L’autorégulation publicitaire est la forme la plus ambitieuse pour l’avenir

La lettre du président
Dominique Wolton

Dominique Wolton, Président du CEP

En 2017, conformément à ses statuts, le Conseil de l’Éthique Publicitaire a renouvelé une partie de ses membres. Il a intégré des personnalités aux profi ls très différents : un neurobiologiste, une spécialiste de la littérature et de l’histoire culturelle du 20ème siècle, une spécialiste des études et de la recherche média [1] . Quelles qualités faut-il avoir pour en faire partie ?

Dominique Wolton : Il faut une indépendance d’esprit – il n’y a pas de place pour le conformisme –, une réelle curiosité intellectuelle et une grande capacité d’écoute et d’attention aux autres,
car cohabitent au sein du Conseil des formations et des univers professionnels et culturels différents.

En 2017, le CEP s’est fait l’avocat des systèmes d’autorégulation qui, comme l’ARPP, se développent indépendamment de l’Etat avec un Avis rendu en octobre dernier [2] . Pourquoi est-ce important de réaffirmer l’utilité de l’autorégulation publicitaire ?

On accepte l’autorégulation quand elle est réduite à des acteurs économiques qui défendent leur propre intérêt.
Or, l’autorégulation est un mode de reconnaissance mutuelle, illustrant le dépassement d’une certaine vision hiérarchique de la société, réhabilitant la négociation entre des points de vue contradictoires et reconnaissant l’intelligence des acteurs pour trouver une solution. C’est la marque d’un développement démocratique achevé et, telle qu’elle est conçue au sein de l’ARPP,
l’autorégulation publicitaire est la forme la plus ambitieuse pour l’avenir puisque c’est un appel à la reconnaissance que les trois logiques de la publicité – les annonceurs, les agences et les médias – peuvent dépasser leurs intérêts divergents pour organiser la cohabitation. L’autorégulation est l’un des terrains les plus féconds pour comprendre le fonctionnement de la démocratie qui mêle
toujours diversité culturelle, négociation et cohabitation, économie et culture.
Bien que l’autorégulation publicitaire fasse la preuve de son succès depuis 1935, on a un handicap en France pour favoriser ce système de droit souple car on croît tellement à la nécessité de l’État comme arbitre, que l’on a du mal à entrer dans cette culture consistant à réduire le rôle de l’État et à limiter l’infl ation de la réglementation.

Cet Avis souligne que du fait des changements apportés par le numérique, l’autorégulation doit se réinventer. Comment selon vous ?

En ne succombant pas à l’idéologie du numérique, en gardant toujours un regard critique. Il y a une totale schizophrénie entre l’émerveillement et l’appétence qui accompagnent les nouvelles technologies et le fait que l’on ne veuille pas réfléchir à l’impact de ces nouvelles technologies au niveau global à moyen et long terme. Par exemple, il faut cesser de succomber à la tyrannie des données.

Pour quelles raisons ?

Si l’on donne trop d’importances aux données, l’arbitrage va déboucher sur une pseudo rationalité avec des points de vue réduits à des quantités d’informations.
Toute abondance d’informations conduit à entrer dans une logique de tracking, économique et financière.
L’enfer est pavé de bonnes intentions ! Or, les conflits de légitimité sont qualitatifs et non quantitatifs. Ce n’est parce qu’un acteur a une représentativité importante qu’il a forcément raison. Sous couvert d’informer sur différentes tendances, on en arrive à un rapport de force entre des légitimités contradictoires qui font semblant d’être représentatives et objectives. L’un des objectifs du CEP est d’éviter le renfermement des communautés.
Il est pour le moins paradoxal alors qu’il n’y a jamais eu d’autant d’informations disponibles qu’au lieu élargir la vision du monde, on en arrive à renforcer le communautarisme et finalement le conformisme.
Le rôle social de la publicité c’est de s’adresser au grand public et l’un de ses enjeux aujourd’hui c’est de rester une activité économique et centrale qui s’adresse à toutes les catégories de la société, ce qui est toujours un défi difficile. La publicité comme activité contribuant au lien social est menacée dans ces évolutions mal maîtrisées.

Quels sont les thèmes qui ont monopolisé les membres du CEP en 2017 ?

Ayant à peu près le fait le tour des grandes questions éthiques classiques, notre réflexion a porté principalement sur les défi s contemporains liés à la « société numérique », comme les réseaux sociaux, l’intelligence artificielle ou encore les nouvelles frontière entre information et communication. Mais nous avons également ouvert un groupe de travail sur la publicité touristique et un autre sur la publicité du luxe et son acceptabilité dans une période économique difficile pour une grande partie de la population.

Que s’est-il passé depuis le début de l’année 2018 ?

L’objectif est de maintenir le pluralisme culturel et intellectuel au niveau de la répartition du Conseil. Mi-2018, nous avons été rejoints par une professeure en informatique et intelligence artificielle, Laurence Devillers, et nous allons sous peu publier notre avis sur la publicité et le tourisme ainsi que celui sur la communication et l’intelligence artificielle.

Paris, le 6 juillet 2018

[1]

Le CEP a donc accueilli Pierre-Marie Lledo, Myriam Boucharenc et Zysla Belliat.