémentaire et répétitive à l’achat, la publicité hyper-ciblée s’inscrit à l’opposé du désir croissant d’un autre rapport à la consommation.
- Une critique d’ordre social, basée sur l’hypothèse que la dynamique du data marketing engagerait davantage la publicité dans un monde de discrimination sociale, au détriment des segments de population qui se situent dans « l’angle mort » de la consommation.
- Une question démocratique et anthropologique enfin, qui touche à la fragmentation sociale et à l’atomisation des collectivités humaines en différentes communautés d’intérêt, car la publicité participe à la construction de ce patrimoine immatériel commun sans lequel il n’y a pas de perception d’un vivre ensemble.
Pour autant, il n’est pas certain aux yeux du CEP que la publicité ait vocation à « faire société », ni que l’enjeu anthropologique et démocratique du phénomène de la « bulle de filtre » soit de même nature et de même ampleur si l’on parle de la publicité, ou s’il on parle de l’information. Il observe par ailleurs que la publicité segmentée peut permettre l’expression de nouveaux annonceurs, plus récents, plus petits, plus locaux, pour qui les media traditionnels restent inaccessibles.
Au terme de ses réflexions et des auditions qu’il a menées, le Conseil de l’Ethique Publicitaire formule plusieurs recommandations, dont l’encouragement à la réflexion académique sur au moins deux sujets : la notion de « publicité pertinente » et la contribution de la publicité segmentée à la création des « bulles de filtres », et la proposition d’une « éducation à la donnée » en milieu scolaire. Observant le fonctionnement du marché et l’utilisation faite des informations relatives aux contenus consommés, il identifie par ailleurs deux risques majeurs. L’un, de nature déontologique, touche à la détention indirecte de données sensibles. L’autre, d’une portée considérable sur le plan démocratique, a trait aux effets attendus (voire annoncés par les grandes plateformes) du ciblage sémantique sur l’orientation des choix des annonceurs, et, partant, sur le financement et donc la production de l’information.
Cet avis, rédigé par Pascale MARIE, synthétise les réflexions du Conseil de l’Ethique Publicitaire composé de : Dominique WOLTON (président), François d’AUBERT (vice-président), Zysla BELLIAT, Myriam BOUCHARENC, Laurence DEVILLERS, Catherine JEAN-JOSEPH SENTUC, Cristina LINDENMEYER, Pierre-Marie LLEDO (personnalités indépendantes) ; Albert ASSERAF, Pascal COUVRY, Clémence GOSSET, Thierry LIBAERT, Natalie RASTOIN, Gérard UNGER, (professionnels), avec la participation d’Alain GRANGÉ CABANE (Réviseur de la Déontologie Publicitaire).
Contact presse : ARPP – Stéphane Martin, Directeur Général, +33 (0)1 40 15 15 26,
CEP – Pascale Marie, Consultante, +33 (0)1 40 15 15 26
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Paris, le 18 mars 2021.