GT 5 : La nouvelle représentation du corps dans la publicité

Chef de projet : Pascale Marie
Participants : Alain Grange Cabane, Samuel Lepastier

Positionnement proposé

La publicité subit une forte injonction  du corps social  ( ou du moins  des porte paroles censés l’incarner ) pour évoluer vers la représentation du corps dans sa diversité ( raciale, d’âge, de santé) mais aussi sa banalité ( le corps «  normal »).

Les pouvoirs publics se  joignent d’ailleurs au concert ( voir les débats sur le recours aux photos retouchées , inspirés par  un enjeu de santé publique – l’anorexie – mais pas uniquement).

La publicité par ailleurs a pour objectif de « faire rêver ». 

Deux injonctions paradoxales donc

La première  injonction a pour effet de  susciter de plus en plus de créations   mettant en scène des vieux, des personnes handicapées,  des femmes enrobées, etc…

Sous l’effet de la seconde, la démarche est ( sauf exception, Dove en est une) souvent dévoyée : faux  handicapés ou  « corps augmentés » ( les athlètes handisport équipés de lames de course), vieillards  d’anthologie ou  people , créatures « licornes » ( la pub Desigual  avec le mannequin  Winnie Harlow atteint de Vitiligo).

 

ci-joint pub Diesel (WH) et Dove

 

Nos discussions permettraient sûrement :

  • d’analyser plus finement  ce phénomène,
  • de mettre en avant la contradiction fondamentale qui marque ces injonctions  simultanées faites à la publicité,
  • de proposer des pistes d’évolution déontologique des pratiques   (notamment sur le recours à des faux handicapés).

Rappel de l’existant réglementaire et déontologique

  • Charte Image du corps avril 2008

1er engagement : Sensibiliser le public à I’ acceptation de la diversité corporelle

Nous nous engageons à promouvoir dans l’ensemble de nos activités une diversité dans la représentation du corps, en évitant toute forme de stéréotypie qui peut favoriser la constitution d’un archétype esthétique potentiellement dangereux pour les populations fragiles : … – dans le domaine de la publicité, nous continuerons à mettre en avant cette diversité, les annonceurs s’adressant d’ailleurs à des publics larges pour lesquels une monotypie centrée sur la jeunesse et la maigreur n’est pas nécessairement la plus efficace ;

  • Recommandation ARPP Comportements Alimentaires 1.6a (la publicité doit éviter toute forme de stigmatisation de personnes en raison de leur taille, de leur corpulence ou de leur maigreur).
  • Loi Santé publique janvier 2016, Art L2133-2.

Modifié par Ordonnance n°2016-462 du 14 avril 2016 – art. 3 (VD)

Les photographies à usage commercial de mannequins, définis à l’article L. 7123-2 du code du travail, dont l’apparence corporelle a été modifiée par un logiciel de traitement d’image afin d’affiner ou d’épaissir la silhouette du mannequin doivent être accompagnées de la mention : ” Photographie retouchée “.

Les modalités d’application et de contrôle permettant la mise en œuvre du premier alinéa du présent article sont déterminées par décret en Conseil d’Etat, pris après consultation de l’autorité de régulation professionnelle de la publicité et de l’ Agence nationale de santé publique.

 

Actualité en France

En 2015,  Pascale Boistard, (ex-secrétaire d’Etat chargée des Droits des Femmes) présentant son plan national de lutte contre le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports en commun, affirmait ainsi : “On ne peut pas à la fois lutter contre le harcèlement sexiste et continuer à produire des images qui dégradent l’image de la femme, et en plus font considérer que la femme serait un objet à disposition de tous. (…) Ce n’est pas une question de morale mais une question de respect. (…) Ça contribue à laisser penser que les femmes sont disponibles et qu’on peut justement leur dire des choses ou proférer des actes à leur encontre qui sont réprimés par la loi extrêmement durement, ce sont des agressions sexuelles.”

ci-joint pub Galeries Lafayette

Actualité Royaume Uni

Les publicités susceptibles de créer chez les utilisateurs des transports en commun de Londres des “problèmes de confiance en soi liés à leur corps” vont être interdites à partir du mois prochain, a déclaré lundi (13 juin 2016) le maire de Londres. Cette nouvelle réglementation s’appliquera à quelque 12 000 publicités affichées chaque année dans les bus, tramways, métros et trains qui circulent sur le réseau de Transport for London (TfL) géré par la mairie. “À partir du mois prochain, TfL ne permettra pas l’affichage de publicités pouvant […] faire pression, en particulier sur les jeunes, afin qu’ils se conforment à un physique irréaliste ou malsain ou susceptible de créer des problèmes de confiance en soi liés au corps”, a indiqué, dans un communiqué, le bureau du maire de Londres, qui gère TfL.

Le maire de Londres Sadiq Khan a défendu ce choix. “En tant que père de deux adolescentes, je suis extrêmement préoccupé par ce genre de publicités qui peuvent rabaisser les gens, en particulier les femmes, et leur faire avoir honte de leur corps. Il est grand temps d’y mettre fin”. “Pendant les déplacements en métro ou en bus, personne ne devrait se sentir oppressé par des attentes irréalistes liées à son corps. Je veux envoyer un message clair aux publicitaires sur ce point”, a-t-il ajouté. En juillet 2015, le gendarme britannique de la publicité avait jugé qu’une campagne d’affichage dans le métro londonien qui vantait un régime protéiné en montrant une jeune femme en bikini, n’était pas offensante. Nombre d’usagers l’avaient cependant qualifiée de “sexiste”. “Votre corps est-il prêt pour la plage ?”, interrogeait le slogan de cette publicité pour la marque Protein World en montrant une photo aguicheuse du mannequin australien Renee Somerfield simplement vêtue d’un maillot de bain jaune. Le marché publicitaire de TfL est l’un des plus rentable au monde avec un chiffre d’affaires attendu de 1,5 milliard de livres (1,98 milliard d’euros) au cours des huit prochaines années, selon la mairie de Londres.

 

ci-joint réactions face à ces pub

 

Premier projet d’avis

Pascale Marie 21/07/2016

La décision du nouveau maire travailliste de Londres, Sadiq Khan, d’interdire à compter de juillet 2016 les publicités susceptibles de constituer sur les utilisateurs des transports en commun londoniens une “pression, en particulier sur les jeunes, afin qu’ils se conforment à un physique irréaliste ou malsain ou susceptibles de créer des problèmes de confiance en soi liés au corps” matérialise, de façon spectaculaire, l’injonction  grandissante de “normalité” faite à la publicité .

Cette demande, – et donc potentiellement contrainte -s’ajoute aux impératifs d’une publicité respectueuse des personnes, et notamment des femmes, impératifs avec lesquels elle ne doit pas être confondue.  N’est plus considérée comme acceptable, y compris par les professionnels engagés dans l’organisation de l’autodiscipline publicitaire en France, la représentation gratuite d’un corps  offert , d’un corps-objet, d’un corps  fragmenté, au nom d’impératifs qui tiennent moins de la décence que d’une acception très contemporaine du droit  à l’intégrité et à dignité des personnes.

Même si  l’on assiste à l’émergence  d”expressions de réaction  libertaire à ce que certains considèrent comme un néo-puritanisme attentatoire à la liberté d’expression,  le consensus qui existe aujourd’hui autour de la prohibition  d’une publicité “dégradante” ou “sexiste” semble solide et durable. Il propose une réponse  équilibrée et critique à la demande d’un meilleur encadrement de la représentation  du corps  dans la publicité, dans le respect des libertés fondamentales.

Il en va très différemment  de la démarche du maire de Londres, qui signe le glissement programmé d’une demande légitime de publicité “éthique” vers une publicité non pas seulement responsable mais “socialement responsable”, soit une publicité non seulement conforme à la règlementation et aux règles partagées de l’auto-discipline professionnelle, mais aussi, de façon plus ambitieuse et  surtout, plus directive, bénéfique à la société, c’est à dire conforme à un certain projet de société, en un mot engagée.

Cette  décision , curieusement peu commentée outre-Manche,  fait suite à la polémique ouverte par une  affiche  pour la marque Protéin  World : “Are you beach body ready”, qui associait, à l’image d’un mannequin à la plastique parfaite, la suggestion d’un pré-requis de minceur pour un dénudement sans complexe à la plage. Saisie de plusieurs centaines de plaintes, l’instance de régulation publicitaire britannique  (ASA) avait jugée cette campagne conforme, arguant que “l’accroche suggérait aux lecteurs de s’interroger sur le fait de savoir s’ils étaient dans la forme qu’ils souhaitaient pour l’été “ et “n’impliquait pas de considérer des corps différents comme moins valables ou inférieurs”. L’ampleur de la polémique (manifestation  publique, pétition de 60 000 signatures notamment) l’ont amenée à réviser son jugement et à suspendre la campagne sur le fondement d’arguments sanitaires.

En France, le mouvement est peut être engagé. Au motif on ne peut plus légitime de la lutte contre l’anorexie, les pouvoirs publics ont fait pression sur les professionnels pour signer, en avril 2008, une “charte sur l’image du corps” dont le premier engagement  dépasse, très largement , l’enjeu de la  représentation de mannequins trop maigres. Sous le titre : “sensibiliser le public à la diversité corporelle”, les signataires se sont en effet engagés à “éviter toute forme de stéréotypie qui peut favoriser la constitution d’un archétype esthétique potentiellement dangereux pour les populations fragiles“.

 La loi de santé publique  de janvier 2016 est venue confirmer cette ambiguïté : “les photographies à usage commercial de mannequins, dont l’apparence  corporelle a été modifiée par un logiciel de traitement d’image afin d’affiner ou d’épaissir la silhouette  doivent être accompagnées de la mention  : photographie retouchée”. 

 C’est donc bien  la représentation d’un corps idéal, et non d’un corps trop maigre, qui est visée. C’est la machine à rêves que l’on cherche à casser.

A cette injonction faite à la publicité de recourir à l’image d’un corps “normal”, ou “banal” s’ajoute la pression exercée, notamment par les association de défense  des minorités, pour la représentation du corps dans sa diversité, qu’il s’agisse de diversité ethnique (plus de couleur), générationnelle (plus de “vieux”), ou de situation ( la question du handicap).

Il y a là un profond  malentendu, que l’intention louable des promoteurs d’une publicité “socialement responsable” ne doit pas occulter : s’il revient aux professionnels de fixer les limites d’une publicité  responsable, il n’est ni légitime, ni souhaitable que les acteurs économiques se substituent aux pouvoirs publics dans leur mission d’éducation, de promotion du civisme et de défense de l’intérêt général. Veiller à cette distinction constitue un enjeu démocratique majeur, qui dépasse l’exigence pourtant essentielle de la protection de la liberté d’expression, protégée notamment par l’article 10 de la Convention européenne pour la sauvegarde des droits de l’homme et du citoyen.

C’est pourquoi  la campagne “This girl can” ( jan 2015) lancée par l’agence gouvernementale Sport England pour encourager les femmes de toute taille et de toute forme à faire du sport, et qui met en scène des femmes ordinaires, rondeurs et cellulite à l’air, à toute sa légitimité.

Pourquoi le corps publicitaire ne  saurait-il être le  corps de tout le monde ?

En premier lieu parce que la publicité,  plus qu’elle ne crée  de normes, a pour vocation d’éveiller le désir. Sa fonction essentielle, de nature “aspirationnelle”, est de faire rêver par la projection d’un moi fantasmé, que la consommation d’un produit donné rend crédible un instant.

Cette capacité est le gage de son efficacité .

La représentation d’un corps banal ne répond pas à ce besoin de rêver, besoin dont la prohibition, que légitimerait “l’aliénation” du consommateur, revêt des allures totalitaires .

La publicité, lorsqu’elle tente de répondre à cette demande pressante de “normalité”, se heurte parfois à des réactions violentes ;  Plusieurs exemples récents, en France comme  à l’étranger, montrent que la société n’est pas forcément préparée à l’affichage de physiques “normaux”, et notamment à l’image du corps plantureux. “Cette grosse qui remue me révulse. Je ne supporte pas la pub Castaluna” : le billet d’humeur publié en une du site d’info du Nouvel Obs  en janvier 2011 a fait polémique. Comme l’interdiction, en mars 2016 sur les chaines américaines ABC et NBC,   du spot publicitaire “This Body”, pour la marque de lingerie Lane  Bryant, la chair abondante  mais non abondamment dénudée des mannequin ayant été jugée “indécente”. Ou encore les réactions violentes suscités par la campagne “cash express” fin 2014, la jeune femme ronde en tout point “normale” n’ayant pas été jugé assez  sexy, glamour et moderne pour représenter les femmes rondes .

En second lieu parce que l’argument  d’une frustration, voir d’une “oppression” face à des “attentes irréalistes liées  à son corps” (Sadiq Khan) n’a pas été démontré, s’agissant de la publicité.

Comme souvent, la publicité constitue un bouc émissaire facile, alors que le malaise, difficile à traiter, est ailleurs. Envie, jalousie, dismorphophobie des adolescents, voire anorexie peuvent -ils sérieusement être attribués à la publicité ?

Enfin parce que ce néo-rigorisme à l’égard de la représentation de corps parfaits emprunte, très paradoxalement, des ressorts qui ne sont pas sans rappeler ceux de la violence misogyne : la réprobation, et la culpabilisation de la femme tentatrice.

Comment  la publicité  parvient-elle à gérer  ces injonctions paradoxales ( faire rêver / banaliser) qui lui sont faites?

Selon les ressorts qui lui sont propres, c’est à dire en mettant en scène l’exception.

On commence donc à voir des aînés en publicité, mais des vieillards sublimes , forts, singuliers, excentriques. Jacquie Murdock, 82 ans , ancienne danseuse ultra stylée et aiguisée comme une lame, égérie Lanvin. Iris Apfel, 91 ans , ex décoratrice de la Maison Blanche dont la garde-robe iconique se promène dans les musées du monde entier , pour MAc ou Citroën ( “Driven by style”), Joni Mitchell, musicienne et peintre canadienne, 71 ans, pour YSL, ou encore l’ex mutlimedaillée olympique Larissa Latynia pour Vuitton et Iggy Pop, 68 ans , au visage rock buriné par les excès (Eleven Paris).

Ce ne sont donc pas des ” vieux” qui sont en scène, mais des vies, des parcours, des souffrances et des engagements, bref des histoires singulières, à l’opposé de l’anonymat de la “girl next door”.

On commence à voir aussi le corps malade ou handicapé en publicité , mais le corps sublimement étrange (Winnie Harlow, mannequin atteinte de Vitiligo pour Desigual et Diesel notamment), ou bien le corps héroïque (“je ne suis pas normal, je suis un champion” – campagne Hors Normes de l’Equipe pour le handisport , mars 2014), le corps “people” ( l’acteur trisomique Pascal Duquenne pour Simyo en 2009, Grégory Cuilleron, vu dans l’émission Top chef pour la marque Verycook en 2012 ), et la blogeuse hypertendance Jilian Mercado, atteinte de dystrophie musculaire pour Diesel ) ou enfin le fantasme du corps “augmenté” (Oscar Pistorius monté sur ses lames pour Nike ou Thierry Mugler ).

A l’exception (rare) d’annonceurs engagés ou inspirés, qui font de la représentation de la normalité (Dove et “toutes les beautés “) , ou du handicap (l’agence d’interim Adia : “cette fille ne peut rien faire”… sans passion) une stratégie marketing, la publicité ne renonce donc pas, même lorsqu’elle vient chasser sur les terres du politiquement correct, à rechercher le gibier d’exception.

Jusqu’à le collectionner, comme la publicité H et M de 2015 pour une mode tolérante et libre, qui additionne le même Iggy Pop, le mannequin grande taille Tess Holliday, une beauté transgenre, un mannequin amputé et une jeune fille en hijab.

Il n’y a pas lieu de s’en étonner, ni de s’en indigner, tant il ne peut lui être demandé de déroger à sa fonction première : créer le désir.