La publicité, légitime à penser le statut de l’information et de la communication

La lettre du président
Dominique Wolton

Dominique Wolton, Directeur de recherche au CNRS, Directeur de la revue internationale Hermès. Président du CEP.

Les trois avis récemment adoptés par le Conseil de l’éthique publicitaire autour des sujets des nouveaux territoires d’expression publicitaire et des nouvelles technologies associées sont intéressants parce qu’ils visent à légitimer deux concepts, l’information et la communication, qui malgré l’abondance, la diversité et surtout l’importance de leurs usages restent peu légitimes. Certes l’information se porte mieux que la communication qui continue sa descente aux enfers, réduite à la manipulation et à l’influence. L’information est un peu plus légitime, même si le soupçon de mensonge est toujours présent. C’est pour l’information numérique et le « big data » que, pour le moment, le crédit est le plus fort.

L’histoire de l’information et de la communication illustre la complexité de ces deux concepts et l’impossibilité de les réduire à des exercices de manipulation, tout simplement parce qu’on a oublié la résistance silencieuse du récepteur. Il ne s’agit pas « d’informer pour communiquer ». Et plus il y a d’information et d’interactions, plus il y a de résistances. C’est pourtant hélas le stéréotype opposé, celui d’une manipulation proportionnelle au volume d’échanges, qui domine.

*

*         *

Les trois avis abordent trois aspects de la complexité et de la diversité de l’information et de la communication.

Celui sur les nouvelles frontières entre information et communication consiste justement à distinguer leurs différences de statut. Celui sur la publicité et les réseaux sociaux pose directement la question des conditions de la vérité dans un espace où la fascination pour les échanges tend à faire oublier les règles de déontologie. Quant à celui concernant les rapports entre communications et intelligence artificielle (IA), il permet de dépasser l’idéologie technique qui a aujourd’hui envahi le secteur numérique. Il vise aussi à rappeler la différence persistante entre information et communication, mais aussi celle existant entre communication humaine et communication technique.

*

*         *

L’intérêt de réfléchir au statut de l’information et de la communication à partir du monde de la publicité et de la communication est de comprendre que les problèmes de définition sont les mêmes ici qu’ailleurs. On y voit peut-être plus facilement qu’ailleurs comment l’information et la communication circulent toujours entre valeurs, technique et économie.

Avec deux questions sans réponses faciles. Jusqu’où l’objectivité et la rationalité de l’information sont-elles possibles ? Comment y faire cohabiter l’inévitable dimension subjective ? Jusqu’où la communication est-elle identifiable à de l’influence, et à partir de quand devient-elle un des symboles de nos sociétés d’interaction ? Communiquer, c’est moins partager, ou dominer, que négocier entre des points de vue contradictoires.

Pour engager ce débat sur les rapports théoriques et culturels entre les deux, je peux reprendre la distinction que j’ai rappelée dans le numéro 82 de la revue Hermès, « Nouvelles voix de la recherche en communications » (CNRS éditions 2018) et que j’avais formalisée dans La communication, les hommes, la politique (CNRS éditions 2015).

Pour l’information il faut distinguer :

  • l’information politique (nouvelles) ;
  • l’information institutionnelle ;
  • l’information service ;
  • l’information relationnelle ;
  • l’information connaissance.

Le marché explosif de l’information concerne l’information service et l’information institutionnelle. Les domaines les plus complexes sont ceux de l’information politique et de l’information connaissance, car le problème n’est pas le volume, l’accessibilité ou la vitesse, mais la compréhension et la culture. Accéder à tout ne suffit pas si l’on ne dispose pas des clés d’interprétation.

En ce qui concerne la communication :

la communication pouvoir (la plus ancienne qui se manifeste de multiples façons, jusqu’au silence et à la communication corporate, en passant par toutes les formes de communication « top down ») ;

  • la communication partage (l’horizon et l’idéal des échanges liés aux sentiments et aux mouvements d’émancipation interpersonnels) ;
  • la communication valorisation (recherchée par tous et rarement réussie) ;
  • la communication expression (conséquence des progrès de la liberté individuelle) ;
  • la communication négociation (la plus fréquente, liée aux difficultés humaines et sociales de la vie).

Communiquer, c’est chercher à échanger et partager, c’est découvrir aussi l’incommunication et négocier pour éviter l’a-communication et le conflit. La négociation, lorsqu’elle est réussie, aboutit à la cohabitation, forme modeste mais réaliste des limites, et de la complexité, de la condition humaine.

L’apport du secteur de la publicité et de la communication à une réflexion sur le statut de l’information est notamment, par rapport à d’autres secteurs considérés comme « plus sérieux » et « légitimes », de reconnaître cette vérité : le récepteur n’est pas simpliste ni manipulable.

L’intérêt de ces avis est aussi de toucher à trois aspects fondamentaux : l’importance du grand public dans la communication publicitaire. À l’opposé, examiner jusqu’où l’intelligence artificielle introduit-elle, ou non, de nouvelles rationalités. À partir de quand celle-ci rejoint-elle la question générale concernant l’incommunication et les frontières entre information et communication.

*

*         *

L’information n’est pas plus « impure » dans la publicité qu’ailleurs, la communication pas plus « manipulatrice » qu’ailleurs. La question de l’altérité et de la négociation pas moins importante. Il y a toujours quatre dimensions indépassables à la communication : scientifique et technique, économique, sociale, culturelle et politique. Et contrairement aux préjugés dominants, les GAFA ne triomphent pas plus facilement dans ce secteur de la communication, que dans ceux, plus « sérieux », de l’économie, l’Université, le fonctionnement de l’État…

La publicité et la communication ne sont donc pas des territoires « secondaires » pour penser le statut de l’information et de la communication. Ils sont tout aussi légitimes que d’autres, en apparence plus « prestigieux ». En d’autres termes, le procès en légitimité qui leur est fait n’est pas fondé.

La première bataille consiste donc à lutter contre les stéréotypes selon lesquels ces secteurs ne seraient « pas intéressants » pour réfléchir au statut de l’information et de la communication. C’est même peut-être l’inverse. Tout s’y lie plus facilement : le mélange entre les valeurs et les intérêts ; la prédominance de la technique et du lien technique-économie ; l’idéologie technique selon laquelle la société numérique serait plus libre et créatrice, l’information plus « objective et rationnelle », et la communication plus « subjective et manipulatrice ».

En réalité, quels que soient le support et l’activité, information et communication sont complémentaires et contradictoires, parce qu’il n’y a pas de messages (information) sans relation (communication) et la force de la communication est justement de rappeler toujours le rôle actif du récepteur. Un récepteur qui n’est jamais en ligne avec l’émetteur et le message, et qui n’est pas forcément manipulable. Le paradoxe, d’ailleurs, du monde de la publicité et de la communication, est de très bien savoir que le récepteur est plus « résistant » qu’on ne le croit, et ceci alors qu’à l’extérieur de ce milieu professionnel et culturel, on considère souvent que la manipulation y domine plus facilement.

La grande distinction à préserver est celle entre information, communication et le récepteur. Quels que soient le message et le support. L’interactivité généralisée ne change rien à ces trois logiques qui sont rarement complémentaires. La communication n’est pas forcément au bout de l’interactivité ou, pour le dire autrement, il n’y a pas de rapport direct entre l’essor de l’interactivité technique et l’intercompréhension humaine.

Cette difficulté à cerner les liens ambigus entre information et communication, récepteur et contexte oblige aussi à mieux réfléchir à ce qui les distingue au moment, au contraire, où l’on prône une continuité entre les trois. Le fait que les trois interagissent de plus en plus vite ne veut pas dire que ce sont les mêmes logiques, ni même qu’elles sont complémentaires. C’est là où le progrès technique peut jouer des tours en établissant de fausses continuités.

*

*         *

Les différences entre le message et la relation, l’information et la communication sont finalement constitutives de la démocratie. L’intérêt du secteur de la publicité est paradoxalement de ne pas mentir. Oui, il s’agit bien d’une information commerciale. Oui, pour la communication, on rêve de séduire. Oui on rêve d’établir une continuité entre ces trois logiques. Mais à bien y regarder tout le monde cherche à réaliser cette continuité. Tout le monde rêve d’informer pour communiquer, et d’arriver à séduire ! Simplement le monde de la publicité le reconnaît, là où ailleurs on le nie. Et ces trois dimensions mettent finalement en valeur cette idée souvent rejetée : oui il existe une marge de manœuvre entre l’information, le récepteur et la communication. Autrement dit le secteur de la publicité et de la communication reconnaît plus facilement qu’ailleurs que la communication est un processus instable de négociation entre des logiques différentes, voire contradictoires. Le marché de la publicité et de la communication reconnaissant plus facilement cette incertitude et une marge de manœuvre entre des logiques différentes.

*

*         *

Distinguer les différents sens des mots information et communication, rappeler que finalement la communication est toujours une négociation entre des partenaires sur fond d’inégalité, voire d’a-communication, voilà l’essentiel. Il s’agit en réalité d’une vision moins déterministe ! Si la communication était toujours réussie, il y aurait quelques cauchemars. Admettre que communiquer c’est négocier permet de valoriser la dimension contradictoire et de rappeler que la confrontation des points de vue est bien autre chose que l’influence et la manipulation. Discuter, argumenter, s’opposer est toujours plus compliqué que d’être confronté à une vision verticale, mais c’est aussi le moyen de rouvrir le jeu de l’interprétation du monde. La négociation, c’est finalement la reconnaissance de l’existence de l’autre.

Paris, le 19 mars 2019