Avis Réaffirmer les frontières entre information et publicité

L'actualité du CEP

25 novembre 2011 – Le Conseil de l’Ethique Publicitaire a émis un avis « Réaffirmer les frontières entre information et publicité ».

Le CEP souhaite ainsi réaffirmer les frontières, parfois assez floues, qui séparent la publicité, l’information et la communication, d’autant que les nouvelles technologies ont ouvert de nombreuses possibilités d’expression tant pour les marques que pour les consommateurs.

L’avis propose notamment la création d’un label pour cautionner le statut de l’information des blogs.




Les possibilités offertes par les nouvelles technologies permettent aux annonceurs de multiplier les formes et les registres de communication. Ces nouveaux vecteurs de transmission d’informations (blogs, réseaux sociaux….) plus ouverts, accessibles à tous, offrent de nombreuses possibilités d’expression non seulement pour les marques mais aussi pour les consommateurs, qui peuvent ainsi participer à la vie des marques en donnant leur avis.

La publicité, qui énonce clairement son enjeu commercial par une signature de marque facilement repérable, se trouve aujourd’hui confrontée à d’autres formes de communication dont l’émetteur n’est pas toujours identifiable.

Les frontières entre publicité, information et communication risquent d’être de plus en plus confuses. Il est devenu nécessaire de clarifier la question de l’identification de l’émetteur, de la nature de l’information émise et de son statut (information, publicité, communication, expression spontanée…) pour préserver la légitimité de la publicité.

Quant à la question de la communication, c’est-à-dire la manière dont les récepteurs s’approprient les messages, les négocient et les réajustent, elle est toujours aussi compliquée.

Il faudra de toute façon distinguer de plus en plus nettement ce qui relève, d’un côté, de l’émetteur, du message et de la technique et, de l’autre, de l’interaction et de la communication. C’est évidemment du côté de la communication que le problème est le plus compliqué : un nombre croissant d’informations et de plus en plus d’interactions ne suffisent plus à accroître la communication, qui est l’appropriation critique du message par les individus et les collectivités.

L’objet de cet avis est de repérer les premiers signes d’une dérive possible afin d’éviter le développement de pratiques qui nuiraient à l’éthique et à l’efficacité de la publicité.

Information et publicité : une nécessaire séparation des genres

L’essor d’Internet a multiplié les sources d’information, en offrant, en particulier, des espaces de discussion critiques des marques et des produits : forums, réseaux sociaux, blogs, tests de produits, avis de consommateurs, etc. 78 % des consommateurs se fient volontiers aux recommandations d’autres consommateurs et 52 % d’entre eux affirment qu’un blog a joué un rôle dans leur acte d’achat. Selon une enquête CRÉDOC/eBay de mars 2009, 45 % des internautes considèrent l’Internet comme un moyen de disposer de plus de pouvoir face aux marques, et cette proportion monte à 57% chez ceux qui recherchent des avis de consommateurs sur la toile. 62 % des internautes déclarent avoir déjà renoncé à acheter un produit ou une marque après avoir pris connaissance de l’avis d’internautes.

Contrepoids de la défiance à l’égard des institutions et de l’information descendante, les consommateurs plébiscitent l’information « horizontale », transmise de pair à pair, du bouche à oreille traditionnel aux réseaux sociaux les plus spécialisés. Le message publicitaire classique se trouve ainsi confronté à d’autres sources d’information qui peuvent éventuellement le contrer, et qui nécessitent en tout état de cause des anticipations de la part des publicitaires.

Marques et professionnels de la publicité à la recherche de nouvelles formes d’interactions

Ce nouveau contexte invite les professionnels à adapter leurs stratégies de communication. La publicité sur Internet connaît une croissance spectaculaire et constitue un laboratoire d’expérimentation de nouvelles formes d’expression et de ciblage du message publicitaire. L’engagement croissant des marques sur les réseaux sociaux participe d’une démarche générale visant à nourrir la relation avec les clients bien au-delà de la transaction commerciale.

En revanche, parallèlement à l’essor de ces nouvelles pratiques, qui restent conformes aux principes déontologiques de séparation entre l’information et la publicité, des initiatives venant de sources diverses (consommateurs plus ou moins liés aux marques) et dont l’enjeu commercial est masqué, risquent de brouiller les frontières entre information et publicité et de semer le doute dans l’esprit des consommateurs.

La nature des messages reçus se trouve dissimulée de telle manière qu’il est difficile de discerner clairement leur origine. C’est ainsi une règle d’or de l’éthique publicitaire qui se trouve contournée : l’identification de la publicité comme domaine de communication spécifique, soumis à des règles et des restrictions légales qui la distinguent de toute autre forme d’expression non commerciale, n’est plus suffisamment explicitée.

Une typologie des différentes formes d’information et d’interaction / communication.

Une typologie de ces pratiques combinant information et communication peut ainsi être établie.

1/ Une technique, déjà ancienne, consiste à diffuser de l’information sur le produit sur le mode du rédactionnel susceptible de faire apparaître le message comme émanant d’un journaliste ou d’un expert. Cette pratique doit légalement être accompagnée de la mention « publireportage » ou « communiqué » afin d’expliciter l’origine commerciale du message et le risque de biais dans l’information délivrée.

Ce choix du mode rédactionnel pour communiquer des contenus et raconter des histoires de marque se démultiplie à travers des programmes audiovisuels ou des publications écrites offrant des possibilités nouvelles d’expression des marques.

Si ce mode d’expression, licite, relève juridiquement de la publicité, on est alors plutôt dans le registre de l’information au sens de la logique de l’émetteur et de la marque plutôt que dans celui de la communication au sens de la logique du récepteur. De ce fait, une vigilance particulière est attendue des professionnels.

2/ Le placement de produits est une pratique devenue courante dans le cinéma. Elle était en principe interdite en France depuis 1992 dans les programmes des chaînes de télévision (hors cinéma) car assimilable à de la publicité clandestine. La loi du 5 mars 2009 (qui restreint paradoxalement la publicité sur les chaînes du service public) autorise désormais le placement de produits dans les fictions (la mesure pourrait être étendue aux émissions de divertissement). La loi précise que « les téléspectateurs sont clairement informés de l’existence d’un placement de produits. Les programmes comportant du placement de produit sont identifiés de manière appropriée au début et à la fin de leur diffusion, ainsi que lorsqu’un programme reprend après une interruption publicitaire afin d’éviter toute confusion de la part du téléspectateur ». Le placement de produits n’a pas pour première fonction de diffuser de l’information sur les produits. L’objectif est plutôt d’emprunter d’autres voies que le message publicitaire pour entrer dans le champ de perception des spectateurs, voire de bénéficier du transfert de valeur du contenu du programme à la marque. A ce titre, le placement de produits offre un levier intéressant de création de valeur immatérielle autour du produit. Il devient plus problématique si les conditions d’apparition du produit à l’écran, son inscription dans le scénario du programme, les conditions d’usage qui sont mises en scène, émettent indirectement des informations sur ses caractéristiques.

3/ La capacité d’influence des blogs sur les choix des consommateurs est une incitation pour les marques à utiliser ce canal pour diffuser des informations favorables à leurs produits. L’entreprise tente d’animer une communauté de consommateurs autour d’un centre d’intérêt qui renvoie à l’univers de la marque. Elle dispose alors d’une tribune pour diffuser des informations sur ses produits sur un mode qui renvoie à l’interactivité des réseaux sociaux. Si le mode d’expression est éloigné de la publicité traditionnelle, l’identité de l’émetteur ou, à tout le moins, la nature du lieu d’émission ne souffre d’aucune ambigüité.

En revanche, certaines marques ont créé des sites destinés à capter l’audience de « leaders d’opinion » en proposant des offres avantageuses : test des nouveaux produits en avant-première, invitation à des manifestations, incitation à exprimer des suggestions concernant de nouveaux produits… voire versement de rémunération. L’enjeu est de constituer une population d’aficionados qui iront diffuser la bonne parole sur leurs propres blogs, dans les forums… Généralisant la démarche, le site YouGether.fr, en France, met à disposition des marques une plate-forme leur permettant d’entrer en relation avec des communautés de clients bloggeurs ou actifs sur les réseaux sociaux et donc susceptibles de cautionner leurs produits et d’agir comme des prescripteurs. Ces leaders d’opinion deviennent ainsi des diffuseurs d’information à la sincérité problématique ; les consommateurs, qui constituent leur audience, croient avoir à faire à une information fiable, car « horizontale » (de consommateur à consommateur), mais peuvent en fait être trompés. Il est cependant possible que le blogueur soit démasqué s’il n’est pas suffisamment habile dans la promotion des marques « amies ». Pour lutter contre la diffusion de faux avis de consommateurs, la DGCCRF envisage de mener une enquête.

4 / La dissimulation totale consiste à faire passer l’émetteur publicitaire pour autre chose, à savoir une source fiable et neutre d’information. C’est le cas, par exemple, de marques qui investissent les forums de discussion, les dispositifs d’évaluation des produits, en se faisant passer pour des consommateurs ou via des personnes éventuellement rémunérées pour cela. Cette technique peu coûteuse (mais qui nécessite une certaine habileté) a été utilisée par une marque italienne d’électroménager, et par certains hôtels. Elle est difficile à contrôler mais, en réduisant le degré de confiance des consommateurs dans les dispositifs d’information et d’évaluation auxquels ils sont attachés, elle suscite la réprobation et produit des réactions. Les sites de e-commerce sont de plus en plus nombreux à s’attacher les services de prestataires ayant développé des méthodes contrôlant ces pratiques pour conduire à la labellisation de l’information ainsi délivrée (voir le label « Real Badge » délivré par la société britannique Reevoo). Les autorités européennes ont rendu illégal le fait pour une entreprise de se faire passer pour un consommateur. Le nouveau secrétaire d’Etat en charge de la consommation a fait de ce problème un de ses chevaux de bataille.

Deux propositions normatives liées à Internet

L’objectif consiste à réaffirmer le statut de la publicité et ses clés de reconnaissance par le consommateur pour en garantir l’efficacité et la légitimité.

La publicité est légitime, elle constitue une source d’information majeure, mais l’information qu’elle produit doit toujours demeurer identifiable et obéir à des règles bien précises qui protègent à la fois la marque et le consommateur.

Parvenir à endiguer les comportements répréhensibles est particulièrement important alors qu’une « économie de l’usage » semble émerger à la fois du mouvement d’orientation-client adopté par un nombre croissant d’annonceurs et de l’aspiration des consommateurs à donner leur avis. Une économie de l’usage fait jouer un rôle crucial à l’évaluation des produits afin d’orienter les modalités de la concurrence vers la qualité et la durabilité. La qualité de l’information sur les caractéristiques des produits est alors stratégique. La publicité, en tant que productrice d’information sur les produits, a un rôle à jouer. Elle doit le jouer en demeurant cantonnée au cadre de la communication publicitaire et de ses règles et s’interdire, en sortant de ce cadre, de nuire à la crédibilité des autres sources d’information.

Il semble difficile de réguler les partenariats informels noués entre journalistes et annonceurs. Le public sait faire la différence comme en témoigne le différentiel d’impact sur les ventes entre un article sur une crème amincissante dans un magazine ou la publication par 60 millions de consommateurs des résultats d’une enquête comparative.

En matière de placement de produits, la réglementation sur la publicité clandestine devrait pouvoir jouer le rôle de garde-fou contre la tentation de scénariser les produits de manière à leur attribuer des qualités qui outrepassent la réalité.

En revanche, il nous semble possible d’intervenir dans deux domaines qui revêtent une importance croissance dans les comportements de recherche d’information des consommateurs.

1/ Au plan des dispositifs d’évaluation des produits (notation, avis de consommateurs, forums…), le contrôle collectif effectué par les internautes (qui ont souvent déjà développé leurs manières de faire le tri entre les avis douteux) pourrait être relayé par une application plus intransigeante des sanctions prévues par le Code de la consommation (qui précise que la publicité doit être « loyale » et ne doit pas « induire le consommateur en erreur ») lorsqu’une entreprise tente de se faire passer pour un consommateur.

2/ La question des blogs est essentielle, en raison de leur importance, de leur essor, et des investissements consentis par les marques dans ce secteur. Il est certes possible de compter sur la sagacité des internautes, mais il est également possible de la susciter, de l’encourager. Nous proposons d’initier un système de contrôle fondé sur les valeurs des internautes, qui en s’autorégulant eux-mêmes, se protègeraient des internautes irrespectueux.

Bien sûr, cet engagement des uns vis-à-vis des autres ne constituerait pas une protection absolue mais il mettrait définitivement en péril l’internaute et la marque qui seraient alors démasqués.

Il s’agirait de créer un label garantissant le statut du bloggeur qui serait obligé de citer ses sources pour pouvoir s’exprimer sur une marque ou un produit : le logo « CTS » pour « Cite Tes Sources » serait alors systématiquement présent pour cautionner le statut de cette information.

Ce label fonctionnerait un peu comme la norme européenne « CE » apposée sur les produits techniques, les jouets, etc. à l’initiative des fabricants (qui prennent alors le risque d’un contrôle inopiné). La norme en question ne sanctionne pas un bon comportement vérifié (par une autorité indépendante), mais elle signale un bon comportement vérifiable. Celui qui appose le logo « CTS » se trouverait moralement engagé, de telle manière qu’il ait un devoir de transparence auprès des lecteurs du blog.

Il paraît essentiel pour l’émergence, la reconnaissance et l’efficacité de ce label, qu’il soit créé, choisi et adoubé par les internautes eux-mêmes et non par une institution quelle qu’elle soit.

L’idée est donc de faire émerger des réseaux sociaux un groupe d’internautes qui se révolterait contre tous les faux bloggeurs, les masques ou toute forme de compromission tentant de promouvoir un produit ou un service de manière opaque ou cachée. Ce groupe s’exprimerait à travers un manifeste, créerait un logo d’un style « réactif » et déploierait les droits et les devoirs du bloggeur dans un site dédié incitant les bloggeurs à utiliser ce logo pour valoriser leur propos et affirmer leur légitimité.

C’est en jouant avec les règles, l’éthique et la volonté de transparence de l’internaute que l’on expérimentera un premier cadre de référence clarifiant le statut de l’émetteur, la nature de ses enjeux et la légitimité de ses propos.

Adopté à la séance du CEP du 25 novembre 2011.