De tous temps, le nu a occupé, notamment par sa représentation dans l’art et la culture, une place importante dans notre société, qu’il soit destiné à exprimer la beauté, la pureté, l’anatomie ou l’érotisme et à susciter l’émotion, l’attention voire la provocation.
La publicité s’est emparée de cet héritage culturel et depuis fort longtemps utilise des images de corps qui sont intégralement ou partiellement dénudés. Depuis la libéralisation des moeurs, ce registre créatif a été de plus en plus développé.
Force est de constater que, d’une part ces images publicitaires mettent en scène principalement la nudité féminine, d’autre part que la nudité, au-delà de la simple représentation de l’état naturel de l’homme, renvoie presque toujours à la sexualité, à l’érotisme ou à la séduction.
Le CEP constate que cette question de la nudité est l’une des plus délicates qui se posent dans la publicité et ce, pour trois raisons au moins :
- La perception de la nudité qu’a chacun de nous est différente, selon notre passé, notre histoire, notre environnement socioculturel, notre éducation, notre rapport au corps, au sexe, à la pudeur. Nous ne réagissons donc pas tous de la même façon devant la représentation de corps dénudés.
- Les réactions du corps social à la nudité sont souvent émotives, affectives, instinctives, et partant peuvent être violentes.
- Face à la nudité, le consensus social ou, à l’inverse, les tabous évoluent beaucoup, et rapidement (homosexualité, pédophilie, érotisme…). Il convient donc d’être à l’écoute du corps social et de s’interroger également sur le degré d’acceptabilité selon les cultures ou les pays (notre pays semblant plus permissif en matière de nudité que beaucoup d’autres).
Ce degré d’acceptation, qui laisse une large part à la subjectivité et à l’interprétation, démontre l’intérêt majeur de l’autodiscipline : beaucoup mieux que la loi, elle s’adapte facilement à ces différences de perception, à ces nuances ou à ces mutations, et elle permet de redéfinir, autant que de besoin, les conditions d’acceptation de la nudité selon les évolutions du corps social.
Dans le souci d’améliorer encore l’autodiscipline en la matière, le CEP estime devoir examiner, d’une part à quelles conditions la nudité peut être refusée dans les messages publicitaires, d’autre part si les dispositions déontologiques en vigueur sont suffisamment adaptées pour encadrer la représentation de la nudité en publicité ou si au contraire elles doivent être précisées.
I – Le principe : la nudité est, sous conditions, normalement admise en publicité
Au titre de la liberté d’expression, la représentation de la nudité ne saurait, par principe, être interdite.
Toutefois elle doit se conformer aux principes élémentaires qu’imposent le souci de la décence et le respect de la dignité humaine : plus précisément, la publicité doit éviter toute dévalorisation de la personne humaine ainsi que toute exploitation dans sa représentation.
D’un point de vue déontologique, les dispositions qui encadrent la représentation de la nudité sont issues :
a) d’une part du Code de la CCI sur les pratiques de publicité et de communication de marketing :
• article 1 – Toute communication de marketing doit se conformer aux lois, être décente, loyale et véridique
• article 2 – La communication de marketing doit proscrire toute déclaration ou tout traitement audio ou visuel contraire aux convenances selon les normes actuellement admises dans le pays et la culture concernés
• Article 4 – La communication de marketing doit respecter la dignité humaine.
b) d’autre part, de la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP :
• Dignité, décence :
1.1 – La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence.
1.2 – Lorsque la publicité utilise la nudité, il convient de veiller à ce que sa représentation ne puisse être considérée comme avilissante et aliénante.
1.3 – D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures, de gestes, de sons, etc., attentatoires à la dignité humaine.
• Stéréotypes sexuels, sociaux et raciaux :
2.1 – La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet.
• Soumission, dépendance, violence :
3.1 – La publicité doit éviter d’induire une idée de soumission ou de dépendance dévalorisant la personne humaine et en particulier les femmes.
3.2 – Toute présentation complaisante d’une situation de domination ou d’exploitation d’une personne par une autre est exclue.
II – Conditions d’acceptabilité de la nudité
Le CEP considère que – pour décider d’accepter ou de refuser la représentation publicitaire de corps dénudés – il convient de prendre en compte :
• d’une part le sens, la signification, que donne à la nudité le message publicitaire (« pourquoi ce corps est-il nu ? », « qu’évoque-t-il ? »),
• d’autre part les conditions de perception de la nudité (« comment ce corps dénudé est reçu ou perçu ? » » Pourquoi ce nu est-il accepté ou au contraire rejeté ? »).
En effet, ce n’est pas tant la présence de corps nus ou quasiment nus qui peut être choquante que le traitement publicitaire de la nudité. Il en va ainsi notamment des messages où des corps (ou des parties de corps) sont utilisés en tant qu’objet, en tant que simple faire-valoir du produit, déshumanisé et sans personnalité (ainsi par exemple, la plupart des corps représentés sans tête) ou en tant qu’élément gratuit de provocation.
Pas plus le simple critère « corps nu/corps partiellement vêtu » ne suffit à lui seul à résoudre le problème de l’acceptabilité de la nudité dans la publicité.
En effet, en présence de corps nus, ce qui importe fondamentalement c’est :
- la perception qui peut en découler et les différentes émotions induites par l’annonce,
- le contexte (média, lieu, moment) dans lequel cette annonce est susceptible d’être reçue,
- la (ou les) cible(s) de communication à laquelle elle est destinée ou celle(s) qui sera(seront) éventuellement touchée(s).
C’est donc en analysant, de manière approfondie, à la fois quel est le sens construit par le message, quelle est la cible visée et quel est le contexte de réception, que l’on pourra évaluer l’acceptabilité de la nudité dans un message donné, pour une cible donnée, dans un contexte donné.
Pour ce faire, on serait heureux de disposer de critères simples, objectifs ou opératoires. Malheureusement, la complexité du sujet et la diversité des émotions auxquelles renvoie la nudité obligent à prendre en compte un large faisceau d’éléments quand on entend déterminer si la représentation publicitaire de corps dénudés heurte ou non la dignité de la personne humaine.
À ce titre, il apparait que de nombreux facteurs permettent d’analyser cette perception de la nudité ; à titre non exhaustif, cette perception varie selon que :
• le corps nu montré est ou non en rapport avec le produit ou le service,
• la situation représentée peut justifier « naturellement » ou non le fait d’être nu,
• la nature du texte publicitaire (de l’accroche, du slogan…) explique ou non le corps montré nu,
• la nudité est partielle ou intégrale,
• la nudité est montrée ou suggérée,
• la nudité est utilisée à titre principal ou subsidiaire,
• la nudité est féminine ou masculine (en tenant compte du produit vanté ou du contexte),
• les corps nus sont ceux d’adultes ou d’enfants,
• la nudité est ou non associée à la sexualité, à un certain érotisme ou à la séduction,
• à l’inverse, le corps montré est ou non ressenti comme obscène ou pornographique,
• la posture, l’attitude du corps sont provocatrices ou non,
• le visage est présent ou non (« corps objet »); son expression est valorisante ou non,
• la publicité utilise ou non le ton de l’humour, du décalage, du « 2ème degré »,
• la nudité est ou non associée à la pureté, à la nature, à l’origine de la vie, à la fragilité…
• l’image est ou non esthétique, le corps représenté se rapproche ou non du nu artistique,
• au contraire, l’image est ressentie comme dégradante, aliénante, humiliante, avilissante,
le message est ou non susceptible de toucher n’importe quel public de façon inopinée (choix du média),
• le message défend une cause marchande ou non marchande (par exemple, le Sida), étant admis que les divers critères qui précèdent seront appréciés avec moins de sévérité pour une campagne « non marchande » (conformément à l’avis du CEP « …… »).
CONCLUSION
Sur la base des observations qui précèdent, le Conseil de l’Ethique Publicitaire estime nécessaire de modifier, dans la recommandation Image de la personne humaine de l’ARPP, les dispositions qui concernent la nudité, et ce dans le sens des orientations qui suivent.
La représentation de corps dénudés n’est pas acceptable dans la publicité dès lors qu’elle a pour objet ou pour effet, notamment par son caractère réducteur, de porter atteinte à la « dignité de la personne humaine », expression prise dans son acception la plus large, comme « de nature à mettre en cause une personne dans son identité ou son intégrité ».
Pour analyser cette éventuelle atteinte à la dignité, aucun critère unique ou objectif ne peut suffire.
Au contraire, doivent être examinés, au titre d’une analyse multi-critères, l’ensemble des éléments qui éclairent, d’une part le contenu du message en cause, d’autre part la perception du (ou des) public(s) visé(s) ou susceptible(s) d’être touché(s).
Parmi ces divers éléments, une attention toute particulière sera notamment portée à :
• la pertinence : le corps dénudé est-il en rapport avec le produit (ou le service) ou avec la cause qui fait l’objet du message publicitaire ;
• le sens : la représentation du corps dénudé peut-elle être considérée comme dégradante, humiliante, avilissante ou aliénante au regard de la dignité de la personne humaine ;
• la perception : comment la représentation du corps dénudé va-t-elle – en fonction du lieu, du moment ou du contexte de diffusion du message publicitaire – être ressentie par le (ou les) public(s) auxquel(s) le message publicitaire en cause s’adresse ou que ce message est susceptible de toucher, y compris de manière inopinée ou involontaire.
Adopté à la séance du CEP du 30 juin 2011