SOMMAIRE
- Des pratiques en plein essor et en déséquilibre
- Un contraste éclairant : l’expérience de la publicité autorégulée
- Une régulation fragmentaire insuffisante
- Propositions pour un encadrement éthique du coaching et de l’influence
- Conclusion : l’urgence d’une régulation fondée sur la responsabilité et le respect
- PDF de l’Alerte
Dans un univers numérique en perpétuelle mutation, où la visibilité se confond avec la légitimité et l’émotion supplante trop souvent la raison, de nouvelles figures d’autorité s’imposent : celles du « coach » et de « l’influenceur expert ». Sur Instagram, YouTube, TikTok ou LinkedIn, ces « nouveaux guides » distillent des conseils de vie, de carrière, de santé ou de bien-être à des milliers, parfois des millions de followers, souvent dans un flou total quant à leur formation, leur éthique ou la validité scientifique de leurs propos.
Cette mutation, si elle témoigne d’une aspiration réelle de la part des publics et sans doute parfois sincère de la part des « coachs », à la transmission, au soutien et à la transformation personnelle, n’en présente pas moins des dérives majeures. À l’instar de la publicité dans ses débuts, ces nouveaux vecteurs d’influence façonnent des comportements, orientent des décisions et construisent des croyances, parfois au mépris des principes fondamentaux de protection des publics, de vérité des messages et de responsabilité sociale et de santé publique. Le rapport 2024 de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) [1] souligne d’ailleurs qu’à travers le coaching en ligne et l’influence numérique, les dérives sectaires connaissent une expansion sans précédent. Ces dernières infiltrent insidieusement les domaines du soin, du bien-être et du coaching, rendant la frontière entre accompagnement et manipulation de plus en plus poreuse.
Cette dangereuse évolution est rendue possible à cause d’une tendance forte : chaque internaute peut désormais revendiquer le statut d’expert, simplement par sa capacité à convaincre ou à se mettre en scène. Sur Internet, ce n’est plus le statut officiel qui fait l’expert, mais la notoriété immédiatement visible à travers le nombre de fans, d’abonnés ou de suiveurs, cette donnée suscitant la confiance et renforçant la capacité à convaincre. Cette culture de l’auto-expertise transforme la notion d’expertise en un élément cosmétique, souvent au détriment des diplômes et des certifications reconnues. Ainsi, la légitimité se construit davantage par l’image et la popularité que par la preuve de compétences validées par des organismes officiels.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la Miviludes a enregistré en 2024 plus de 4 500 signalements de dérives sectaires, soit une hausse de 111 % en dix ans. Près de 37 % de ces signalements concernent le secteur du bien-être et de la santé, devant les cultes et spiritualités (35 %) et les domaines de la formation ou de la finance (13 %). Cette progression alarmante s’explique notamment par la facilité avec laquelle des influenceurs pseudo-scientifiques exploitent les réseaux sociaux pour toucher des publics vulnérables, en particulier les jeunes, et diffuser des pratiques dangereuses ou non éprouvées.
Le Conseil de l’Éthique Publicitaire de l’ARPP, forte de son expérience dans la régulation professionnelle du discours commercial, souhaite alerter sur les risques structurels de ce vide éthique croissant, et proposer des pistes concrètes pour encadrer ce champ émergent, où les codes de la publicité, de la communication et du développement personnel s’entremêlent puisque le coach est à la fois l’influenceur, l’annonceur et le support de diffusion. Cette configuration inédite pose de nouveaux défis en matière de transparence et loyauté mais aussi de législation et réglementation, car elle parasite les repères établis par la régulation et l’autorégulation classiques.
Des pratiques en plein essor et en déséquilibre
Le coaching en ligne connaît une croissance exponentielle, stimulée par la pandémie, la généralisation des outils de visioconférence, l’engouement pour le développement et le bien-être personnel, que ce soit au travail ou dans la vie personnelle. Pourtant, la profession de coach en France reste non reconnue, sans ordre ni obligation de certification. Ce vide réglementaire favorise l’émergence de figures autoproclamées, parfois motivées davantage par la visibilité ou le profit que par une véritable éthique professionnelle, alors que des praticiens sérieux obtiennent une certification inscrite au Répertoire National des Certifications Professionnelles, à l’issue de formations spécifiques, reconnues et garantissant un certain niveau de compétences et d’éthique professionnelle.
La Miviludes met en garde contre la multiplication de pseudo-praticiens utilisant des titres non reconnus par l’État, comme « psychopraticien » ou « psycho-énergéticien », qui entretiennent la confusion et exploitent la confiance du public. Elle pointe également la prolifération de centres de bien-être où professionnels de santé et intervenants sans qualification se côtoient, brouillant la perception des usagers sur les compétences réelles des intervenants.
Parallèlement, les « influenceurs », devenus de véritables prescripteurs culturels, franchissent de plus en plus la frontière entre divertissement et conseil structurant. En vantant des méthodes miracles, en promouvant des formations payantes sans garanties, ou en suggérant des transformations profondes sans encadrement psychologique, certains basculent dans la manipulation affective ou la tromperie commerciale. Ainsi, les dérives sectaires, l’emprise financière ou les risques de substitution à ou abandon de traitement médical sont sinon systématiques, du moins avérées dans un certain nombre de cas.
Cette réalité est d’autant plus préoccupante que les publics concernés sont souvent vulnérables : jeunes adultes en quête de repères, personnes en reconversion, individus isolés ou fragilisés. Selon la Miviludes, une simple vidéo bien montée peut suffire à convaincre ces publics d’investir temps, argent et confiance dans des dispositifs relevant davantage de la croyance que de la compétence.
Un contraste éclairant : l’expérience de la publicité autorégulée
Le secteur publicitaire, lui aussi porteur d’influence massive, s’est confronté très tôt à des dérives similaires. Dès 1935, la France a mis en place un mécanisme d’autorégulation avec la création de l’Office de Contrôle des Annonces, devenu Bureau de Vérification de la Publicité, et depuis 2008 l’ARPP. Ce modèle repose sur des principes de codification des bonnes pratiques, d’engagement volontaire et de contrôle éthique, permettant de protéger le consommateur tout en préservant la liberté d’expression commerciale.
Ce contraste est révélateur : là où la publicité s’est dotée d’un système mature, réactif, transparent et s’appliquant à l’ensemble des acteurs de la profession, le monde du coaching et de l’influence numérique évolue encore dans un flou normatif inquiétant. Certaines organisations professionnelles, telles que ICF France, EMCC France, SFCoach ont développé, de façon louable, leurs propres codes déontologiques, ces derniers n’étant néanmoins contraignants que pour leurs adhérents. De ce fait, ces règles déontologiques ne semblent pas prises en considération par l’intégralité de ces « coachs« . Il y a donc urgence à combler ce manque, car l’absence de cadre pour l’ensemble de ces « nouveaux guides » favorise la prolifération de pratiques à risque et l’exploitation de la vulnérabilité des individus.
Une régulation fragmentaire insuffisante
Certes, le législateur français a franchi un cap avec la loi du 9 juin 2023 sur les influenceurs, imposant la mention claire des partenariats commerciaux, l’interdiction de promouvoir certaines pratiques sensibles, ou encore l’obligation d’indiquer les retouches sur les images. Mais cette législation reste partielle et ne couvre pas les zones grises du coaching personnel, des promesses implicites de réussite, ni les offres de services qui échappent au champ publicitaire classique.
En effet, dans le cas des coachs, le produit, le média et le commanditaire ne font qu’un : la même personne assure la conception, la diffusion et la promotion du service. Les règles mises en place par l’ARPP et les autorités pour encadrer les influenceurs, qui reposent sur la séparation entre l’annonceur, le média et l’influenceur, ne sont de fait plus suffisantes dans ce contexte où ces rôles fusionnent. Ainsi, il apparaît nécessaire de repenser l’encadrement de ces nouvelles formes d’influence, en tenant compte de la spécificité de ces acteurs hybrides, pour assurer une régulation adaptée aux enjeux contemporains de la publicité et de la communication d’influence.
Propositions pour un encadrement éthique du coaching et de l’influence
Face à cette situation, le Conseil de l’Éthique Publicitaire affirme la nécessité de renforcer la prévention, la formation et la vigilance collective. Parmi les pistes prioritaires figurent :
- Le développement de l’esprit critique, notamment chez les jeunes, pour mieux identifier les risques de manipulation.
- L’encouragement à la formation déontologique des nouveaux entrants dans les activités du conseil en ligne.
- La mise en place d’un observatoire indépendant des dérives numériques, chargé d’alerter et de recommander.
- Le développement d’outils d’autorégulation sur les plateformes, incluant modération, signalement renforcé et éducation du public.
- La mise en garde des marques contre la tentation de nouer des partenariats avec cette activité non-régulée pour mettre en avant leurs produits ou services.
Conclusion : l’urgence d’une régulation fondée sur la responsabilité et le respect
L’enjeu n’est pas d’interdire ni de restreindre l’expression individuelle ou l’innovation dans les services, mais de préserver la confiance collective, de protéger les plus fragiles et de favoriser une économie du conseil numérique fondée sur la compétence, l’éthique et la transparence.
Comme pour la publicité en son temps, il y a une nécessité pour le coaching et l’influence d’apprendre à se réguler pour mériter la place croissante qu’ils occupent dans la société. Il en va non seulement de leur crédibilité, mais de leur légitimité future.
Le Conseil de l’Éthique Publicitaire de l’ARPP se tient prêt à accompagner cette dynamique et invite à un réveil de conscience collective, afin de garantir un environnement numérique plus sûr et plus responsable pour tous.
PDF de l’Alerte
Paris, le 16 octobre 2025