Avis du CEP « Animaux, société, publicité »

Jusqu’à une période très récente, le regard porté sur les animaux était très empreint de considérations héritées de la théologie judéo-chrétienne renforcée par le cartésianisme, posant une césure claire entre l’animal et l’être humain. D’où des comportements aisément – au sens de « sans problème » -, défavorables à l’animal, envisagé comme un être sans âme et sans émotions.

Ce point de vue est en train d’évoluer fortement, sous la poussée, notamment, du mouvement écologiste ou de l’attitude des citoyens des pays industrialisés qui, au cours des 50 dernières années, se sont pris de passion pour les animaux qui ont en commun de ne servir à rien d’autre qu’à la compagnie de leurs maîtres et dont le statut est proche de celui des enfants.

Reflet de la société par excellence, la publicité n’échappe pas à l’évolution d’une telle conception. Le choix conduisant les publicitaires à utiliser des animaux plutôt que des hommes, peut procéder d’une recherche d’effet humoristique (produit par le décalage d’animaux présentés en situations humaines) ou alors de la recherche d’un effet d’attendrissement du public. Un des intérêts du recours aux animaux est, parce qu’ils sont reliés à la mythologie et à l’imaginaire, de permettre de toucher à l’universel.

En outre, en publicité, on est plus efficace quand on transpose que quand on impose. Cela, le recours à des personnages animaux le permet. Il est des choses que l’on ne peut dire qu’avec le décalage introduit par les animaux.

Enfin, les animaux, par les symboles auxquels ils sont associés, sont des condensés de sens, appréciables donc pour les créatifs publicitaires qui doivent signifier beaucoup en peu de temps.

Concernant cette question même de la représentation de l’animal en publicité, l’ARPP est principalement confrontée, dans sa pratique quotidienne, aux problématiques suivantes :

  • La représentation de situations de maltraitance et/ou de souffrance animale. La vigilance de l’ARPP est importante, au même titre que la sensibilité du public sur ce point.
  • Sans qu’il y ait maltraitance à proprement parler, la représentation de comportements humains pouvant porter atteinte à la biodiversité.
  • Le possible contournement de règles déontologiques qu’autoriserait la représentation de personnages sous forme animale plutôt qu’humaine
  • L’atteinte potentielle à la dignité de l’animal lorsque celui-ci est représenté dans des situations humiliantes, risibles ou niant leur animalité (ex. animaux sous forme de femmes en train de se livrer à un strip tease, ou panthère noire domestiquée dans un appartement). Bien que l’attention de l’ARPP ait été attirée à plusieurs reprises sur ces problématiques, celle-ci n’est pas pleinement prise en compte par l’ARPP à l’heure actuelle.

1. Ligne rouge à ne pas dépasser : la souffrance animale.

Celle-ci ne saurait être considérée comme acceptable, surtout si elle doublée de cruauté/maltraitance et de gratuité.

Certes, les notions d’utilité (est-ce que cela sert au progrès ?) et de culture (s’agit-il, comme la corrida, d’une coutume culturelle très ancrée ?) peuvent contribuer à rendre complexe l’application de ce principe.

La recherche sur les animaux ne peut être complètement ignorée, bien qu’elle soit aujourd’hui radicalement critiquée : des allégations subsistent à partir d’expérimentations animales ;

Mais, globalement, sur le plan éthique, l’idée de la souffrance infligée aux animaux est une borne assez claire de l’inacceptable.

La cruauté, la maltraitance, la souffrance animale sont donc à rejeter, dans le sens où l’animal y est représenté comme un objet.

Concernant la représentation de souffrances animales dans une publicité en vue de la dénoncer, la question est plus complexe. A titre d’exemple, Il semble difficile, globalement, d’interdire la communication sur la violence des corridas [1] , sauf au motif que cela risque de choquer le public. Avec, sans doute, une tolérance plus forte pour ces images si elles relèvent de publicités sans finalité commerciale que dans le cas contraire (Cf. avis du CEP sur les campagnes d’opinion [2] ).

2. L’homme : un animal animalissime !

Faut-il néanmoins opérer une distinction entre les différentes catégories d’animaux ? Préalablement il nous faut aborder la question sous-jacente suivante : l’homme est-il un animal comme un autre ? Y a-t-il entre l’espèce humaine et les espèces animales, une différence de degré ou bien de nature ?

L’homme est un animal « animalissime ». Tout est question de degré, de variation quantitative par unité du vivant (cellules) entre l’homme et l’animal.

Sur des critères qui pourraient faire la différence, comme ceux des émotions, de la conscience, du cerveau, voire de l’empathie, les scientifiques constatent plutôt un continuum qu’une rupture. Il existe toutefois une vraie différence qui pourrait se situer au niveau de la pensée conceptuelle.

Un regard plus anthropologique fait apparaître que, dans certaines sociétés, la coupure animaux-humains, si évidente dans nos cultures, n’existe pas. L’animisme peut même aller jusqu’à englober le végétal.

Envisagée du point de vue des sciences naturelles, la véritable césure n’est pas entre humains et animaux mais semble plutôt être celle qui oppose vertébrés et invertébrés. Les premiers ayant un cerveau, des émotions, une conscience. Ce qui n’est pas le cas des seconds.

D’autres paramètres, plus subjectifs, peuvent entrer en ligne de compte. Par exemple, plus on se rapproche des espèces supérieures, plus le sentiment de proximité avec l’espèce humaine existe. De même, l’empathie des humains envers les espèces domestiquées est plus grande : la frontière recule, s’attaquer à des espèces domestiquées c’est un peu s’attaquer à l’homme.

En tout état de cause, l’animal n’est pas une personne.

3. Du débat lié aux végétariens / omnivores.

Les aliments d’origine animale ont souvent été placés par les sociétés au sommet de la hiérarchie des nourritures. C’est aussi sur les aliments d’origine animale que portent la plupart des interdits. En tous temps et en tous lieux, les conditions de prédation, d’élevage, d’abattage ont fait l’objet de prescriptions culturelles et/ou religieuses.

En ce qui concerne le végétarisme, s’il est le plus souvent associé à une forme de protection de l’animal, celui-ci peut également être lié aux religions ou aux convictions.

En publicité, le respect des autres, l’absence de prosélytisme et le rejet formel de l’intolérance à l’égard des religions, particulièrement relative aux préceptes alimentaires, doivent constituer des limites fondamentales.

4. Droits, devoirs et dignité.

La souffrance animale n’est donc pas acceptable. L’idée de devoirs de l’espèce humaine envers les animaux semble se dégager.

En revanche, l’idée de droits des animaux n’est pas reconnue en droit. L’idée de droit va de pair avec celle de responsabilité. Elle ne peut donc être retenue pour le règne animal (sauf à retomber dans les procès opposant animaux et hommes au Moyen Age).

L’animal n’est donc pas un sujet de droit dans le sens où il ne dispose pas de droits autres que ceux correspondant aux devoirs de l’homme à son égard.

En outre, l’idée selon laquelle l’espèce animale aurait une dignité qu’il conviendrait de respecter, à l’instar de la dignité de la personne humaine, existe, voire prend aujourd’hui de l’ampleur.

Elle paraît pourtant dénuée de fondement et relevant d’une pure projection anthropomorphiste. Il est à noter, à ce sujet, que la pudeur et la honte ne constituent a priori pas des émotions animales.

En ce qui concerne les représentations anthropomorphiques, celles-ci ne sont en aucune manière interdites dans la publicité. De même, la métaphore animalière dénonçant des comportements critiquables « singés » est usuelle (« lapins crétins » (Renault), lapin RATP sur les portes… ).

En revanche, la représentation de l’homme réduit au rang de bêtes, adoptant des comportements bestialisés, est bannie dans la publicité.

L’introduction d’animaux permet de décaler, de transposer, et donc de rendre plus acceptables certaines représentations, mais pour autant la publicité ne doit pas utiliser des animaux pour contourner des règles qui s’imposeraient si les personnages étaient humains.

Avis du Conseil de l’Ethique Publicitaire, publié le 2 décembre 2010

[1] Si on admet la validité des principes de la liberté d’expression pour débat démocratique, du respect des animaux par l’homme, et de la non valorisation de la souffrance animale.