Le secteur de la communication n’est pas un secteur secondaire puisque personne ne peut s’en passer

La lettre du président

Dominique Wolton Directeur de recherche au CNRS, fondateur et directeur de la Revue internationale Hermès Président du Conseil de l’éthique publicitaire

Un seul Avis publié en 2019 intitulé « Questions écologiques et publicité » contre cinq publiés en 2018, qu’a fait le CEP durant l’année écoulée ? 

Dominique Wolton : Le travail du CEP ne peut pas seulement se mesurer en termes de nombre d’Avis et il ne chevauche pas le calendrier de l’année. En 2019, nous avons travaillé sur deux sujets lourds ayant réclamé beaucoup d’auditions et de temps de réflexion et généré de nombreuses discussions. Cela a abouti à un premier Avis sur les questions écologiques en 2019, et à un second sur les stéréotypes et représentations dans la publicité publié début 2020.

Pourquoi avoir lancé les Cahiers du Conseil de l’éthique publicitaire et qu’en attendez-vous ? 

D.W. : En lançant ses Cahiers, le CEP veut marquer sa participation active à la construction des connaissances concernant l’information et la communication. Il contribue ainsi à la construction du système français d’autorégulation professionnelle concertée de la publicité, sa mission étant d’alerter l’ARPP et les professionnels sur les tendances lourdes susceptibles d’avoir un impact sur l’appréciation des représentations produites par la publicité et de proposer un cadre conceptuel propice à inspirer leur réflexion.

Aujourd’hui, tout le monde fait de l’information, de la communication, de la publicité or ce milieu n’inspire pas le respect, mais la plupart du temps, les critiques sans fin. Le paradoxe étant que tout le monde utilise la publicité en disant par ailleurs, dans une parfaite schizophrénie, qu’elle ne vaut rien.

En tant que chercheur, je pense que le secteur de la publicité et de la communication n’est pas un secteur secondaire puisque personne ne peut s’en passer, par contre ce métier ne réfléchit pas suffisamment sur lui-même, avec ses forces et ses faiblesses. Les Cahiers du CEP ont pour ambition de mieux diffuser et valoriser le travail de connaissance que nous faisons.

La plus virulente des critiques, c’est celle de la manipulation ! 

D.W. : L’histoire de l’information et de la communication illustre la complexité de ces deux concepts que trop de gens prennent pour des exercices de manipulation. Or, c’est méconnaître la résistance silencieuse du récepteur. Il est faux de penser que l’on peut dire n’importe quoi à quelqu’un et qu’il le croira ! Les professionnels ont compris d’ailleurs depuis longtemps – bien plus que les politiques – qu’il ne suffit pas « d’informer pour communiquer », car le récepteur résiste et continue à faire ses choix en fonction de ses propres valeurs. Et plus il y a d’information et d’interactions, plus il y a des phénomènes de résistance et de saturation.

Pour quelles raisons, selon vous, n‘y a-t-il pas suffisamment de travail théorique sur la communication ? 

D.W. : En général, le monde de la communication et de la publicité ne fait pas preuve d’une grande demande intellectuelle, ni sur l’évolution de ces métiers, ni sur celle de l’autorégulation publicitaire. Le secteur ne se porte pas trop mal par rapport à d’autres, s’adapte aux évolutions des outils et des technologies et par une sorte de paresse, il a tendance à penser que ce n’est pas vraiment la peine de réfléchir sur lui-même. C’est humain ! Or, il y a un effort de légitimation de la communication et de la publicité à faire, c’est ce qu’entreprend notamment le CEP et les autres instances de l’ARPP dont les Avis contribuent à la culture du secteur.

Dans ce second Avis du CEP sur le Développement durable – le premier avait été publié en 2007 – le thème de la « surconsommation » s’invite dans la réflexion sur l’autorégulation publicitaire. Que retenez-vous de ce texte ? 

D.W. : Dès qu’il est question d’écologie, de surconsommation… on voit ressurgir les stéréotypes négatifs relatifs à la publicité. C’est un texte assez équilibré sur un sujet où il faut se méfier des dogmatismes négatifs. La critique des écologistes sur la publicité est parfois caricaturale, elle rejoint toutes les critiques notamment marxistes qui ne parlent que de manipulation et d’aliénation des individus. C’est comme si on disait que le citoyen est lui-même manipulé. Pourquoi le citoyen ne serait-il pas manipulé, pourquoi le consommateur le serait-il, alors qu’il s’agit de la même personne ?

Croire en la liberté critique des consommateurs n’est pas forcément s’aligner sur la logique économique. Les gens jouent avec la publicité, ils savent la décoder. Je pose toujours la question : d’où parle celui qui sait que les autres sont manipulés et pense que lui garde son libre arbitre ? Les écologistes peuvent critiquer à juste titre certains aspects de la culture et de la consommation à condition de ne pas se transformer en idéologue c’est-à-dire en ayant une opinion critique sur tout. Rien de pire que des individus ayant des discours qui nient les contradictions dans lesquelles nous vivons tous ! Rien de pire que les purificateurs et les chevaliers du bien, et les spécialistes du mal !

À l’opposé la culture de l’autorégulation repose sur la négociation entre valeurs contradictoires. On est rarement blanc ou noir !

D’après-vous quel est l’enjeu de l’autorégulation dans cette période de crise ? 

D.W. : Le rôle de l’autorégulation est d’éviter le moralisme, la bonne conscience et l’interdiction, d’autant que la France est saturée de réglementations. En temps de crise, il faut sauver la liberté critique du monde de la publicité qui est inséré dans un magma d’interdictions et considéré comme le bouc émissaire de tout ce qui ne va pas.

Quels sont les sujets de réflexion du CEP pour l’année 2020 ? 

D.W. : Nous travaillons sur trois sujets. Le premier, c’est comment penser les rapports entre publicité et nouvelles censures ; ne pas faire de la publicité un bouc émissaire. Le second a pour thème : réfléchir sur les limites de la publicité segmentée ; l’extension des marchés publicitaires à tous les individus solvables n’est pas forcément un progrès. Enfin, la réflexion pour le dernier porte sur : maintenir les distinctions entre réalité et virtualité. 

Paris, le 2 novembre 2020.